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VERS UNE CARTOGRAPHIE DE CABINET :

3.3. Sanuto et la superposition de deux substrats toponymiques de Léon et les portulans portulans

Sanuto ne connaît pas directement l'Afrique et ne s'en cache pas, mais il maîtrise les textes classiques, en l’occurrence Ptolémée, mais aussi Méla et Pline l'Ancien. Il a par ailleurs puisé largement dans les récits de voyages publiés par J. B. Ramusio sous le titre Delle navigationi et viaggi (1550) où sont contées les expéditions de ses contemporains, les Vénitiens, tels Marco Polo, Sébastien Cabot, ou son presque homonyme Marino Sanudo, mais aussi les Portugais, les Catalans, et les Français.

C'est ainsi, sans doute que Sanuto a connu la Description de Léon, qui ouvre les premières pages du recueil de Ramusio. Dans sa Geografia, Sanuto consacre d'ailleurs un long paragraphe à l'Africain, qu'il qualifie d’«écrivain diligent» (Sanuto L., 1558). Pour la toponymie, Sanuto n’utilise plus les auteurs antiques, mais uniquement Léon et des auteurs modernes ainsi que les navigateurs de son temps. Il apparaît remarquablement informé, bien qu’il ne soit pas le seul, des connaissances des marins relatives aux côtes tunisiennes, indiquant clairement dans son texte son recours aux portulans, italiens ou catalans. Ainsi nombre de toponymes sont suivis de la formule « sol signale delle maritime carte » (Sanuto L., 1558).

Bien que Sanuto suive de très près le texte de Léon, il s'en éloigne pour les côtes. Il associe à la toponymie de la Description des noms de lieux du littoral, empruntés aux portulans. La toponymie d’ « Africae Tabula V » est ainsi une toponymie composite à la croisée de celles de Léon et de celle des portulans. Compte tenu de ce qu'on connait de l'œuvre de G. Benincasa, marchand originaire d'Ancône, qui a vécu à Venise à la fin du XVe siècle, nous pouvons penser comme P. Morizot que Sanuto a eu entre les mains, parmi d'autres, les très belles cartes de la Méditerranée que celui-ci a réalisées, car les toponymes qu'ils utilisent tous deux sont souvent les mêmes (Morizot P., 2000). Peut-être Sanuto a-t-il aussi consulté la liste des noms côtiers de l’Atlas Catalan (1375), ou un portulan plus récent comme la «Carte marine de l'océan Atlantique nord-est, de la mer Méditerranée et de la mer Noire » de Giacomo Giroldi (1422), (BnF, Département des cartes et plans, CPL GE C-5088 (RES))

En revanche, il est moins probable que Sanuto ait tiré parti de l'œuvre de Mármol. C'est ainsi que Ch. Walckenaer (1821), dans un ouvrage consacré aux recherches géographiques en

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Afrique, se demande si Sanuto ne s'est pas aussi inspiré de Mármol, en se basant sur l'antériorité de son œuvre. Le premier livre de Mármol paraît à Grenade en 1573 alors que Sanuto meurt en 1577 (Morizot P., 2000).

Nous découvrons avec la Geografia des termes latinisés sur la carte, mais transcrits depuis la langue d’origine, indiquant jusqu'au moindre îlot, mouillage, ou cap de la côte tunisienne. Les repères les plus importants sont aisés à identifier, car ils portent souvent encore le même nom aujourd’hui, tel que le Capo Bon (Cap Bon). Cependant, d’autres toponymes issus des portulans n’ont pas de correspondance actuelle, ainsi Guardia, Nubia ou Cuma. Ils ont sans doute disparu car ils ont perdu leurs fonctionnalités maritimes.

L’ensemble toponymique composite rassemblé par Sanuto compte une cinquantaine de noms pour la côte du royaume de Tunis, c'est-à-dire de Bougie à Gabès. Le tableau ci-dessous rassemble les toponymes des cités, des lieux, des caps et les îles mentionnés par dans la Geografia.

Les cités Les lieux Cap/Golfes/Fort Nom de l’ile ou archipel Benzart Marsa Tunis Ariana Napoli Hammameth Susa Monastir Tobulba El Mahdia Asfacus Beggia Carthagine Cammar Casba Erachia Cairaron Tamacrat Rasamilar La guardia La gurdia vecchia Rasalgiber Nubir Zafran Quippia Garelmeleh Remera Cuma Scarlata Capullia Casarpigmatar Casarmahomet Casarceton casaromol Capbon Capo dicartagine Goletta (forteresse) Golfe hammameth Choros Dure sorelle Lemola Chirli Cunilliere Chercara, e gamelera Beita Frixolis

Chelbi, gamelera et restantina Gerbo

Galata schola

Tableau n° 11. Les différents toponymes de l’espace tunisien mentionnés par Sanuto (1558) L.Sanuto, 1558

Geografia, BnF, Département des cartes et plans - magasin de la Réserve RES GE DD- 2011

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Nous remarquons que tous les toponymes des cités proviennent de Léon, de même que les détails hydrographiques et orographiques de l’intérieur, alors que les toponymes des lieux et des îles sont issus des portulans. Les principaux cours d'eau sont au nombre de trois : « Megerada, Guadilbabar et oued Capis » (Léon, 1556, T II). Les principaux monts sont « Gueslet, Zagouan et BeniTrifen » (Léon, 1556, T II). Certains toponymes qui se rapportent à la Tunisie actuelle, sont mentionnées par Sanuto dans le cadre du royaume de Constantine comme Tabarca et l’île de Tabarca, ou dans le cadre du royaume de Tripolitaine comme Capes, Machres et Gerbo. Ces derniers toponymes étaient signalés par Léon dans le cadre du royaume de Thunes.

La carte de Sanuto figure le contour de la côte de l’espace tunisien, parsemé d’une toponymie essentiellement côtière. La densité toponymique est très abondante sur la côte, entre 3 à 6 toponymes par maille. Mis à part, les hydronymes avec leur source et quelques cités dispersées, l’intérieur de l’espace tunisien apparait vide. Bref, la densité toponymique de la carte de Sanuto marque une signature de la carte marine.

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Figure n°15. La densité toponymique dans la « Africa Tabula V» (Sanuto L., 1558).

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