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Le récit de voyage de Shaw offre une véritable richesse onomastique sur l'espace tunisien moderne. Il construit une connaissance topographique plus approfondie du pays et précise les contours géographiques de l'espace tunisien. Le voyageur anglais présente les toponymes de l'espace tunisien en remontant dans l’histoire de cette région afin de préciser les différentes appellations. Il ne manque jamais d’évoquer d’abord les régions selon ce qu’en disaient les anciens comme Strabon, Pline, Ptolémée ou Tite-live. Néanmoins, l'organisation

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de son texte s’appuie sur ses propres observations. S’il cherche à trouver des correspondances entre toponymes modernes et anciens, son texte doit peu aux anciens : il les cite surtout pour mettre en évidence leurs « lacunes » et leurs « erreurs ».

Rappelons que le découpage spatial emprunté par Shaw distinguait deux parties : Zeugitane et Byzacène. Chacune est subdivisée en zone littorale et zone intérieure. L’apport onomastique et topographique de Shaw concerne surtout les parties intérieures. En effet, dans la deuxième phase historique, l’image cartographique de l’espace tunisien occidental s’appuyait sur la nomenclature issue de Léon et les portulans, qui est principalement côtière. La carte de densité toponymique par maille montre l’apport onomastique de Shaw, qui consiste à remplir le « vide » toponymique qui était manifeste dans les cartes-modèles de Sylvano (1511) et Sanuto (1558). Nous présentons ci-dessous un tableau de classification des toponymes issus de l’ouvrage de Shaw, selon une logique non pas spatiale mais thématique, en distinguant ce qui concerne l’orographie, l’hydrographie, les cités et les tribus. Ces tableaux montrent l’importance de l’enrichissement toponymique aussi bien que leur évolution. L’indication des tribus témoigne par exemple d’importants changements par rapport à ce qu’Ortélius mentionnait dans la carte « Africae Propriae Tabula » (1590). Ce sont les appellations de différentes peuplades qui sont installées dans l’espace tunisien au XVIIIe siècle.

Toponyme moderne et sa

correspondance Observations et constats

Tabarka

Tabraca Située au bord occidental Bizerta

Hippo Diarrhytus

A huit milles au sud-ouest du Cap blanc et dans le fond d’un grand golfe.

Porto Farina - Gar el mailah (La gave au sel) à quatre milles à l’ouest de Cap Zibeeb. Boo – shatter Un aqueduc fort large, des citernes et des vestiges d’édifices. Carthage à douze milles de Tunis

Ariana à deux lieues au nord de Tunis

Tunis Capitale du Royaume

Bardo -

Radès Deux lieues à l’est sud-est de Tunis et environ à la même distance de Goulette au sud-ouest

Solyman A deux lieues de Hammam leef (bain chaud bien fréquenté) Moraosah

Maxuala Deux lieues au nord-ouest de Solyman

Seedy Doude Cinq lieues au nord-est de Promontoire d’Hercule

Nisua ou Misua -

Lawha – reah

Aquileria A deux lieues au nord-est de Seedy Daoude. Clypea

Clupea A cinq lieues au sud-est du Cap Bon Curba

Curubis A sept lieues au sud-ouest de Clybea. Nabal

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Hamamet A deux lieues de Nabal

Herckla

Heroclea / Adrumetum A sept lieues au sud-ouest de Hammamet, sur promontoire Al Aleah

Cotuza A moitié chemin entre Bizerte et Porto-Farina. Thimida

Theudalis Deux villages sur le lac de Bizerte Mezel- je- meine

Thinissa Matter

Oppidum Materense Au sud -est de lac de Bizerte Bay – jah

Vacca

A dix lieues au sud-ouest de Matter. Au dessous de Bay-jah, les plaines de Bus-dero.

Tuburbo

Tuburbum minus A six lieues à sud- est de Matter et six lieues ouest de Tunis Testoure

Colorria Bisica lucana A deux lieues plus à l’ouest de Bazil-bab Sloug-eah

Municipium chidibbelensium

Située dans le fond d’un grand coude que fait la Mejerdah entre Bazilbab et Testoure.

Tunga

Thigiba colonia A cinq milles au nord de Tuber-soke Tuber-soke

Thubursica A deux lieues au sud- ouest de Tes-toure Tuber –noke

Oppidium tub urnicense

Distance de Tuber-soke de cinquante-cinq milles, à sept lieues au sud-ouest de Tunis.

