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Jason : un chef raisonnable, humble et effacé

Au-delà d’Atalante, la construction symbolique du féminin

Chapitre 2 : La virilité éparpillée dans Atalante

B. Jason : un chef raisonnable, humble et effacé

Jason, fils d’Aeson et de Polymédé, est élevé par le Centaure Chiron, qui lui apprend la médecine. Il retourne ensuite à Iolcos, d’où son père a été chassé, cédant son pouvoir à son demi- frère Pélias. Couvert d’une peau de panthère, un pied nu, il rencontre Pélias, à qui un oracle a conseillé de se méfier d’un homme qui n’a qu’une seule chaussure. Quand Jason réclame le pouvoir qui lui revient, Pélias lui demande de ramener la Toison d’or. Selon d’autres versions, c’est Jason lui-même qui propose cette quête, ou bien encore c’est Héra, qui le lui suggère, après lui avoir demandé de l’aide pour traverser une rivière, sous l’apparence d’une vieille femme.138

Dans Atalante, Jason est plusieurs fois représenté portant sa peau de léopard, bien qu’il ne la mette pas en permanence (illustration 59).

Illustration 59 (II, p.21, vignette 6).

127 Son histoire est racontée par Argos à Atalante :

Ses parents, le roi Aeson et sa femme, la douce Polymédé, régnèrent avec bonheur, sur la bonne ville d’Iolcos. Ils eurent un fils : Diomède. Mais leur félicité fut de courte durée. Pélias, le frère d’Aeson, jalousait tant d’harmonie ! Prétextant une sombre prophétie, Pélias, le superstitieux, leva une armée et mit Iolcos à sac ! Massacrant tout ce que la ville comptait de notables, espérant ainsi asseoir définitivement son pouvoir. Les souverains se réfugièrent dans le temple d’Athéna. Cela ne suffit pas à retenir les assaillants. Il n’y eut aucun survivant. Du moins c’est ce qu’ils crurent ! Car, une jeune prêtresse avait eu le temps de sauver le nourrisson royal. Les infortunés marchèrent des jours et des jours, sans répit, ne sachant où aller, leurs pas, vraisemblablement guidés par les dieux, ils arrivèrent en bordure de la forêt sacrée du Pélion. Ils s’y enfoncèrent par une nuit de pleine lune. Et, remontant la rivière, ils tombèrent, face à face, avec... Chiron l’immortel ! Le vénérable Centaure fut touché par la détresse de la jeune Vestale. Il lui fit grâce de la vie, et, lui promit de prendre soin du jeune prince. Chiron tint sa promesse au-delà même de toute espérance car une grande amitié se tissa entre les deux êtres. Le sage enseigna tous ses savoirs à l’enfant. Philosophie, médecine, sciences, l’écriture, l’algèbre... Il lui changea même son nom... Désormais, le petit Diomède s’appellerait... Jason ! Il eut une enfance heureuse et équilibrée. Mais, les racines du destin naissent dans le passé de chacun. Chiron savait cela, et il n’avait jamais caché à Jason ses origines. Celui-ci, se sentant prêt, prit un jour la décision de partir et de réclamer son dû ! Chiron lui fit jurer de reconquérir son royaume par la sagesse et non par la violence. Ils se saluèrent, et Jason prit la route d’Iolcos. Lorsqu’un beau matin...

« M’aideras-tu à franchir ce gué ? J’ai fait cette requête à plusieurs jeunes gens, et tous se sont désistés. M’aideras-tu ?

- La rivière est peu profonde et le courant guère violent. Que craignaient-ils ?

- Ce n’est pas la rivière qui les effrayait. Ce qu’ils redoutaient... C’est de se retrouver sur l’autre rive... Au royaume d’Iolcos !

- Iolcos...

- Oui... Iolcos la maudite depuis qu’elle subit le joug de Pélias le tyran. Il tue, ou fait subir mille tourments à ceux qui pénètrent son territoire ! M’aideras-tu ?

- Tu as de la chance, grand-mère. Iolcos est ma destination !

