• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE V : Présentation des résultats

5.6 La santé

5.6.2 La santé mentale

Plusieurs participants ont été en mesure d’exprimer des effets de l’exclusion sociale sur leur santé mentale. La principale forme d’exclusion qui a eu un effet sur la santé mentale des participants est la discrimination. Les entrevues ont permis de soulever que d’autres thèmes où le lien avec l’exclusion était moins clair ont eu des effets néfastes sur le bien-être psychologique des participants rencontrés : l’isolement social, l’absence de soutien, la rupture ainsi que les faibles liens transnationaux avec la famille restée en Afrique, les conditions de vie délétères et les défis de l’adaptation et de l’intégration. La prochaine section présente les constats recueillis lors des entrevues.

Quelques participants ont fait part des expériences de discrimination qu’ils avaient vécues dans différents milieux sociaux. Certaines personnes ont discuté des effets instantanés de cette exclusion sur leur santé, alors que d’autres ont rapporté des conséquences à plus long terme. En ce qui concerne les contrecoups immédiats, les personnes réfugiées qui avaient été insultées, dénigrées ou dévalorisées dans différents milieux ont rapporté que cela leur faisait vivre différentes émotions inconfortables. Elles mentionnent que sur le moment, ces actes de discrimination génèrent des malaises, de la honte, de la tristesse, des bouleversements et du désarroi. Par ailleurs, la plupart des participants ont discuté du sentiment d’impuissance que soulevaient ces situations. Certains ont qualifié ces évènements comme inévitables et rapportent qu’il n’y a rien à faire pour les empêcher. De plus, quelques réfugiés croient que le fait de ne pas réagir aux situations de discrimination permet de ne pas amplifier les préjudices vécus. Ainsi, la majorité des personnes rencontrée laissait de côté les épisodes de discrimination vécue et rapporte que cela n’a pas eu de conséquence à long terme sur leur santé mentale.

Moi avant ça me faisait mal et puis, on a vu que c’est des kilomètres, on ne peut pas marcher pour retourner chez nous. On a vu que le pays n’est pas bon, ils sont tout le temps en difficulté. Être ici, même si on nous insulte, on est en sécurité, c’est mieux que d’être chez nous en Afrique. On a appris à vivre avec ça.  [Wivine, participante, F., 31-35 ans, 16 années.]

Deux participants réinstallés depuis plus longtemps ont vécu plus fréquemment de la discrimination que d’autres et ont été en mesure d’en exprimer les effets sur leur santé. Ces participants avaient vécu diverses formes d’exclusion sociale, et ce, dans différents milieux sociaux. Ils avaient le sentiment d’avoir été mis à l’écart de la société. Les effets de cette participation restreinte à la collectivité dont parlent les participants sont la souffrance, le sentiment d’être rejeté, la perte d’estime de soi, de la fierté et de la dignité. Par ailleurs, un réfugié parlait de la peur qu’il avait de vivre la discrimination, d’être victime d’insultes ou de dénigrement dans les lieux publics. Il limitait ses déplacements à cause de cette crainte, car il affirmait que cette exclusion sociale vécue dans différents lieux publics pouvait faire ressurgir certains traumatismes. La discrimination qu’il subissait à Québec pouvait lui rappeler des épisodes de violence qu’il avait vécus en Côte d’Ivoire lorsque la guerre a éclaté. Ce participant rapportait aussi que pendant des évènements de discrimination à Québec, il ressentait plusieurs émotions liées à la colère et il devenait « turbulent » ou agité avec ces personnes qui tenaient des propos racistes à son égard. Ses déplacements étaient aussi limités afin d’éviter les confrontations dans les lieux publics. Finalement, quelques personnes ont soulevé que le fait d’être mis à l’écart de la société et de ne pas être accompagné dans leur intégration générait aussi de la frustration à certains moments.

La plupart des participants ont mentionné des effets négatifs de l’isolement social sur leur bien-être psychologique. Rappelons que la majorité des réfugiés rencontrés n’avait pas la possibilité d’interagir et de parler avec d’autres personnes en dehors des membres de leur famille immédiate et des associations

