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Insuffisance des savoirs théoriques pour la formation à la gestion des risques

gestion des risques

1. Prise de décision dans les situations dynamiques

1.2 Insuffisance des savoirs théoriques pour la formation à la gestion des risques

Le pré-requis principal à une résolution de problèmes efficiente dans un système à risques est la qualité de la représentation qu’a l’opérateur du système dans lequel il évolue et des ressources qu’il peut y consacrer. L’amélioration et l’augmentation de ces ressources est l’objectif poursuivi par les formations de gestion des risques : en identifiant les pièges du système et les fragilités de l’être humain, elles doivent permettre à l’opérateur de réagir en prenant un minimum de risques dans toute situation inconnue. Pour construire cette représentation, l’individu dispose notamment des savoirs théoriques qu’il apprend en formation.

Après une période de déclin dans l’aéronautique militaire française, le taux d’attrition (appareils et personnels) stagne depuis plusieurs années. On suppose donc que les savoirs abordés en formation (savoirs théoriques) et leur mise en pratique ne suffisent pas à éviter tout accident.

En effet, les formations à la gestion des risques sont basées sur l’apprentissage de résolution de problèmes bien définis, alors que les situations critiques réelles présentent des caractéristiques plus floues (Hernandez-Serrano & Jonassen, 2002 ou Hernandez-Serrano & Jonassen, 2003). C’est pourquoi les opérateurs formés uniquement à partir de savoirs théoriques sont en difficulté face à des résolutions de problèmes dynamiques et réalistes (Pastré, 1999).

Pourtant ces savoirs théoriques sont fortement valorisés : le point de vue dominant reste celui exposé par Bainbridge (1983) ou Wagemann & Percier (1995) qui considèrent que la compétence d’un superviseur de système à risque est basée sur des savoirs lui permettant de détecter et d’interpréter au mieux les dysfonctionnements potentiels. Or ces savoirs sont des savoirs essentiellement appréhendés en formation, donc théoriques.

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Cette persistance des accidents tient notamment au fait que les situations dans lesquelles ces accidents surviennent ne sont pas prévues et encore moins anticipées par les dispositifs de formation existants car elles sont par nature imprévisibles. En effet il est difficile de connaître et de maîtriser l’ensemble des variables d’un système complexe, et donc de prévoir toutes les situations à risques. Par conséquent, il est difficile de former à la résolution de problèmes imprévisibles (Bisseret, 1984).

Or, lors de ces situations critiques, chaque individu doit gérer le problème avec les ressources dont il dispose : d’une part les ressources construites au fil de son activité (règles d’action, métaconnaissances, etc.), d’autre part les ressources contingentes aux circonstances (état psychologique et physiologique, connaissance des éléments du contexte, etc.).

Dès lors, on ne peut que constater l’inégalité des ressources individuelles (expériences vécues, niveau d’expertise, habitudes déjà mises en place, limitations physiologiques variables, connaissances de ses propres limites, etc.) face à ces situations. Dans une même situation, un individu peut échouer à résoudre le problème alors qu’un autre peut réussir à surmonter la difficulté.

De plus, aucune situation ne se reproduit à l’identique. D’une part parce que ces situations sont multifactorielles et qu’il existe une faible probabilité pour que toutes les circonstances soient identiques (dans le cas de l’aéronautique, une météo équivalente, une mission identique, le même appareil ayant conservé les mêmes caractéristiques techniques et la même fiabilité, un trafic civil semblable, etc.), d’autre part parce que certains facteurs sont difficiles ou impossibles à anticiper tels que le trafic de l’aviation de loisir, les oiseaux, la fatigue d’un équipier, la fiabilité du contrôle aérien, etc.

Ainsi, parallèlement au fait que les opérateurs soient inégaux face aux situations à risques, ces situations à risques ne se reproduisent jamais à l’identique. En dépit du fait que cela soit leur objectif principal, il est donc impossible pour les opérateurs de connaître toutes les situations possibles et d’être capables de toutes les gérer.

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Les systèmes actuels d’aide à la décision sont conçus à partir de règles déjà connues. Ils ne peuvent donc pas résoudre les situations pour lesquelles le concepteur ne les a pas programmées. Et le concepteur ne peut les y avoir préparés, ne connaissant pas lui-même toutes les situations problématiques futures.

Ainsi, tout système ne peut être qu’un système d’aide et non un système de résolution de problèmes, dans la mesure où il ne propose de solutions qu’à un nombre limité de situations. Or ce nombre est infini -ou du moins indéterminable- compte tenu de la quantité grandissante et de la qualité des facteurs composant ces situations. La place de l’opérateur reste donc fondamentale : ses capacités de raisonnement ne peuvent pas être remplacées par un système d’aide, peut être plus fiable théoriquement, mais limité.

En effet, ces systèmes ne savent pas réagir face à des situations non prévues, et ce qu’ils proposent alors à l’opérateur peut aller de la simple mention d’impuissance du système à une proposition par défaut d’une solution adaptée à une situation proche mais non identique ; dans le premier cas, l’opérateur est renvoyé à ses propres ressources pour gérer la situation, dans le second, il pense appliquer une solution à une situation clairement identifiée, alors que celle-ci est potentiellement inadaptée, et donc dangereuse.

C’est pourquoi Bainbridge (1983) souligne l’ironie du fait que plus un système de contrôle est automatisé, plus la contribution de l’opérateur humain y est cruciale : la résolution de problèmes reste une activité fondamentalement humaine, et primordiale dans la gestion d’un processus à risques.

1.2.3. Limite intrinsèque des savoirs théoriques en tant que ressources à la gestion des risques

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Synthèse : Prise de décision dans les situations dynamiques

Les situations dynamiques exigent de la part de leurs superviseurs une activité de gestion des risques. L’acquisition des savoirs nécessaires à cette gestion des risques se réalise selon un processus progressif ; il est tout d’abord nécessaire d’identifier au préalable les savoirs à acquérir pour construire les situations d’apprentissage. Il s’agit ensuite de modifier progressivement la complexité initiale de la situation de référence en fonction des objectifs d'apprentissage. Autrement dit, ce sont les savoirs visés qui vont configurer la situation d’apprentissage.

La formation actuelle n’est cependant pas suffisante pour éviter tout accident. D’une part parce que les problèmes que les élèves ont à résoudre en formation n’ont pas la complexité des situations réelles, et d’autre part parce que toutes les situations ne peuvent être anticipées : il est donc impossible de prévoir des parades pour toutes les situations critiques potentielles. Par ailleurs, chaque individu étant unique, il gérera une même situation très différemment de ce que ferait un autre individu dans les mêmes circonstances.

Il est donc nécessaire d’identifier des ressources différentes de celles proposées par la formation (savoirs théoriques), afin de doter chaque individu de ressources adaptées pour résoudre les nouveaux problèmes.

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