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Deuxième partie L’héroïne Argonaute

Chapitre 1 L’entourage divin

I. La scène des dons

Nous utilisons la réflexion de Sylvie Ballestra-Puech qui concerne les Parques romaines et les fées du Moyen âge pour l’appliquer au mythe grec d’Atalante car le schéma narratif qu’elle décrit nous paraît pertinent dans la construction de l’héroïne Atalante. Dans l’essai Les Parques70, Sylvie

Ballestra-Puech décortique le schéma relatif à la naissance des héros, qui établit un lien de filiation entre les Parques et les fées. Elle décrit la structure codifiée de ce schéma : la nuit qui suit la naissance d’un héros, trois divinités féminines se réunissent autour de lui.

Les Parques prédisent son avenir, souvent avec la présence d’un objet magique. Le héros a l’illusion de pouvoir échapper à son destin, mais il finit toujours par s’accomplir. L’exemple donné est celui de Méléagre, dont la durée de vie est fixée par les Parques qui la lient à une torche enflammée.

Les fées offrent des dons, qui correspondent aux valeurs médiévales : le courage et la capacité guerrière, le charme et la beauté, la prédiction d’une histoire d’amour hors du commun. Il y a

69 Contributeurs de Wikipédia. Wikipédia l’encyclopédie libre [en ligne]. « Mythologie grecque » [consulté le 7 juin 2012]. Disponible sur Internet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mythologie_grecque#H.C3.A9ros

70 BALLESTRA-PUECH, Sylvie. Les Parques : essai sur les figures féminines du destin dans la littérature occidentale. Toulouse : Éditions universitaires du Sud, 1999. Chapitre III, « Les fées marraines »,pp.189-209.

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également la présence fréquente d’un objet magique. Traditionnellement, la troisième fée à parler est une fée oubliée ou maltraitée, qui gâche les dons positifs par une malédiction. La dernière fée atténue par son don la malédiction, sans être capable de l’annuler. Là aussi, ce qui est prédit se réalise inéluctablement. L’exemple type est le conte de la Belle au bois dormant, notamment écrit par Perrault ou les frères Grimm. La malédiction est liée à un fuseau (qui est d’ailleurs l’instrument des Parques), qui, au lieu de tuer la princesse quand elle s’y pique le doigt, la plonge dans un sommeil de cent ans et cela malgré les efforts du roi pour détruire tous les fuseaux du royaume.

Au niveau de la construction du récit, cette scène des dons permet d’annoncer au lecteur l’intérêt de l’histoire et les épreuves que subiront le héros ainsi que de justifier une particularité du personnage.

Ce schéma s’applique à Atalante, qui est entourée de divinités dès le soir de sa naissance. Artémis intervient la première, pour sauver le nourrisson de l’arme du soldat qui ne voulait pas marcher jusqu’au mont Parthénion pour l’exposer. Hécate apparaît ensuite et les deux déesses revendiquent chacune la possession de l’enfant :

Cette enfant m’appartient ! C’est dans son temple que son destin s’est dévié !

- Mais c’est à la rivière qu’ils ont mené son berceau ! Et la rivière est sous ma protection !71

Enfin, Aphrodite les rejoint, apparemment motivée par de la tendresse pour « ce nourrisson en détresse » (I, p.7). Réunies autour de l’enfant, les déesses se livrent à la scène de dons. C’est Aphrodite qui débute cette scène :

Laissons là nos querelles de mégères divines et préoccupons-nous plutôt de son futur. - Je te ferai remarquer que c’est ce que nous étions en train de faire.

- Pauvre petite sans défense... Je suggère que chacune d’entre nous la dote de vœux ! Puis, confions-la à la rivière !72

On peut analyser les dons selon les catégories énoncées par Sylvie Ballestra-Puech : la capacité guerrière est représentée par le don d’Artémis : « Elle sera vive et robuste ! » ; le charme est donné par Aphrodite : « Je lui offre beauté et séduction ! » (I, p.7). La troisième « fée » à parler est Héra, qui n’était pas présente dès le début, qui ne semble pas appréciée par les autres déesses et qui n’a pas la même intention bienveillante qu’elles :

N’est-ce pas faire trop d’honneur à cette petite mortelle en la couvrant ainsi d’offrandes ? - Héra ?

- Décidément, cette rivière ressemble de plus en plus au gynécée du Panthéon !

- Méfie-toi, Hécate, car si Zeus, mon mari de frère, a pour toi crainte et respect... Il n’en va pas de même de toutes les divinités de l’Olympe ! Voici donc la petite chose, objet de vos vœux. Permettez-moi de me joindre à vous.73

71Atalante, I, p.6. 72Atalante, I, p.7.

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C’est donc elle qui lance la malédiction : « Si un être vivant, quel qu’il soit, venait un jour à la posséder, tous encourraient les foudres divines » (p.8.) Hécate, la dernière déesse, a alors le devoir d’atténuer cette malédiction. Elle fait un don en lien avec cette histoire d’amour interdite et surnaturelle, pour essayer de la contourner : « Je lui fais don (...) d’un caractère qui découragera tout prétendant » (p.8.) On retrouve ici la volonté de tout faire pour éviter la réalisation de la malédiction. Mais avec ce schéma mythique du destin du héros, le lecteur s’attend à ce que de toute façon la malédiction finisse par se réaliser. En tout cas, cette scène prend bien dans le récit l’importance qu’elle doit avoir : le lecteur s’attend à voir Atalante confrontée à cette malédiction tôt ou tard, qu’elle se réalise ou non et l’auteur donne l’origine de la particularité du personnage : sa vitesse incroyable de course est un don d’Hécate. C’est également cette déesse qui lui offre l’objet magique de la scène, le poignard d’Héphaïstos : « Je lui fais don d’une grande vitesse de course... (...) Je lui donne aussi ce poignard... Forgé par Héphaïstos, sa lame est magique ! Toujours à son fourreau, il retournera !!! »

En reproduisant cette scène codifiée, Crisse identifie clairement Atalante en tant qu’héroïne, dont le destin est réglé par des divinités, selon le schéma propre aux héros mythiques.

II. Les déesses qui entourent Atalante