Dugga

Tucca A deux milles au sud de Tuber-soke Lorbus

Laribus colornia

A cinq lieues à l’ouest sud-ouest de Testour et 5 lieues du nord-est du Kef.

Mestura

Civitas Tuggensis Située dans les plaines au dessus du Lorbus Musti

Seedy-abbus A moitié chemin de Testour et Keff Keff

Sicca veneria

A cinq lieues au sud-ouest de Lorbus et vingt-quatre à l’ouest, sud-ouest de Tunis.

Bousba

Turza ou Turceta

A six lieues au sud – sud ouest de Tunis. Mesberga

Giuf

A trois lieues à l’est de Bousba

Zaw – wan ville près d’une montagne qui porte le même nom

Toponyme moderne et sa

correspondance Observations et constats

Susa

Ruspina A cinq lieues de Herkla au sud-est Monasteer. Lempta

Leptis parva -

Demas

Thapsus A trois milles au sud-est de Tobulba El Medea

Africa

A cinq milles au sud de Demas son port s’ouvre du côté de Capoudia.

Tableau n°17. Les cités de Zeugitane mentionnées par Shaw dans son ouvrage « Voyages de M. Shaw,... dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant. », 1743.

152 Capoudia Promotorium brachodes - She – bba Ruspe - Elalia

Achola A six milles au nord de Sheaba Melounush A trois lieues de Melounush Sfax

Taphae

A dix milles au sud ouest d’Inshilla et à vingt milles au sud-ouest des îles Querkynes

Thainee

Thenae A dix milles au sud-ouest de Sfax Maha – refs

Macodama A quatre lieues au sud- ouest de Thainee Gabes

Tacape A trois milles de Tobulba

Hydrah A quarante milles ouest sud-ouest de Keff Kairouen A huit lieues à l’ouest de Susa.

Spaitla

Suftela A douze lieues au sud de Keff Gilma A six lieues à l’est sud-est de Spaitla Truzza

Turza A huit lieues à l’ ouest de Kair-Wan Casserin A six lieues ouest sud-ouest de Spaitla Menzel Heire A six milles à l’ouest de sahaleel

Ferre-anah A sept lieues au sud sud ouest de Casserine

Thala aux environs de Casserine

Gafsa

Gapsa A douze lieues à l’est sud-est de Ferre-anah Gorbata

Orbita A quatre lieues au sud sud -ouest de Gafsa Sbekkah

Cerbica A dix-huit lieues à l’ouest sud-ouest de Gafsa

El-Hamma A quatre lieues à l’ouest de Gabs, à quelques milles au nord de Tozer.

Toponyme moderne et sa

correspondance Observations et constats

Rivière Zaine

Tusca (sissou pallus) Borne le royaume de Tunis

Lac de Bizerte En communication avec la mer à 3 milles de la ville de Bizerte du coté sud- est.

La Mejerdah Borgrada

Le port de Porto- Farina s’ouvre dans la Mejerdah, laquelle se décharge par cette voie dans la mer. Wed el Boule

Parmi les branches les plus reculées de la Mejerdah Wed scilliana

Lac de Tunis -

Meliana

Catada Une lieue de Hammam leef

Wed abeyde A l’Est de Promotorium Herculis Wed el Thainee A 5 milles sud ouest de la ville Thainee Rivière Accoude rivière périodique

Tableau n°18. Les cités de Bizacène mentionnées par Shaw dans son ouvrage « Voyages de M. Shaw,... dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant. », 1743.

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Oued Gabes Sa source est à trois ou quatre lieues au sud-sud ouest de Gabes.

La rivière scilliana A 5 lieues de Zung-gar, prés des ruines de Touseph Rivière Mergaleel

Aquae Regio Aux environs de Kairwan Rivière desailah Rivière de montagne Hegala Rivière Derb Près de Casserine

Wed el Hataab Rivière de Spaitla Ruisseau El Hamma

Triton fl. Près de Gabes

Lac des Marques palus libya

Lac intérieur sans communication avec la mer dans la Byzacène Oushibk el lowdeah Shibk Bahryre Palus pallas Shibk faraoun Lacus tritonis Toponyme moderne et sa

correspondance Observations et constats

Ile de Ta-barka Possédée par les Génois Ile Galata

Ile Calathe

A six lieues au nord de Cap Negro et à dix lieues au nord-nord est de Ta-barka.

