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Intérêt des épisodes issus du collectif dans la résolution de problèmes

gestion des risques

2. Utilisation des récits expérientiels dans la gestion des risques

2.2. Intérêt des épisodes issus du collectif dans la résolution de problèmes

Contrairement à la mémoire épisodique, la mémoire organisationnelle n’est pas un outil individuel, mais un outil collectif. Il s’agit d’une construction (virtuelle ou non) de savoirs qui se réalise par une activation des souvenirs individuels, une mise en commun de ces souvenirs et un travail réflexif individuel et collectif. La mémoire organisationnelle doit capturer le savoir, mais surtout le redistribuer (Bannon & Kuuti, 1996 ou Orr, 1996). Dans le cas contraire (comme pour certaines bases de données de retour d’expérience), la capture et la mémorisation d’un épisode restent inexploitées donc inutiles.

L’individu sait donner du sens à son expérience à travers l’analyse qu’il fait des épisodes : il est donc nécessaire que l’organisation fasse de même et se considère comme la somme de l’expérience des individus et de leurs analyses individuelles (Bannon & Kuuti, 1996). En effet, l’exploitation collective du stock d’épisodes de cette mémoire organisationnelle doit permettre la construction de ressources pour la résolution de problèmes utiles à tous.

Par ailleurs, ce stock collectif d’histoires permet l’accès à une vision collective de l’activité et permet donc de mieux cerner les intentions et états d’esprits des membres de la communauté de pratique. Il devient alors plus facile d’y interagir en accord avec ses préférences (Sauvagnac, 2000) et celles des autres.

Ce concept de mémoire organisationnelle existe parfois déjà de façon informelle ; certains retours d’expérience sont efficaces et accessibles sans bases de données organisationnelle. C’est le cas chez les contrôleurs, où les war stories peuvent être utilisées dans un objectif de partage

d’expérience (Owen, 2006). Ces war stories sont des épisodes supportés informellement par la

mémoire collective, et non contenus dans une base de données de retour d’expérience organisationnelle. On peut dès lors considérer que cette pratique informelle de partage de récits expérientiels constitue une forme de mémoire organisationnelle à échelle locale.

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La résolution de problèmes à partir d’épisodes partagés collectivement peut aussi se réaliser individuellement : ainsi les experts mémorisent des épisodes et les connaissances tactiques associées sous la forme d’images complexes et dynamiques, dont des fragments (voire la totalité) jouent un rôle en situation critique (Flin & al., 1998).

D’autres travaux désignent le rôle des expériences antérieures comme guide dans les prises de décision des pilotes en situation critique (O'Hare & Wiggins, 2000, ou Pétolas, 2005) : les épisodes utilisés en gestion de situation critique ne sont pas exclusivement des épisodes issus de l’expérience personnelle, mais aussi des récits expérientiels partagés localement. Plus de la moitié des

pilotes interrogés peuvent fournir des exemples de situations où un épisode (issu de l’expérience personnelle ou non) leur a permis de gérer une situation critique. Dans le même ordre d’idée, on peut noter la pratique actuelle d’un usage formalisé d’épisodes issus du collectif dans certaines formations à la gestion des risques (formation de type Crew Resource Management ou CRM).

Les épisodes évoqués lors de résolution de problèmes ne sont donc pas exclusivement des épisodes issus de l’expérience personnelle mais parfois des épisodes antérieurs similaires vécus par d’autres individus (O'Hare & Wiggins, 2000 ou Larsen, 1986). Les opérateurs se basent sur ces expériences antérieures pour construire une stratégie adaptée à la situation nouvelle. Cette capacité des opérateurs à collecter des épisodes et à les partager socialement est considérée comme un facteur déterminant pour l’accroissement des compétences en système complexe (Larsen, 1986).

Les travaux de Orr (1996) montrent justement comment un système d’aide à la résolution de problèmes individuel apparu comme inefficace, a été remplacé avec succès par un système type talkie-walkie qui permettait de communiquer sur les problèmes rencontrés au fur et à mesure : les réparateurs se parlaient à travers la radio en se racontant des épisodes passés et en reconstituant la panne probable (fonctionnement de forum) alors qu’ils n’utilisaient pas le manuel (manifestement inadapté). Ce système a permis non seulement de capitaliser et d’actualiser des connaissances dispersées mais aussi de renforcer la cohésion, la créativité et l’identité de cette communauté de pratique. L’exemple de ce collectif indique l’intérêt qu’il peut y avoir à encourager le partage de récits expérientiels, à encadrer cette spontanéité, à la nourrir et à la

canaliser.

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Synthèse : Utilisations des épisodes dans la gestion des risques

Le raisonnement à base de cas permet d’utiliser un épisode préalablement stocké en mémoire épisodique pour résoudre un problème posé par un épisode présent. Dans le cas des récits expérientiels, c’est l’émetteur qui va proposer un épisode qu’il estime adéquat au récepteur parce que celui-ci ne possède pas d’épisode lui permettant de résoudre le problème. Un travail de réflexion est ensuite dévolu au récepteur : celui-ci peut parfaitement dédaigner l’épisode car il le considère comme inutile, le mémoriser sans l’utiliser car il estime l’épisode immédiatement inadéquat, ou mémoriser et réfléchir sur cet épisode en le comparant au problème qui lui est soumis.

Les épisodes partagés collectivement à travers les récits expérientiels et stockés dans les mémoires épisodiques individuelles permettent des lectures multiples des savoirs qu’ils contiennent. Ainsi tous les savoirs épisodiques, même ceux qui ne sont pas utilisables immédiatement, restent disponibles pour une utilisation ultérieure. En effet, la mémoire humaine est plus plastique que la base de données la plus performante, et permet de renouveler sans cesse les critères de recherche ou les catégorisations des cas. Pour alimenter cette mémoire, le partage de récits expérientiels est une ressource complémentaire riche et socialement valorisée : ce partage a lieu dans les espaces informels de l’activité et concerne des aspects de l’activité que la formation formelle n’a pas forcément les possibilités d’explorer (manque de temps, de moyens, etc.).

On peut donc dès lors supposer que les savoirs épisodiques supportés concernent eux aussi des aspects de l’activité peu explorés par la formation formelle, et qu’ils complètent ainsi des savoirs plus généraux, comme ceux contenus dans les bases de données de retour d’expérience. Des concepts tels que la mémoire organisationnelle permettent de comprendre l’intérêt qu’il peut y avoir à encourager le partage de récits expérientiels.

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Les épisodes véhiculés par les récits expérientiels, contrairement à ceux supportés par une base

de données classique, ne sont pas rattachés à une famille d’épisodes plus large permettant l’adoption d’une parade toute prête. La mémoire épisodique (où les épisodes sont stockés) est « neutre » et ce sont les processus de rappel et les intentions de l’individu qui orientent l’analyse de l’épisode remémoré. Ainsi, un même épisode peut être « relu » sous différents angles en fonction des besoins. Il peut par exemple être utilisé pour gérer des situations problématiques.

Cette bibliothèque d’épisodes ainsi constituée offre également des possibilités pédagogiques : l’instructeur, ayant identifié quelle information pertinente manque à l’élève pour gérer la difficulté posée par l’épisode déclencheur, peut chercher dans sa bibliothèque un épisode possédant la même information. En proposant à l’élève de réaliser une analogie à partir du récit qu’il vient de faire, il lui donne la possibilité d’identifier à son tour quelle est l’information pertinente. En effet, il est plus facile de discriminer l’information pertinente et de construire un savoir à partir de deux épisodes que d’un seul (Gick & Holyoak, 1980 ou 1983).