religieuses, et ce, depuis leur réinstallation à Québec. Pour la majorité des personnes rencontrées, le déficit de lien social avec la population hôte et les autres immigrants entraine une certaine détresse psychologique et un mal-être au quotidien. De plus, plusieurs réfugiés avaient une perception négative et des insatisfactions par rapport à leur réseau de soutien. Les effets exprimés par les personnes sur leur santé mentale de l’absence de relations sociales étaient très variés. D’abord, quelques participants ont rapporté qu’ils n’avaient pas la possibilité d’exprimer leurs émotions lorsqu’ils rencontraient des épreuves difficiles et que cela pouvait faire persister des états de tristesse. Une participante monoparentale mentionnait qu’elle avait régulièrement le sentiment d’être dépassée et qu’elle était contrariée, découragée et désespérée par l’ampleur de ses responsabilités familiales ou d’autres situations. Elle rapportait que l’absence de support la maintenait dans des situations de détresse. Selon elle, avoir du soutien émotionnel lui aurait permis de se sentir en paix et d’améliorer son état psychologique dans les moments plus difficiles. D’autres participants ont aussi parlé d’autres conséquences du fait d’avoir peu de liens dans la société d’accueil. Par exemple, plus de la moitié des participants rapportaient que le fait d’avoir un réseau social permettrait d’échanger de l’information sur des thèmes qui faciliteraient leur intégration. En effet, un participant mentionnait qu’il aimerait développer son réseau social afin que celui-ci l’informe sur les façons de trouver un emploi convenable dans lequel il pourrait avoir un revenu décent. D’abord, cela lui permettrait d’améliorer ses conditions de vie. Plusieurs autres personnes ont fait référence au fait que le soutien social leur permettrait de mieux s’intégrer et, par conséquent, cela améliorait leur bien-être psychologique. Finalement, un autre mentionnait que l’incapacité d’entretenir des relations sociales à Québec suscite des effets négatifs sur sa valeur comme individu dans la société. Il mentionnait que dans son pays, il entretenait plusieurs relations sociales et qu’il était un homme respecté notamment par son statut social. À Québec, son statut social le positionne davantage au bas de l’échelle sociétale, il n’est pas reconnu dans les interactions sociales et il ne se sent pas valorisé.

Plusieurs éléments en lien avec la rupture brutale des liens sociaux et la famille restée au pays d’origine ou dans les camps de réfugiés préoccupent les participants et provoquent des effets négatifs sur leur santé mentale. La séparation ainsi que l’éloignement de leurs proches entrainent des conséquences psychologiques importantes dans leur quotidien à Québec. Deux participants ont soulevé que la rupture radicale des liens et l’incapacité de communiquer avec la famille et les amis restés au pays ont justifié une consultation dans le réseau de santé de la Capitale-Nationale. Certains ont mentionné qu’ils pensaient régulièrement à la famille qu’ils ont laissée derrière eux et que cela leur amenait beaucoup de tristesse. D’autres revoient dans leur tête, les situations traumatisantes qui les ont séparés de leurs proches. Cela leur cause aussi des maux de tête et les réveille la nuit. Bref, pour tous les réfugiés rencontrés, l’éloignement des proches constitue un élément de déséquilibre très important dans leur vie à Québec. De plus, la majorité des participants a mentionné vivre

préoccupés par les problèmes de santé de leur famille, les demandes d’asile qui sont rejetées, leurs conditions de vie difficiles, la violence, les cruautés humaines, les viols ainsi que leurs conditions de santé délétères (ex. : VIH). D’autre part, plus de la moitié des participants souhaiterait économiser afin de pouvoir envoyer de l’argent en Afrique. Cela permettrait d’améliorer les conditions de vie de leurs proches et d’envoyer des enfants de leur famille à l’école. Toutefois, cela est difficile puisqu’ils se trouvent en situation de pauvreté à Québec. Cela leur cause beaucoup de soucis. Finalement, la majorité des participants souhaite engager des procédures de regroupement familial afin de faire venir certains membres de leur famille à Québec. Or, en raison de leur faible revenu, ils ne correspondent pas aux critères du gouvernement et ne peuvent pas enclencher de telles procédures. Ils vivent cela très difficilement et quelques participants désirent améliorer leurs moyens de subsistance afin de s’inscrire dans des démarches de regroupement familial le plus rapidement possible.

Oui bon, les enfants qui sont restés en Côte d’Ivoire. Comment faire pour qu’ils poursuivent les études? [Tout ça là, ça joue sur ma santé mentale]. Je ne travaille pas pour le moment pour dire que je vais envoyer de l’argent là-bas pour qu’ils partent à l’école. […] Quand je pense à tout ça là. C’est des problèmes. Et quand quelqu’un est malade, il faut venir au camp lui dire, ou bien s’il se déplace, il va là-bas, il m’appelle, il dit que bon telle personne de ta famille est malade. Je ne travaille pas, comment je vais faire pour envoyer de l’argent. Le peu que je gagne, ce n’est pas ça que je vais utiliser.  [Basile, participant, H., 51-55 ans, 1 année.]