Les Frati ou Frères Trois îles, à quatre lieues de Cap Serra Zimbra

Aegimurus Située entre deux promontoires le Cap Zibeeb et Cap Bon. Les cani Iles plates à quatre lieues au nord, nord-ouest de l’extrémité

orientale de Cap Zibeeb. Gamelora Ile un peu à l’est au Cap Zibeeb Les deux îles Quirkynes

Cercina / Circinites A cinq lieues d’Inchilla Ile Jerba

Ile lotophagitis ou Menix

Partie méridionale du royaume de Tunis

Toponyme moderne et sa

correspondance Observations et constats Le cap Negro A cinq lieues au nord est de Tabarka Le Cap Serra A cinq lieues au nord- est de Cap Negro Cap Blanco Ras el abeadh ou promontoire blanc Cap Bon ou Ras Addar

promontoire de mercure

A une lieue au nord de Lowhareh et onze lieues à l’est sud- est du Cap Zibeeb.

Gellah

Promontoire beau, castra cornelia

Forme la pointe septentrionale du port d’Utique, à deux lieues est de Boo-shatter

Hippone Port du canal de Bizerte en communication entre le lac et la mer fait le port d’Hipporne.

Golfe de Bizerte

Simus Hipponensis A prés de quatre lieues de diamètre.

Tableau n°19. Le réseau hydrographique de l’espace tunisien mentionné par Shaw dans son ouvrage « Voyages de M. Shaw,... dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant. », 1743.

Réalisation : A. Saada, 2014

Réalisation : A. Saada, 2014 Tableau n°20. Les différentes îles de l’espace tunisien mentionnées par Shaw dans son ouvrage « Voyages de M. Shaw,... dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant. », 1743.

154 Cap Zibeeb

Promontorium Appolinis -

Cap carthage et cap

Gammart -

La guletta ou halkel wed

ou Gorge de la rivière A huit milles à ouest sud ouest de Seedy Booseide Baie de Curbos ou

Hammem Curbos Aquae calide

A deux lieues de Solyman Promontoire de Herkla A la forme d’une homosphère

Cap El Marsa Située au nord, nord- est de la ville de Carthage.

Toponyme moderne et sa correspondance

Observations et constats Iskell

Cirna

au sud- ouest du lac de Bizerta et 5 lieues de Bizerta. Matter est au sud-est de cette montagne.

Uselet

Vaselatus Montagne à Kairwan

Deux chaînes depuis

El-Hamma jusqu'à Maggs Elles contiennent jusqu’à la côte vis-à-vis l’ile de Gerba Megala Chaine de Truzza à Spaitla

Haddeffa Borne le pays au sud

Zaw - Wan -

Tribus Terre occupée de l’espace tunisien Welled seide

Aux environs du golfe de Hammamet dans une plaine qui s’étend jusqu'à Herkla

Fara-sheese Occupent les environs de Spaitla et hus-shanah Welled

Bougannim Occupent le nord de fus-shanah jusqu’aux montagnes d’Ellou-leejah et de Hydrah Welled omran Occupent le côté de Sbeebah et la montagne Megala Welled tagoube occupent une campagne fertile de keff

Welled booguff Occupent le passage de la rivière de sarrat

Wourgah Bédouins de frontières sous la juridiction des Algériens

Shaw, 1743

Voyages de M. Shaw,... dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant. T. 2 /, contenant des observations géographiques, physiques, philologiques,... sur les royaumes d'Alger et de Tunis, sur la Syrie, l'Égypte et l'Arabie Pétrée, 1743, BnF, 4-O3g-5 (2)

Tableau n°21. Les différents caps, golfes et baies de l’espace tunisien mentionnés par Shaw dans son ouvrage « Voyages de M. Shaw,... dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant. », 1743.

Réalisation : A. Saada, 2014

Réalisation : A. Saada, 2014 Tableau n°22. Les détails orographiques de l’espace tunisien indiqués par Shaw dans son ouvrage « Voyages de M. Shaw,... dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant. », 1743.

Réalisation : A. Saada, 2014 Tableau n°23. Les différentes tribus installées dans l’espace tunisien mentionnées par Shaw dans son ouvrage « Voyages de M. Shaw,... dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant. », 1743.

