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1.2. Les sources de Bernardo Sylvano

2.1.1. Inversion des longitudes et latitudes

Ptolémée donne une direction de l'ouest vers l'est. Partant de ce postulat, nous constatons dans les tables ptoléméennes, une inversion des longitudes et des latitudes pour

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la province d'Afrique. Les tables ptoléméennes se basent sur un principe fondamental : tout ce qui est placé au midi de la ligne de la côte, entre Bizerte et Gabès, devra être reporté à l'ouest, alors que ce qui est placé à l'ouest de la ligne de la côte peut souvent être cherché au nord. Parmi les villes situées « au dessous » d'Adrumète (Sousse), nous citons Auguston (Kairouan). La lecture des tables sans prise en considération du rapport de latitude en longitude, laisse penser qu'Auguston est au sud d'Adrumète et à l'ouest de Tapharura (Sfax). Or, en réalité, Kairouan se trouve à l'ouest de Sousse et au nord de Sfax.

Nous examinons le tracé littoral de la carte « Secunda Africae Tabula » (Sylvano B., 1511), entre Hippo Diarrytus (Bizerte), point le plus septentrional, et Tacape (Gabès), point le plus méridional. Le premier a comme coordonnées 32°30', 32°45', alors que le second a comme coordonnées 38°30', 32°. En appliquant le postulat ptoléméen, nous remarquons que la différence longitudinale 6°20', et une différence latitudinale de 2° 15'. A raison de 68.2 Km pour 1°, comme en général pour toute l'Afrique du nord, nous convertissons les indications longitudinales et latitudinales (en degrés) en distances kilométriques. Les distances entre Bizerte et Gabès sont d'environ 432 km en longitude et de 154 km en latitude. Or, les distances réelles entre Bizerte et Gabès à sont d’environ 380 km entre parallèles, de 20 km entre méridiens. Nous remarquons que les différences sont fortes entre Ptolémée et les distances réelles. Ptolémée a considéré ces degrés longitudinaux comme des points fixes séparés par un certain nombre de kilomètres alors que les différences de méridiens sont angulaires. Précisément A. Berthelot affirme que

La géodésie des anciens était fondamentalement différente de la nôtre, qui est fondée sur la mesure des angles et le canevas de nos cartes sur des chaînes de triangles. Les anciens n'ont pu appliquer ce système, parce qu'ils ne savaient pas mesurer les angles d'une route terrestre ou maritime. Ils ne savaient pas non plus mesurer les intervalles de longitudes, ils savaient qu'ils correspondaient à des différences horaires, mais étaient incapables de mesurer celles-ci, ce qu'on n'a pu commencer à faire pratiquement que le jour où l'on a disposé du chronomètre portatif. Il s'ensuit que les écarts de longitude exprimaient seulement des distances. La cartographie reposait sur des mesures de distances linéaires : lignes des rivages et lignes reliant les principales villes de l'intérieur. Aussi dans une étude analytique des cartes de Ptolémée, il faut se souvenir de cette considération capitale : bien que toutes les positions soient définies par les deux coordonnées, longitude et latitude, en fait la plupart de

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ces positions ont été calculées d'après un chiffre unique, celui qui les sépare d'un autre lieu précédemment fixé. (Berthelot A., 1933).

Nous ne pouvons accorder une pleine confiance aux distances calculées à partir des données astronomiques de Ptolémée. Cela ne veut pas dire qu'elles sont négligées, mais elles doivent être analysées en relation étroite avec les données géographiques. Les sources d'erreurs ptoléméennes sont diverses. Concernant le nombre de journées ou fractions de journées de navigation indispensables pour se rendre sur un des points de côte de la province d'Afrique, Ptolémée a dû prendre une moyenne entre les données dont il disposait et qui devaient varier considérablement à une époque où la navigation de cabotage était prédominante. Il s'est ainsi nécessairement glissé des erreurs dans ses évaluations. Quant aux positions astronomiques des villes, les unes par rapport aux autres, les navigateurs ne pouvaient les apprécier qu'au moyen du soleil. Aux jours sans soleil, la marche est à l'aventure. Il y avait donc là une nouvelle source d'erreurs. La disposition des côtes de la province d'Afrique elle-même tendait à tromper par suite du grand nombre de caps, baies, villes. Leur position respective dépendait donc non seulement de la présence du soleil, mais encore de l'heure des observations. Nous estimons que la carte astronomique ptoléméenne n'est pas une carte métrique, c'est-à-dire elle n'est pas fondée sur la notion de la distance. Ce principe est vrai dans la très grande généralité des cas. Prenons l'exemple de Theainai et Taphroura. Theainai a pour coordonnées 31°30', 31°40' et Taphroura a comme coordonnées 38°30', 32°. La distance entre parallèles des deux villes est de 7°, environ 478 km et de 20' entre méridiens, environ 23 km. Cela parait étrange dans la mesure où les longitudes sont devenues des latitudes car la ville de Tina est située au voisinage de la ville de Sfax. La réciproque est-elle vraie ? La réponse à la question est négative. Les positions de Teainai et de Taphroura ne sont pas acceptables. Nous ne pouvons pas ajouter foi à la longitude de Theainai. Même la latitude ne peut pas être changée en longitude. Nous pouvons corriger la longitude de Theainai. Puisqu'en réalité Theainai et Ruspina (36°50' de longitude et 32°50'de latitude) sont sur le même méridien, les coordonnées de Theainai deviennent 31°30' de longitude et 32°50'de latitude. Pour cette raison, il vaut mieux s'attacher à la donnée géographique pour déterminer la position des localités.

Nous admettons que la carte astronomique ptoléméenne est une carte projective basée sur la notion de ligne droite dans la mesure où le navigateur va toujours tout droit pour se rendre des colonnes d'Hercules à Tacape. Pour confirmer le rapport en longitudes d'un grand nombre de latitudes surtout en littoral, nous pouvons faire pivoter la carte

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ptoléméenne entre Gabès et Bizerte en plaçant Tacape sur le méridien de Gabès, nous obtenons un profil semblable au profil de la Tunisie actuelle. Les deux profils sont considérés comme équivalents mais il n'est pas nécessaire qu'ils soient égaux. Disons que les deux profils sont équivalents dans la mesure où nous pouvons les passer de l'un à l'autre par une déformation continue, quelle que soit d'ailleurs la loi de cette déformation pourvu qu'elle respecte l'ordre des villes de l'ouest en est. Etant donnés les matériaux qui ont servi à Ptolémée pour faire ses tables, nous pouvons juger les résultats d'une justesse remarquable. Le profil de l'espace tunisien sur la carte de Sylvano, aux yeux des contemporains, n'est qu'un modèle mal recopié où les proportions sont altérées, les lignes ont subi des fâcheuses déviations ou présentent des courbures malencontreuses. La donnée astronomique est une donnée quantitative, à laquelle Ptolémée ajoute une donnée géographique comme une donnée qualitative. Donc, tout point dans la table ptoléméenne n'est pas purement quantitatif. Nous pourrons s'assurer de l'emplacement d'un point ou d'une localité en faisant appel aux termes littéraux. La donnée géographique ne doit pas être bannie. Tout au contraire, nous devons lui accorder plus de confiance et d’importance.