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- Ignores-tu le châtiment réservé à ceux qui franchissent la rivière sans y avoir été conviés ?

- Il y a au palais quelque chose qui m’appartient, et que je me dois de récupérer.

- Qu’est-ce qu’il y a de si précieux à Iolcos qui justifierait qu’un vagabond risque sa vie en s’y rendant ?

- Son trône. (...)

- Qui es-tu, étranger ? Présente-toi !

- Je suis Diomède, fils d’Aeson et de Polymédé. Mais on me nomme... Jason »

Les oracles avaient prédit à Pélias, qu’un homme protégé des dieux, et ne chaussant qu’une sandale, causerait sa perte ! L’avoir ainsi à sa merci, seul et si fragile, le perturba grandement ! Redoutant une ruse divine, il mit le jeune héritier à l’épreuve !

« Ainsi, jeune coq, tu veux devenir roi ! Seul, et, avec pour unique argument, une dague ! Voilà qui force l’admiration ! Tu es soit très courageux, soit complètement inconscient ! Peut-être espères-tu qu’à ta seule présence, se produira un soulèvement populaire ? N’en crois rien ! Je compte dans la ville de nombreux et fidèles partisans. Les affronter plongerait la cité dans un bain de sang. Mais, la réelle question est... Que ferais-tu si tu étais à ma place ? »

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L’histoire de Jason chez Crisse est donc une reprise de sa légende, à ceci près que celle qui suggère la quête de la Toison d’or est Athéna. Comme nous l’avons vu, la présence d’Athéna à ce moment est un signe de l’hyper-protection qu’elle met en place pour Jason : c’est elle qui prend les décisions à sa place. Cela place Jason dans une position de protégé peu capable de décider seul, mais qui agit avec raison, à l’image de sa déesse.

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En effet Jason se distingue des Argonautes par son calme et son caractère raisonnable, des qualités qui font défaut à tous les autres. Il est celui qui apaise les esprits échauffés en cas de tensions : « Arrêtez ! Paix, mes amis, paix ! Ne deviez-vous pas rejoindre Argos au chantier naval afin d’y aider les charpentiers ? » (I, p.21) ; « Tout doux, mes amis, tout doux... Réfléchissons ! Les Satyres sont les amuseurs des dieux. L’avoir à notre bord ne peut que nous être bénéfique ! [ Range ce poignard, Atalante, tu vas finir par blesser quelqu’un ! ] En le protégeant, ils nous protègeront ! Et puis c’est peut-être eux qui nous l’envoient ! Ne provoquons pas leur colère en lui faisant du mal ! » (II, pp.5-6). Il se montre prudent et essaie de désamorcer les conflits par la raison. Il est également bon diplomate, sachant ménager la sensibilité de chacun : « Tiphys, je respecte tes craintes, mais je te demande de suivre nos frères des mers ! » (II, p.16) ; sachant honorer les dieux : « Grand Poséidon... Dieu parmi les dieux. Pardonne une si cavalière intrusion dans ton sanctuaire. Moi, Jason, fils d’Aeson, et mes compagnons, venons en paix. Vois. À tes pieds. Je dépose mes armes ! » (II, p.24). Contrairement à beaucoup de ses compagnons, il respecte ceux qui sont différents d’eux, comme Atalante, dont il accepte la prise en charge totale du sauvetage de Chiron, la qualifiant avec respect de sa valeur de « fougueuse guerrière » (I, p.27) ; comme Pyros, dont il apprécie le conseil : « Peut-être as-tu raison, petit être magique. » (II, p.7). Auprès des Lemniennes, il se montre gêné et peu habitué à la séduction, si bien qu’il ne s’empresse pas, contrairement à ses compagnons : « Que je... Nous... Nous sommes très flat... Heu... Honorés par une telle demande, majesté... Nous... » (II, pp.26-27) ; « Majesté, ce serait grand honneur ! Mais comprenez que j’en réfère à mes compagnons ! » (II, p.30) ; « Majesté, je... Enfin... Le vin est excellent, et vous êtes fort belle. Mais... Je... (...) Ce n’est pas ça, mais, sans séduction, la chose me semble mécanique ! » (II, p.32). Enfin, c’est lui qui fait de la poésie, comme pour pallier l’attitude d’Orphée qui aurait dû être le poète de l’aventure : « Orphée, crois- tu que les mouettes naissent des mouchoirs qu’on agite au départ des bateaux ? » (II, p.47). Cette image provient d’une phrase célèbre de l’écrivain espagnol d’avant-garde Ramon Gomez de la Serna : « Les mouettes naissent des mouchoirs que l'on agite au départ du bateau » (Textes écrits de 1910 à 1962, réunis dans le Greguerias, paru en 2005). Sensible, calme, réfléchi, Jason semble ne