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En complément de la toponymie, les tableaux indiquent aussi les principales observations notées par Shaw. Elles démontrent une remarquable précision dans la localisation des différentes cités et des différents caractères naturels, orographiques et hydrographiques. La précision se lit à travers les indications précises d’orientation par les points cardinaux. Ses prédécesseurs, comme Sanuto et Léon, se contentaient d’indications plus vagues, « vers tramontane » (le vent du nord utilisé par les marins en Méditerranée pour se repérer) ou « du côté de ». Shaw établit un réseau de directions géographiques entre les lieux qu’il repère. A partir de ses observations et mesures directes, il rectifie la ligne de la côte septentrionale, rompant avec le dessin issu de la cartographie des portulans, se rapprochant de la forme réelle. Le tracé côtier aura pris deux siècles pour passer d'une forme stylisée et aléatoire à une forme plus nette, issue de calculs astronomiques plus précis.

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Figure n°25. La densité toponymique dans la carte de « Royaume de Tunis» de Shaw (1743). Logiciel : Coreldraw 12 Réalisation : A. Saada, 2014

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1511 1558 1743 « Réalité » du terrain

Comparaison

Superposition

Figure n°26. Evolution du tracé de la côte de l’espace tunisien dans les cartes européennes modernes : vers une précision remarquable. B. Sylvano, 1511

Secunda Africae Tabula

Claudii Ptholemaei, Liber geographiae

L. Sanuto, 1558 Africa Tabula V Geografia

T. Shaw, 1743 Royaume de Tunis

Voyages de M. Shaw,... dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant

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4. Image hydrographique plus « réelle »

Figure n°27. L’image hydrographique dans la carte de Shaw : une forme typique de cette dernière période. La direction d‘oued Medjerda est plus exacte et apparition de chott el Jérid avec un tracé bien distingué.

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2 Royaume de Tunis (Shaw T., 1743)

Voyages de M. Shaw,... dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant, BnF, Département des cartes et plans, CPL GE DD-2987 (7988)

Réalisation : A. Saada, 2014 Oued Medjerda

Bagrada fl.

Chott Jérid

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4.1. Bagrada fl. – wed megeradah : les transformations du tracé

Pour évaluer l’apport de Shaw concernant l’image de l’oued Medjerda, nous rappelons l’image globale qui était donnée de cet important cours d’eau dans les phases historiques antérieures. Durant la première phase que nous avons qualifiée de primitive, le tracé de la Medjerda a une direction fictive, nord-sud. Cette direction est issue de la tradition ptoléméenne. En effet, dès le milieu du IIIe s. av. J.-C. déjà, le cours de Bagrada fl. (Medjerda), bien qu’il fût très souvent mentionné aussi bien au niveau de la baie d’Utique, où il débouche, que dans sa basse vallée, était souvent inconnu dans sa moyenne vallée. Pour combler ce vide, on utilisait la mention par Ptolémée (IIe s. apr. J.-C.) du Bagrada fl. comme ligne « frontalière » pour restituer de part et d’autre un certain nombre de villes situées dans la moyenne vallée de la Medjerda. C’est à partir de la carte de Sanuto que le tracé de la Medjerda se dédouble tout en commençant à s’orienter vers l'ouest. Cette incertitude assez significative du cours intérieur du Bagrada est-elle due à un manque de connaissance sur l’intérieur du pays ou est-elle due à une confusion ?

Durant les deux phases précédentes, nous remarquons dans les sources écrites un très fort attachement aux aspects côtiers du cours de la Medjerda, en relation avec Utique-Carthage, et peu d’intérêt quant à la partie intérieure de ce cours. A l’image de ces sources écrites, plus on s’éloigne de Carthage vers l’ouest, plus on manque de documents sur l’intérieur. L’oued Medjerda ou encore Bagrada fl. des Anciens, malgré sa grande importance, a très rarement été l’objet d’une description suffisamment détaillée de l’ensemble de son cours, de nature à clarifier un certain nombre d’imprécisions géographiques. Cette absence se ressent aussi bien pour la première phase historique que pour la seconde. Il faut attendre Shaw pour rencontrer une description plus complète et plus proche de la réalité. Ce voyageur remédie aux lacunes antérieures et restitue l’ensemble du cours, en utilisant un certain nombre de renseignements fragmentaires et partiels contenus dans différentes sources de qualité inégale. La carte de Shaw représente la Medjerda par un trait plein ayant une régularité parfaite et selon un tracé plus proche de la réalité. Il corrige ainsi la direction de la Medjerda, en affirmant que « les géographes modernes, qui disent que le cours de cette rivière est presque directement du nord au sud, commettent la même faute que Ptolémée, qui la fait venir du mont Mampsarus, à 35 degrés de longitude et 27 degrés 50 minutes de latitude ; position qui est visiblement fausse » (Shaw T., 1743 :184).

