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Pourquoi t-être lancé dans Atalante, alors que la série Kookaburra était bien en place ?

Au fond de moi, je pense que c'est pour faire plaisir à Mourad. Lorsque je suis arrivé chez Soleil, il espérait que je ferais une série d'heroïc fantasy, comme L'Epée de Cristal. Il n'a pas été vexé que je lui propose de la science-fiction, mais j'ai la sensation qu'il pensait que ce n'était pas là ma meilleure arme. Il m'a laissé libre de faire ce que je voulais alors peut- être que je me sentais redevable. Quand le sujet et les personnages d'Atalante ont commencé à se mettre en place dans ma tête, je lui en ai parlé. Il a été ravi que je revienne à l'heroïc fantasy, mais il a tout de même hésité car Kookaburra était en plein essor. Nous avons tellement hésité que nous avons fini par tirer à pile ou face ! Cela s'est passé au festival d'Angoulême 1999, en présence de tout le staff Soleil. La pièce est retombée du côté Atalante, mais elle se trouvait entre deux tables. Tarquin a écarté les tables et la pièce est tombée une nouvelle fois sur le côté Atalante. On s'est dit qu'il ne fallait pas aller contre le destin !

Si la pièce était tombée de l'autre côté, du aurais Jeté le dossier Atalante ?

Je l'aurais rangé dans un coin. Et je n'aurais peut-être jamais réalisé l'album car si j'avais alors décidé de mettre toute mon énergie dans Kookaburra, je n'aurais plus eu assez de temps pour une autre série.

Cela paraît incroyable que l'avenir d'une série se joue sur un coup de dés…

C'est ce qui m'impressionne le plus chez Mourad : cette foi envers le destin ! Je le suis les yeux fermés sur ces coups-là. On en rigole souvent ensemble. Il a gardé la pièce ' on ne sait jamais, des fois qu'il faille prendre de nouvelles décisions pour Atalante, on pourra à nouveau lui demander son avis (rires) ! Plus sérieusement, dans l'euphorie de ce genre de décision, on sent malgré tout, lui et moi, un petit courant d'air froid nous chatouiller l'épine dorsale... "Est-ce bien sérieux ?" Mais c'est à ce moment que je me souviens de la phrase 'de Dany "On ne fait que de la BD..."

Tu m'as confié un jour que tu t'étais lancé dans Atalante suite au succès de Marlysa, la série de Danard et Gaudin...

C'est également une des raisons. J'ai participé à la naissance de cette série en faisant le story-board des deux premiers >épisodes. Je ne suis pas envieux ou jaloux de nature, mais, tout en étant heureux pour mes amis Danard et Gaudin du succès quasi immédiat de Marlysa, j'ai été un peu agacé. Et je me suis dis que, moi aussi, j'allais lancer une héroïne sexy sur les chemins de l'Aventure !

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Maintenant qu'Atalante existe et que le premier album s'est mieux vendu que Kookaburra, peut-être vas-tu envisager de trouver un dessinateur pour cette série ?

C'est ce que voulait l'éditeur, mais je ne peux pas m'y résoudre. Autant cela ne me gênerait pas trop que quelqu'un d'autre dessine les héros adultes, autant j'aurais du mal à abandonner les cinq enfants. Ils sont le centre, le fond de l'histoire. Préko, le sniper, n'est qu'un vecteur, un fil rouge qui accompagne le lecteur.

Atalante a l'air de démarrer très fort. Cela ne va-t-il pas, malgré tout, t'éloigner de Kookaburra ?

Non, car je suis très attaché à cette série. Quand j'ai commencé, j'étais persuadé que c'était l'œuvre de ma vie, dans le sens ou je voulais que cela soit une immense saga, avec un album par an pendant au moins dix ans. Mon ambition, ce serait que si un néophyte entre dans une librairie et demande un album de SF, le libraire lui conseille Kookaburra, comme il conseillerait Blueberry à quelqu'un qui voudrait lire un western. C'est prétentieux, mais il faut être ambitieux.

Tu ne crains pas de devoir faire un choix à un certain moment entre les deux séries ?

