• Aucun résultat trouvé

Le savoir comme une ressource cognitive pour la résolution de problèmes

Partie 3 : Savoirs épisodiques et récits expérientiels

1. Typologie des savoirs et spécificités des savoirs épisodiques

1.1. Le savoir comme une ressource cognitive pour la résolution de problèmes

Le savoir est un concept particulièrement discuté dans le champ ergonomique : parfois considéré comme une connaissance abstraite ou à l’inverse comme une habileté très spécifique, ce concept est défini très différemment selon le contexte. C’est pourquoi nous nous attacherons ici à spécifier le concept de savoir vis-à-vis des notions dont il est rapproché le plus souvent (les notions de connaissance et de compétence), afin de l’identifier précisément en tant que ressource cognitive pour la résolution de problèmes.

Une des caractéristiques du savoir communément admise (Rasmussen, 1983 ou Sauvagnac, 2000) est le fait que son élaboration soit permanente, active et réflexive : un savoir « se compose d’un ensemble de thèses et de questions à partir desquelles une activité peut être conduite ou une information acquérir un sens en générant, le cas échéant, de nouvelles thèses ou de nouvelles questions » (Sauvagnac, 2000). Cela signifie que le savoir est une ressource cognitive dynamique et évolutive. Il se construit grâce au raisonnement à base de cas, ce qui suppose « une évolution par adaptation quand la solution gardée en mémoire doit être modifiée pour s’adapter à un nouveau problème ». Autrement dit, il est nécessaire que ces ressources stockées en mémoire évoluent pour s’adapter aux nouvelles situations. La solution pour que ces ressources ne restent pas une bibliothèque de situations juxtaposées, consiste pour l’individu à mettre en œuvre un travail d’abstraction et d’organisation de ces informations (Piaget, 1974).

Les processus mis en œuvre permettent alors l’évolution de ces ressources cognitives par un mécanisme de déséquilibre/retour à l’équilibre (Piaget, 1974), et c’est la recherche d’un nouvel équilibre cognitif qui constitue le travail réflexif ; ce processus continu permet aux ressources cognitives acquises dans des circonstances diverses et par le biais de la perception et de l’expérience, de rester dynamiques et évolutives.

32

L’objectif de ce travail réflexif est de permettre à l’individu d’organiser ses conduites et de dominer la réalité selon ses besoins d’adaptation, ce que Rasmussen & al. (1990) nomme les

préférences, c'est-à-dire « l’espace dans lequel les opérateurs peuvent naviguer librement selon leurs

ressources individuelles et leurs critères subjectifs de performance tout en satisfaisant aux exigences de la tâche ». Ces préférences intègrent les spécificités de l’activité et de l’opérateur (Valot,

& al., 1999) ce qui lui permet de choisir une stratégie en fonction de lui-même : en s’appuyant sur son expérience, il peut alors anticiper un certain nombre de situations, mieux y répondre et limiter son stress.

Dans ce sens, le concept de savoir est à rapprocher du concept de compétence. Celle-ci représente une possibilité qu’a une personne d’agir dans un domaine déterminé, ce qui suppose « des ensembles de savoirs et de savoir-faire, de conduites types, de procédures standard, de types de raisonnement qu’on peut mettre en œuvre sans apprentissage nouveau » (De Montmollin, 1986). La compétence est finalisée et ne peut pas être définie en dehors du contexte dans lequel elle opère ; c’est une ressource cognitive liée à l’action, alors que le savoir peut rester une potentialité inexploitée.

Cependant cette question du lien entre le savoir et l’activité à laquelle il est associé est très discutée ; selon le sens donné au concept de savoir, il est possible de considérer le savoir comme une ressource cognitive décontextualisée (Sébillotte, 1993), ou au contraire d’identifier le savoir comme impossible à déconnecter de l’épisode de l’expérience dont il est issu sans remettre en cause cette expérience (Hatchuel, 2005). Dans ce dernier sens, le savoir possède une valeur « située », c'est-à-dire qu’il ne peut pas être déconnecté du contexte dans lequel il a été émis, ce qui caractérise également les compétences.

Le lien entre le savoir et l’activité à laquelle il est connecté permet également de comparer le concept de savoir et celui de connaissance. Les deux concepts sont parfois utilisés comme synonymes, mais dans le cas où le savoir est lié à un épisode expérientiel, il devient une ressource cognitive subjective et dépendante de l’individu, alors que la connaissance est vérifiable et possède un caractère universel et objectif qui renvoie à un critère de vérité (Sauvagnac, 2000).

33

Ces deux comparaisons du concept de savoir vis-à-vis des concepts de compétence et de connaissance offrent la possibilité de confondre le savoir avec chacun des deux concepts ou au contraire de le spécifier selon que l’on considère le savoir comme contextualisé ou non.

Le choix réalisé pour cette étude est de distinguer et de prendre en considération les trois sortes de savoirs définis par Sébillotte, Hatchuel et Sauvagnac : ainsi, plusieurs sortes de ressources cognitives sont regroupées sous le concept général de savoir.

Cette distinction permet dans un premier temps d’identifier deux types de ressources utilisables par l’opérateur lors d’une résolution de problème : des savoirs liés à un épisode de l’expérience et des savoirs décontextualisés :

1.1.3. Savoirs théoriques et savoirs épisodiques

 des savoirs tels que définis par Hatchuel (2005) notamment, c’est à dire liés aux situations dans lesquelles ils ont été élaborés et aux individus pour lesquels ils prennent sens, autrement dit épisodiques,

 des savoirs que nous appellerons théoriques, c'est-à-dire non pas issus de l’expérience ou de la pratique mais décontextualisés ainsi que le définit Sébillotte (1993), le plus souvent issus de la formation et de la théorie.

Nous distinguerons donc dans cette thèse les savoirs théoriques - c'est-à-dire des informations décontextualisées - des savoirs épisodiques - c'est-à-dire des ressources créées à partir de situations particulières vécues par des individus spécifiques. Ces deux origines potentielles des savoirs se retrouvent dans le modèle de double régulation de l’activité en situation de travail (Rogalski & Marquié, 2004). Ce modèle illustre la complémentarité des deux types de savoirs et permet d’analyser les apprentissages issus de la confrontation à l’expérience en situation (savoirs épisodiques), et ceux issus des savoirs de « référence » (théoriques). Les savoirs d’origine épisodique y sont considérés comme une ressource disponible faisant de chaque expérience passée de chaque individu une ressource pour son activité présente de résolution de problèmes.

34

Les dispositifs de formation existants donnent souvent la priorité à l’acquisition de savoirs théoriques (Wagemann & Percier, 1995) : or la résolution de problèmes décontextualisés et bien structurés tels que rencontrés en formation et basés sur les savoirs théoriques, ne prépare pas à la réalité des problèmes rencontrés dans les systèmes à risques (complexes et non structurés). Ce type de problèmes nécessite l’acquisition de savoirs épisodiques (Jonassen & Hernandez-Serrano, 2002). C’est dans cette optique d’identification de ressources pour la gestion des risques que les savoirs épisodiques ont été étudiés dans ce travail de recherche.

Cette première distinction basée sur la provenance des savoirs - ils peuvent être issus de l’expérience et être épisodiques, ou être décontextualisés et donc théoriques - n’est pas suffisante pour comprendre en quoi les savoirs épisodiques offrent des possibilités différentes de celles offertes par les savoirs théoriques pour la résolution de problèmes. Pour cela, il faut déterminer également à quel type de contenu et à quel type d’usage les savoirs épisodiques sont destinés.

35