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Partie 5 : Études empiriques

3. Perspectives théoriques

Cette thèse dresse un inventaire des épisodes existants auxquels l’individu peut être confronté dans son activité professionnelle, notamment les épisodes issus de son expérience, ceux issus du collectif et ceux issus de l’organisation. Ces épisodes dotent l’individu de ressources pour la gestion de situations critiques et favorisent donc sa résilience. Cependant tous les types d’épisodes ne présentent pas les mêmes caractéristiques et donc les mêmes atouts pour la formation ou l’activité. C’est pourquoi il existe un véritable intérêt à étudier chaque sorte d’épisode : plusieurs aspects sont à identifier tels que la fiabilité du contenu selon l’origine de l’épisode, son potentiel pédagogique, sa plasticité, son impact émotionnel, etc. Déterminer les avantages et les limites de chaque type d’épisodes permettrait de mieux comprendre et de mieux utiliser ce qui est déjà présent dans l’activité et qui est aujourd’hui encore relativement peu exploité.

3.2. Repenser les systèmes de retour d’expérience existants et les

réglementations en tenant compte des récits expérientiels

Une des questions explorée dans cette thèse est la position du partage de récits expérientiels

vis-à-vis du retour d’expérience organisationnel. Les bases de données de retour d’expérience cherchent à abstraire un savoir théorique à partir d’un regroupement strict de plusieurs épisodes ; le partage de récit expérientiel propose au contraire un nombre de rapprochements potentiellement

infini grâce à la rumination que l’individu peut réaliser à partir de sa bibliothèque d’épisodes. Il permet à l’individu de se focaliser sur l’analyse détaillée d’un épisode, analyse qui peut ensuite être utilisée de trois façons différentes :

3.2.1. Le partage de récits expérientiels révèle les limites des systèmes de retour d’expérience

 Utiliser les savoirs épisodiques identifiés pour mieux comprendre un épisode déclencheur,

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 Comparer l’épisode avec d’autres épisodes et créer des rapprochements ou une nouvelle classe de situations.

Ces trois usages potentiels font du partage de récits expérientiels une ressource très plastique

pour la constitution de ressources dans la gestion des risques.

Le partage de récits expérientiels associé aux processus cognitifs de la mémoire épisodique et à

l’activité de rumination, offre donc de nombreuses possibilités à l’individu de développer des ressources face à la gestion de problème. Ces ressources complètent celles offertes par l’organisation, et les dépassent même quantitativement : en effet 39,4 % (36,6% pour la troisième étude) des épisodes utilisés en gestion de situation critique proviennent du partage de récits expérientiels, alors qu’elles sont seulement de 4 % (7% pour la troisième étude) concernant les

épisodes d’origine organisationnelle.

Par ailleurs, quasiment aucun épisode d’origine organisationnelle évoqué n’est un épisode directement issu d’une base de données de retour d’expérience : ces épisodes d’origine organisationnelle sont soit des épisodes utilisés comme cas d’école en formation, soit des épisodes lus au travers de supports papier fourni par l’organisation, soit des cas médiatisés pour le grand public. Ce n’est donc a priori pas le rôle principal des bases de données que de fournir des

épisodes pour la gestion des situations critiques à travers l’évocation.

Cette faible proportion attribuée aux épisodes d’origine organisationnelle indique que les outils existants sont peu utilisés comparativement aux ressources offertes par le collectif, soit parce que ces dernières sont plus performantes, soit parce que ces bases de retour d’expérience sont peu utilisables dans ce cadre. Il ne s’agit pas pour autant d’éliminer les bases de données de retour d’expérience : celles-ci constituent notamment des ressources essentielles pour repérer des failles organisationnelles ou réglementaires et y remédier (Urban, 2004).

On peut donc également envisager le partage collectif d’expérience comme un dispositif de retour d’expérience informel : celui-ci a pour vocation de compléter la prescription, tout en présentant l’avantage de laisser une grande souplesse dans l’utilisation qui peut être faite des savoirs épisodiques liés aux épisodes racontés.