Cette représentation de Shaw est comme une réminiscence de la perception ancienne d’Honorius, au IVe siècle apr. JC, qui décrivait le cours du Bagrada depuis sa source de Tubursicum Numidarum (Djebel Khemissa) jusqu’à son embouchure à Utique en passant par

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les plaines de Bulla et la Zeugitane. Pendant toute la période antique, seule la description d’Honorius de l’origine et du parcours du Bagrada fl. apparaît relativement juste et complète. Cet acquis n’avait pas été préservé par la tradition postérieure, puisque Léon remet à l’honneur au XVIe siècle la conception ptoléméenne, donnant une origine méridionale au cours d’eau. Pour mieux évaluer l'apport de Shaw, nous pouvons analyser sa couverture onomastique du cours d’eau, qui est à la fois un indice des sources qu’il a pu utiliser et le signe d’une perception nouvelle.

On a très souvent traité le cours de l’oued Medjerda, depuis la haute Antiquité, comme une unité hydrographique déjà identifiée et constituée, une perception qui avait conduit très souvent à des erreurs de localisations. Or, avant d’être généralisé, le nom de Medjerda devait conquérir la totalité de son cours. L’erreur a toujours consisté à croire que le cours de Bagrada fl. a porté ce nom d’un seul coup, comme si on l’avait perçu, dès le départ, dans sa totalité, de son point de départ à son point d’arrivée. Or, la réalité est autre. A l’image de la découverte du reste du pays, généralement effectuée de l’est maritime vers l’ouest continental, le cours de l’oued Medjerda ne semble pas s’être révélé immédiatement dans sa totalité. Les auteurs ont mis beaucoup de temps à le découvrir et, en conséquence, à lui attribuer un nom identifiable tout le long de son cours.

L’historiographie des références concernant le cours d’eau reflète l’état des connaissances à chaque période, et renseigne également sur le rôle de la Medjerda dans la structuration de la perception territoriale de l'espace tunisien, selon ses trois grandes sections : basse, moyenne et haute vallée, mises en relation avec le relief. La conquête militaire, humaine et économique du territoire s’est faite d’est en ouest par trois grandes étapes qui correspondent aussi à l'évolution des connaissances géographiques sur l'espace tunisien. Sur le plan des descriptions textuelles et des cartes, la généralisation du nom de Medjerda a également suivi ce mouvement, la prise de possession territoriale correspondant à une conquête onomastique. C’est la pratique du terrain et les observations directes qui ont impulsé cette conquête onomastique.

 Première section (1511) : embouchure et basse vallée. En 1511, la Medjerda de Sylvano coule du sud au nord. La représentation du cours dans la cartographie ptoléméenne qui est réalisée en fait dès le XVe siècle, correspond à des connaissances à caractère très fragmentaire.

 Seconde section (1558) : moyenne vallée. Au XVIe siècle, Léon donne une vision assez développée du cours d’eau, avec une différence notable quant à sa source. Dans la carte de Sanuto de 1558, la Medjerda commence à s'orienter vers l’ouest, et dans le même temps se dédouble, comme nous l’avons vu. Dans ce

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second temps de la connaissance géographique, les vues restent partielles et conduisent à un certain nombre de confusions, ce qui nourrit divers débats de la géographie historique.

 Troisième section (1743) : haute vallée et source. Il faut attendre Shaw en 1743 pour obtenir une image accomplie sur la totalité du cours de la Medjerda, son origine et son parcours à l’intérieur de l’espace tunisien. Néanmoins, la description de Shaw n’est pas exempte de confusions. Il situe par exemple la tribu Wourgah (Wargha) sur l’oued Sarrat, au lieu de la placer sur l’oued