posséder que des qualités.

Pourtant, il a le défaut d’être trop effacé. Il dirige l’expédition, mais il ne cesse de demander aux autres leur avis, ce qui montre qu’il a besoin d’être approuvé et d’être guidé. C’est d’ailleurs lié à la présence d’Athéna, qui l’envoie chercher la Toison d’or et qui se charge de demander à Poséidon de laisser l’Argo naviguer en paix. Mais Athéna n’est pas toujours là pour décider à la place de Jason et cela le gêne. Quand Argos lui conseille de prendre la haute mer, Jason préfère ne pas décider seul : « Hum... Il faudrait demander à Tiphys ce qu’il en pense. » (II, p.7). C’est Pyros qui

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lui donne l’idée de demander à Athéna : « Interroge la poupe !!! L’Argos140 est sous la protection

d’Athéna ! La poupe est à son effigie, et... la branche dans laquelle elle est sculptée, elle te l’a offerte. » (II, p.7). Quand la déesse le rassure sur la traversée, c’est encore Pyros qui explique à Jason qui sont les guides dont a parlé Athéna, car celui-ci l’ignorait (II, p.14). À Samothrace, c’est d’abord Atalante qui prend naturellement sa place de meneur : « Je suis sûr qu’il faut aller par là ! Atalante !!! » insiste-t-il, mais Atalante suit son instinct et Jason est obligé de lui faire confiance (III, p.8). Puis c’est Héraclès, plus dynamique que lui, qui lui impose un chemin malgré ses vagues protestations : « Héraclès, non ! Je... Tu... Attends ! ...Suivons-le. » (III, p.21).

On peut donc penser que Jason possède toutes les qualités d’un homme remarquable, mais qu’il lui manque encore de la confiance en soi pour imposer ses décisions aux autres. En restant trop effacé, il ne parvient pas à dominer les défauts de ses compagnons. Ce qu’il lui manque, c’est un apprentissage de son statut de meneur. Mais qui pourrait le lui enseigner ? Il n’a pas dans son entourage de modèles suffisamment convaincants. En attendant qu’il grandisse, sa position permet de mettre Atalante en avant.

La symbolique qui se dégage de tous ces héros donne une piètre image des hommes. Violents, prétentieux, obsédés par les femmes, grossiers, ils sont rendus ridicules par leur comportement. Si se démarquent quelques caractères positifs, ils sont loin de compenser la masse des défauts présentés par les autres. L’image négative des hommes qui ressort de tous ces personnages censés être exemplaires en fait des rustres, qui ne peuvent plaire aux femmes. On l’a vu, Atalante s’oppose fréquemment à eux et ne ressent pas le désir de se rapprocher de l’un d’entre eux. D’ailleurs, aucune femme n’en tombe amoureuse, si on se souvient que les Lemniennes les séduisent uniquement parce qu’elles ont besoin d’être fécondées. Ne sont-ils donc utiles que pour perpétuer la race humaine ? Leur faible position permet en tout cas de valoriser les personnages féminins et notamment Atalante.

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III. Les créatures masculines : le miroir inversé de l’humanité

Dans cet univers mythologique et fantaisiste se présentent diverses créatures masculines. Bien différenciées des hommes par leur physique et leurs pouvoirs surnaturels, elles ne délivrent pas de vérité sur ce que sont les hommes, mais elles peuvent montrer par contraste ce qu’ils ne sont pas.