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Au-delà d’Atalante, la construction symbolique du féminin

Chapitre 2 : La virilité éparpillée dans Atalante

A. Les pères absents

Tout comme on trouve des exemples de mères et d’épouses dans Atalante, on trouve des

exemples de pères. Ils sont deux fois plus nombreux que les mères, ce qui sous-entend que leur importance est plus grande. Or, leur présence en tant que pères est inexistante...

a. Aeson, l’amour n’empêche pas la mort

Aeson est le père de Jason. Roi d’Iolcos, il est dépouillé de son trône par son demi-frère Pélias. Une fois Jason parti à la quête de la Toison d’or, Pélias condamne Aeson à mort. Celui-ci demande la faveur de choisir sa mort et se suicide en s’empoisonnant.153

Crisse présente Aeson comme un bon roi et un bon époux. C’est un roi heureux, qui rend la vie douce à Iolcos, et qui vit en harmonie avec sa femme Polymédé (II, p.9). On ne sait pas quel père il est avec Jason, car il n’a pas le temps de s’en occuper. Il meurt peu de temps après sa naissance, massacré par l’armée de Pélias. Cette mort prématurée permet de conserver une image émouvante de ce père. Bon roi et bon époux, on suppose naturellement qu’il aurait été un bon père, et son assassinat rend l’histoire tragique. Malheureusement, ce bon père est absent pour Jason, qui doit trouver des pères de substitution, auprès du Centaure Chiron, qui est plutôt un précepteur, et auprès de sages Argonautes comme Argos, mais qui sont des modèles défaillants, nous l’avons vu.

b. Thoas, la culpabilité de l’inaction

Thoas est le roi de Lemnos et le père d’Hypsipyle. Quand les Lemniennes décident de massacrer tous les hommes de l’île, Hypsipyle ne peut se résoudre à tuer son père : elle le dissimule et le met à la mer dans une vieille embarcation, afin qu’il accoste plus loin et soit sauvé.154

Dans la version de Crisse, le châtiment des Lemniens est donné par Poséidon, qui tue certains et métamorphose les autres en dauphins. Thoas n’échappe pas à la punition, mais a un traitement de faveur : « Même Thoas (...) fut changé en seigneur des mers ! » (II, p.29). Il n’est pas métamorphosé en dauphin comme les autres Lemniens, mais en baleine, animal imposant et

153Ibid., « Aeson », p.16. 154Ibid., « Thoas », p.457.

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majestueux. Cette distinction peut simplement venir du fait que Thoas est roi et que la baleine est considérée comme le « seigneur des mers », mais Hypsipyle avance une autre raison à cette faveur du dieu. Si tous les Lemniens sont brutaux et infidèles, ce n’est pas le cas de Thoas : « Thoas, dont le seul tort fut de ne pas user de sa sagesse pour empêcher les hommes de l’île de sombrer dans la folie » (II, p.29). Thoas était donc un homme sage. Seulement sa sagesse n’allait pas jusqu’à raisonner ces sujets qui rendaient malheureuses les femmes de l’île. Son tort est donc d’avoir laissé faire les Lemniens, de n’avoir pas agi, alors qu’il était le roi. Thoas lui-même en est conscient, puisque par culpabilité il aide à sa fille à gouverner en lui donnant des conseils : « Mon père, souvent, se glisse dans mes songes et me chante ses regrets. » (II, p.29) ; « Mais, dans mes rêves, l’âme de Thoas m’a prévenue de votre venue ! Vous êtes ceux que nous attendions !!! » (II, p.26).

c. Pélias, le fils-pion

Pélias est le demi-frère d’Aeson, roi d’Iolcos, dont il usurpe le trône. Un jour, l’oracle de Delphes lui dit se méfier d’un homme qui n’aurait qu’un seul pied chaussé. Or, quand il convoque ses sujets pour célébrer son accession au trône, Jason, le fils d’Aeson, arrive avec une seule chaussure, l’autre ayant été perdue en traversant une rivière. Pélias lui demande alors ce qu’il ferait, s’il était roi, à un homme appelé à le détrôner. Jason répond qu’il l’enverrait chercher la Toison d’or. Pélias l’envoie alors la chercher. Acaste, le fils de Pélias, prend également part à cette expédition, contre la volonté de son père.155

Dans Atalante, Acaste est présent aux côtés de Pélias quand celui-ci rencontre Jason. Le père

et le fils sont vêtus et armés de la même façon, comme deux combattants (illustration 72).