Ce que je dessine le plus facilement et le plus naturellement, c'est Atalante, mais le scénario qui me satisfait le plus, c'est celui de Kookaburra. Donc, je vais continuer les deux, même si mon objectif aujourd'hui, c'est Atalante. Je vais donc réaliser un album de cette série par an, et faire en parallèle un épisode de Kookaburra à raison d'une à deux cases par jour, ce qui devrait faire un album tous les 18 mois. En fait, je vais avoir un rythme de travail normal sur Atalante et un rythme ralenti sur Kookaburra, et ce, jusqu'au moment où j'aurai terminé mes 46 planches d'Atalante. Je me consacrerai à fond à terminer l'album de Kookaburra. Pour arriver à cela, il va falloir que je me concentre sur les albums et que j'arrête les ex-libris et autres produits dérivés.

Atalante fait référence à la mythologie. Est-ce que tu as constitué une documentation comme pour une histoire qui se déroulerait par exemple au Moyen-Age ?

J'ai lu deux ou trois dictionnaires mythologiques pour me donner une idée précise de toutes ces légendes qui sont parfois contradictoires. En ce qui concerne Atalante, il y plusieurs versions, mais j'ai pris le parti qu'elle embarquait avec les Argonautes. C'est la seule femme au milieu de pratiquement tous les héros grecs : Hercule, Jason, Orphée, etc. Je sais que je vais avoir quelques défis à relever pour adapter la légende des Argonautes et pour en faire une bande dessinée tout public. Il y a par exemple un épisode qui m'a donné du souci : au cours de leur voyage, les Argonautes débarquent sur une île peuplée uniquement par des femmes qui ont tué leurs maris car ils étaient violents. Il ne peut donc pas y avoir de reproduction et, pour assurer la pérennité de l'espèce, ces femmes demandent aux Argonautes de les féconder. Il a fallu que je trouve des astuces pour raconter cet épisode sans que cela soit choquant. Mais ce genre de contrainte est très motivant. C'est plus un moteur à l'imagination qu'un frein. Pour résumer, je suis cohérent par rapport à la mythologie, mais je la détourne pour en faire un récit lisible par tous.

Pourquoi avoir choisi ce cadre mythologique ?

Je voulais faire de l'heroïc fantasy, mais pas une histoire qui se bornerait à enchaîner les péripéties pour une fille sexy armée d'une grosse épée et poursuivie par un méchant sorcier et un dragon. Mon idée était de raconter une histoire intelligente, en la basant sur des faits historico-mythologiques. J'ai toujours été attiré par les péplums et les récits

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mythologiques grecs. J'aimerais que, suite à la lecture d'Atalante, les jeunes s'intéressent à ces histoires. Car, pour la plupart, ils ne savent pas qui est Jason. Hercule, ils connaissent à la rigueur, grâce au dessin animé de Disney !... La légende d'Atalante est très riche, Elle se termine tragiquement, mais je peux occulter la fin et ne raconter que la jeunesse guerrière d'Atalante. C'est une jeune femme qui a été abandonnée par son père, et qui est dans l'impossibilité d'aimer... Il y a beaucoup de détails qui permettent d'en faire une héroïne de bande dessinée avec une psychologie forte, des pouvoirs extraordinaires, mais aussi beaucoup de failles. Je crois que le piège à éviter avec la mythologie, c'est le classicisme. Avec Atalante, dont le fond est malgré tout tragique, je veux être léger, je veux apporter du bonheur le temps d'un album. Je désirais réaliser des aventures sous le soleil de la Méditerranée, avec des couleurs chaudes.

Atalante n'est donc pas une héroïne sexy de plus ?

J'espère que non ! Jusqu'il y a quelques années, cela ne me dérangeait pas de dessiner des héroïnes pulpeuses et un peu bébêtes, et les représenter dans des poses légèrement scabreuses. Depuis Perdita Queen, je trouve cela dégradant pour la femme, je n'ai plus envie de la représenter simplement comme un objet sexuel. Dans Kookaburra, les deux héroïnes sont des femmes de caractère, pas simplement des potiches. Certes, elles ont une jolie plastique, mais c'est parce que je ne sais pas les dessiner autrement (rires) ! Le physique d'Atalante n'est pas le plus intéressant dans sa personnalité. Ce qui compte, ce sont ses fêlures : le fait d'avoir été abandonnée par son père, l'ourse, sa mère nourricière, qui est tuée devant ses yeux et, bien entendu, le fait que qu'elle n'a pas le droit d'être amoureuse. Toutes ces failles seront développées et exploitées dans les prochains épisodes...