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L’ensemble des résultats obtenus pour cette thèse indiquent le rôle important des savoirs épisodiques, alors que les recherches réalisées concernant la formation et les modèles de la résolution d’incidents insistent sur les savoirs théoriques. Or ceux-ci ne semblent pas suffisants pour éviter tout accident et nécessitent d’être complétés par d’autres dispositifs. Aristote insistait sur le fait que « la raison (…) dépend plutôt de l’expérience accumulée au gré des situations particulières : cette expérience pratique apporte la sagesse - la phronésis - qui est différente de

l’appréhension abstraite associée à la science - l’épistémé ». Selon ce point de vue, ce sont les

savoirs épisodiques qui permettent à l’individu d’arbitrer les situations et non l’ensemble des règles qui régissent un système.

Dans ce sens, les épisodes ne doivent pas donner naissance à de nouvelles règles, mais au contraire aider à accepter la nécessité de celles déjà existantes et permettre de comprendre les marges de manœuvres qu’on peut y associer (Jonsen & Toulmin 2005) : il ne s’agit pas d’utiliser les épisodes pour multiplier les règles ce qui aurait pour conséquence d’augmenter le nombre d’exceptions à ces nouvelles règles. Les systèmes à risques ont tout intérêt au contraire, à limiter les généralisations faites à partir d’épisodes. En effet, ces généralisations peuvent limiter l’usage qui peut être fait de chaque épisode, alors que des analyses multiples offrent des ressources a priori infinies.

3.2.2. Les savoirs épisodiques peuvent limiter un accroissement inadapté de la réglementation

3.3. Nécessité d’une identification multidimensionnelle des savoirs

L’identification des différents savoirs proposée précédemment (partie 3) rappelle qu’un savoir est une notion complexe qui ne peut pas être catégorisée au travers d’un seul axe d’identification. Un savoir possède plusieurs caractéristiques comme la nature de son contenu, l’usage qui peut en être fait, ou l’origine de ce savoir. Un modèle plus abouti d’identification des savoirs selon plusieurs axes serait un outil précieux pour toutes les recherches concernant l’apprentissage et le développement des compétences.

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3.4. Étudier le concept de proximité

Les résultats obtenus indiquent également la tendance de l’individu à utiliser des épisodes qu’il connaît bien et qui lui sont proches : ainsi l’individu aura davantage recours aux épisodes issus de sa propre expérience, puis à ceux issus de l’expérience de ses proches pairs, et enfin aux épisodes survenus à des personnes qui lui sont étrangères. Cette utilisation spécifique peut être liée au fait que les types épisodes les plus utilisés appartiennent aux catégories les plus fournies de la mémoire épisodique de l’individu ou être du à un « effet de proximité ».

Par ailleurs, les données obtenues indiquent que plus un épisode est proche de l’individu, plus il supporte de savoirs épisodiques : 8 savoirs épisodiques ont pu être associés à chaque épisode d’origine organisationnelle, 9,44 savoirs pour les épisodes d’origine collective et 11,64 savoirs pour les épisodes d’origine individuelle.

Deux hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce phénomène :

 soit l’épisode est connu plus en détail et supporte donc initialement plus d’informations,

 soit cet épisode est mieux analysé et permet donc l’élaboration et la mémorisation davantage de savoirs épisodiques.

Dans la mesure où il semble avoir un impact sur le choix des épisodes évoqués et sur le nombre de savoirs qu’on peut associer à chaque épisode, cet « effet de proximité » nécessite des recherches plus approfondies afin d’être identifié.

3.5. Identifier le concept de métacompétence

Enfin, ces recherches ont identifié des processus réflexifs individuels dont l’objectif d’élaborer de nouvelles compétences à partir de l’analyse des épisodes de l’expérience et des compétences qui y sont mises en œuvre. Ces processus spécifiques d’exploitation de l’expérience ont été désignés sous le terme de « métacompétence ». L’intérêt de cette pratique a été mis en évidence au travers des divers résultats de cette thèse. Cependant les données recueillies ne permettent pas d’identifier et de modéliser intégralement ce concept. Ainsi, les interactions entre cette stratégie réflexive permettant la construction de nouvelle compétence et le champ des métaconnaissances sont relativement floues. Ce concept mérite donc également d’être approfondi dans des études dédiées.

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Cette thèse établit plusieurs dimensions positives attribuables au partage de récits expérientiels

dans une activité de gestion des risques. Ces récits expérientiels :