La majorité des participants affirme éprouver des effets négatifs sur leur santé mentale en raison de leurs mauvaises conditions de vie. Quelques personnes ont précisé que l’état de leur appartement les préoccupait beaucoup et que le fait de ne pas pouvoir tenir un bon niveau de propreté affecte leur santé mentale. Une participante mentionnait que les conditions délétères dans lesquelles elle vit ainsi que le fait de ne pas pouvoir accéder à un logement convenable lui font perdre sa fierté et sa dignité. Une autre personne s’est dite gênée et mal à l’aise de recevoir des invités. D’autre part, le surpeuplement des appartements faisait vivre du stress à certaines personnes en raison du manque d’espace pour que les enfants puissent jouer ou faire leurs devoirs.

Ils nous laissent comme ça. Voilà, c’est ça, voilà votre maison, les meubles. Puis, après deux, trois, une semaine, un mois, tu vois la maison qui commence à puer [parce qu’on ne sait pas comment faire l’entretien]. Ça fait du mal, ça nous rend vraiment malades. […] Ça joue sur la tête, ça nous met mal à l’aise. Vraiment, on ne se sent pas bien. […] Tristes.  [Aminata, participante, F., 41-45 ans, 1 année.]

En outre, un quartier mal desservi par le transport en commun peut également influencer la santé mentale. Une participante qui avait obtenu (dans un contexte de choix très limité) un logement subventionné dans un quartier moins bien desservi par le transport public raconte les conséquences que cela a sur son bien-être. Elle passe près de trois heures par jour dans les autobus, ce qui lui fait vivre de la détresse psychologique, de la fatigue, du stress et de l’anxiété.

Mais oui c’est ça que j’ai dit, je ne peux pas quitter là où je suis pour me rendre plus proche de l’école. Et puis ça fait que quand je quitte chez moi à sept heures pile, je finis à quatre heures pile, j’arrive chez moi à cinq heures trente et je n’ai même pas la force d’étudier, de lire les cahiers, même les devoirs des enfants. Je suis fatiguée. Ça n’a pas de sens de me forcer pour faire quelque chose que c’est facile, mais là je trouve ça un peu difficile.  [Kadjatou, participante, F., 21-25 ans, 1 année.]

Pour l’ensemble des personnes rencontrées, l’incapacité d’avoir accès à un revenu adéquat, à certaines ressources de base et à des biens matériels peut aussi avoir des effets négatifs sur la santé mentale. Les revenus mensuels sont insuffisants pour répondre à tous les besoins et cela leur fait vivre beaucoup de stress et de détresse psychologique. Par ailleurs, un participant rapportait que la difficulté financière à se procurer de la nourriture lui faisait vivre du stress au quotidien. De plus, pour plusieurs réfugiés, la pression financière due au remboursement des frais du billet d’avion, avec un budget déjà suffisamment compressé, ajoute beaucoup de stress dans leur quotidien. Deux participantes rapportaient qu’elles avaient vécu des difficultés financières pour se procurer certains électroménagers comme des machines à laver. Cela leur faisait vivre de la détresse psychologique, puisque le fait de ne pas avoir de laveuse ajoute une responsabilité supplémentaire aux activités de la vie quotidienne, comme faire la lessive à la main.

Psychologiquement ça joue sur moi, parce que [le manque] nourriture, ça joue sur moi aussi. Moi le 600 $ [que le gouvernement me donnait] c’était pour acheter la nourriture, mais ça ne suffisait pas. Je payais le logement, je payais la nourriture, payait le remboursement des billets d’avion. […] Ça te donne encore un deuxième stress. Parce que tu es très stressé. Tu viens dans un pays d’accueil et tu vois le stress qui s’installe encore. Ce n’est pas bon.  [Karim, participant, H., 36-40 ans, 3 ans.]

Oui pour payer le logement et la nourriture c’est trop cher. […] Oui parce que présentement moi je n’ai pas de revenu. […] On essaie juste de se débrouiller, parce que si on pense beaucoup ça peut amener des maladies, […] maladies du cœur, crises cardiaques.  [Wivine, participante, F., 31-35 ans, 16 années.]

Au début là, on me donnait 600 $. Je payais la maison 350 $, remboursais le billet d’avion à 85 $. […] Donc j’étais mal pris. Je n’étais pas bien du tout. Parce que j’avais trop de soucis aussi. 600 $ ce n’est rien. Ça peut rien faire. Ça ne peut pas te nourrir pendant un mois.  [Karim, participant, H., 36-40 ans, 3 ans.]