Acaste se montre dévoué à son père, agissant comme son garde du corps ou son second. Sur la rive, c’est lui qui informe Pélias de l’arrivée de Jason :

« Père, regardez... En voilà encore deux qui tentent la traversée !

- Envoie-les rejoindre le royaume d’Hadès. Attends, Acaste. Il me vient comme un doute ! » (II, p.11).

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Illustration 72 (II, p.11, vignette 7). Acaste obéit au moindre ordre de Pélias, bandant et abaissant son arc selon ce qu’il lui demande. Il réagit vivement quand Jason revendique le trône de son père : « Impudent ! Comment oses-tu t’adresser ainsi au grand Pélias ? Tu... » (II, p.12). Il se prépare à tirer une flèche, quand son père l’arrête d’un geste. Acaste se comporte comme un garde du corps, habitué à agir au moindre danger ou à la moindre insolence. Enfin, contrairement à la légende, Pélias impose la présence d’Acaste dans l’expédition de Jason : « Je vais te financer la construction d’une galère pour t’y rendre ! Mais à une condition ! Mon fils Acaste t’accompagnera !!! » (II, pp.13-14). Argos donne une explication à cette décision : « Le vieux fourbe fit d’une pierre deux coups ! Les deux prétendants au trône dans la même galère, se surveillant l’un l’autre ! » (II, p.14).

La relation entre Pélias et son fils se révèle assez malsaine. Certes, il élève son fils, il va même jusqu’à le garder auprès de lui pour surveiller son royaume. Mais il ne montre pas le moindre sentiment pour lui, il donne plutôt l’impression de se servir de lui pour sa propre gloire : il l’utilise comme garde du corps qui lui obéit au doigt et à l’œil, puis il l’envoie espionner Jason pendant sa quête. On sous-entend même que l’envoi d’Acaste en Colchide pourrait rendre un double service à Pélias : si Acaste s’assure que Jason ne réussit pas et si, au cours de ce voyage dangereux, il meurt accidentellement, Pélias se débarrasse de deux héritiers potentiels, ce qui l’assure de régner sans rival. Son fils n’est donc qu’un pion qu’il déplace à son gré, tantôt pour se protéger, tantôt pour ne pas être gêné par sa présence.

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d. Iasos, le mépris des femmes

Iasos est le père d’Atalante. Ne voulant que des garçons, il expose sa fille à sa naissance sur le mont Parthénion.156

L’abandon d’Atalante par Iasos est repris par Crisse. Iasos refuse en effet d’avoir une fille : « C’est une fille ! Et je vous avais demandé un fils !!! » (I, p.3). Il explique pourquoi : « J’avais besoin d’un fils ! Grand, vigoureux... Qui me succèderait sur le trône. Pas d’une pleureuse comme sa mère qui passe sa vie à se lamenter. » (III, p.40). Iasos est en réalité phallocrate, il considère qu’une fille n’a pas la capacité de lui succéder, car les femmes sont des êtres faibles. Ces convictions se voient dans le comportement qu’il a envers son épouse. Quand elle le supplie de laisser Atalante en vie, il la repousse et ne change pas d’avis (I, p.3). Quand elle pleure toujours leur fille disparue, il ne montre que du mépris pour elle, lui reprochant de pleurer (III, p.40). C’est donc un homme insensible et cruel avec les femmes en général, fille ou épouse.

Dans cet éventail de paternité, du père le plus aimant au père le plus méprisant, un élément commun apparaît. Qu’ils soient aimés de lui ou non, les enfants ne peuvent pas compter sur leur père, qui est toujours absent, de quelque façon que ce soit.