Finalement, les entrevues ont révélé que la santé mentale des réfugiés rencontrés a été affectée par l’adaptation et l’intégration à leur nouvelle société. Le choc avec un nouvel environnement social, culturel et physique a généré beaucoup de stress et sollicité de façon importante les capacités d’adaptation des réfugiés. En effet, presque chacune des situations rencontrées à l’arrivée en est une nouvelle, non désirée et non anticipée. Plusieurs participants rapportaient qu’ils étaient désorientés par plusieurs de ces changements et désillusionnés à la suite de la perte de plusieurs repères (odeurs de la nourriture, climat, normes culturelles, etc.). Par exemple,

la majorité des réfugiés a été installée dans des habitations temporaires du CMQ à leur arrivée. Certains d’entre eux croyaient qu’il s’agissait de leur nouveau lieu de résidence. Ils rapportent que quelques jours après leur arrivée, l’organisme communautaire responsable de leur accueil leur apprend qu’ils partiront afin d’emménager dans leur nouvel appartement. Pour certains, ces transitions d’un lieu à l’autre à l’arrivée ont occasionné beaucoup de stress et d’anxiété. De plus, le stress associé à l’intégration est également ressorti comme un facteur qui affectait négativement la santé mentale des réfugiés. En effet, la pression associée au fait d’apprendre la langue, de se trouver un emploi et l’incapacité de briser l’isolement amène des conséquences psychologiques néfastes sur eux. Quelques réfugiés ont rapporté être dépassés, découragés et démotivés par rapport à leur intégration, dans la majorité des cas qu’ils ont qualifiée de « lente ». De plus, l’insuffisance des mesures mises en place pour accompagner les réfugiés dans leur intégration fait aussi vivre de la colère à certains participants. Pour quelques participants, ce stress s’ajoute à la pression reliée aux responsabilités familiales, au cumul des engagements comme le travail, l’école et les tâches ménagères. Les mères de famille monoparentale et un père de famille vivaient beaucoup de fatigue, de stress et de symptômes dépressifs.

C’est moi qui suis au four et au moulin tous les jours, donc vraiment ça là, quand je pense à ça là ça me donne beaucoup de problèmes.  [Basile, participant, H., 51-55 ans, 1 année.]

Oui, ma santé là je suis sûr. Parce que parfois, comme la semaine passée là, j’étais fatiguée là, puis j’avais voulu vraiment parler à quelqu’un. […] Je trouvais ça vraiment lourd. Et quand je trouve ça ici, la lettre d’Emploi-Québec, je ne peux pas faire mieux que ça. Je peux quitter à six heures oui, mais ma fille qui va à l’école son service de garde ouvre à sept heures. Je ne peux pas la laisser nulle part, il faut que j’attende sept heures pour l’amener au service de garde. Si je quitte à sept heures, j’arrive toujours en retard. Comment je peux faire. J’étais découragée là, j’étais découragée.  [Kadjatou, participante, F., 21-25 ans, 1 année.]

5.7 Synthèse

Dans ce cinquième chapitre, nous nous sommes consacrés à la description des résultats recueillis lors des entrevues avec les personnes réfugiées. La première partie présentait le profil général des participants rencontrés, leur trajectoire migratoire et des éléments liés aux défis vécus lors de leur installation dans la ville de Québec.

La deuxième partie de ce chapitre est dédiée aux informations qui nous permettent de répondre à notre première question de recherche. Les formes d’exclusion sociale vécues par les réfugiés de l’Afrique subsaharienne réinstallés à Québec ont été présentées. Les participants ont rapporté avoir été discriminés, dénigrés, dévalorisés, mésestimés, déconsidérés, insultés et agressés dans différents milieux. Les réfugiés ont parlé de leurs expériences d’exclusion en lien avec le marché du travail, leurs colocataires, leur quartier, le milieu de

l’éducation, le milieu de garde, les lieux publics, les organismes communautaires, les services de santé et les services sociaux.

Par la suite, ce chapitre expose les résultats des entrevues et qui nous permettent de répondre à notre deuxième question de recherche qui concerne les effets de l’exclusion sociale sur les conditions de vie. Quelques éléments sur l’accès aux ressources de base (revenu, logement, alimentation et ressources matérielles) y sont décrits.

De plus, ce chapitre fait référence aux résultats des entrevues en rapport avec la troisième question de cette étude : les effets de l’exclusion sociale sur la santé des réfugiés. Les participants ont rapporté que leurs conditions de vie avaient des effets négatifs sur leur santé physique et celle des membres de leur famille. Finalement, les entrevues ont révélé que plusieurs éléments pouvaient avoir des effets délétères sur la santé mentale des réfugiés rencontrés tels la discrimination, l’isolement social, l’absence de soutien, la rupture ainsi que les faibles liens transnationaux avec la famille restée en Afrique, les mauvaises conditions de vie et les défis de l’adaptation et de l’intégration.