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CHAPITRE V : Présentation des résultats

5.2 Le parcours migratoire

Dans cette partie, nous présentons, de façon sommaire, les parcours migratoires des participants. Cette section n’a pas pour objectif d’analyser les trajectoires de migration des personnes réfugiées. Elle consiste à rapporter des informations reliées aux causes qui les ont amenées à fuir, aux conditions de vie dans les pays de transition et dans les camps de réfugiés ainsi qu’aux défis liés à la réinstallation dans un tiers pays.

Les éléments que nous souhaitons mettre en lumière sont les conditions migratoires dangereuses et traumatiques ainsi que les situations difficiles que les réfugiés ont expérimentées pendant plusieurs années de leur vie. Un autre élément dont il faut tenir compte dans notre analyse sur l’exclusion sociale est la rupture brutale des liens sociaux avec leurs proches. Finalement, après la réinstallation dans le pays d’accueil, la perte des repères sociaux et culturels désoriente drastiquement les réfugiés, ce qui a un effet majeur sur leur inclusion sociale.

5.2.1 Les causes de l’exil

La guerre a été la principale cause qui a poussé tous les participants à quitter leur pays. Pour les quatre personnes interrogées en provenance du Congo, c’est le conflit de 1996, entre des troupes rebelles et l’organisation politique au pouvoir qui les amena à quitter leur pays. Cette guerre se traduisait par des massacres perpétrés contre la population.

La guerre ce n’est pas bon. On dormait dans la forêt, on partait comme ça. On ne connaissait même pas là où [nous allions partir]. Les rebelles étaient à notre côté, là. Maintenant les loyalistes là, ils sont venus pour chasser les rebelles. Oh là! Ils tuaient n’importe qui! [Aminata, participante, F, 41-45 ans, 1 année].

Pour les trois personnes rencontrées en provenance de la Côte d’Ivoire, c’est la crise politico-militaire de 2002 qui les a forcées à fuir. De nombreux combats entre les rebelles et les troupes gouvernementales éclataient, plaçant ainsi tous les Ivoiriens en situation de danger de mort. Certains participants ont été personnellement recherchés en raison de leur implication politique ou de celle des membres de leur famille.

C’était difficile, il fallait toujours frayer le chemin. Il ne fallait pas prendre la route directe, de peur que tu croises les rebelles. […] [Les rebelles] sont venus me demander de les accompagner et j’ai refusé de les accompagner. Alors ils ont commencé à me frapper. C’est-à-dire, ils [étaient] venus pour me tuer. C’est parce que c’était dans le village qu’ils ne pouvaient pas tirer sur moi. Ils ont commencé à me frapper. Ils m’ont blessé là. La cicatrice […] ils m’ont blessé sur la tête.  [Basile, participant, H., 51-55 ans, 1 année.]

Pour deux participants d’origine burundaise, c’est le conflit ethnique entre les Hutus et les Tutsis déclenché en 1994 qui est à l’origine de leur exil. Cette guerre civile qui dura plusieurs années a incité l’un d’eux à fuir dès le début des hostilités, alors que l’autre a quitté le pays en 1997.

Moi je n’ai pas grandi en Côte d’Ivoire, mais j’ai grandi dans le camp de réfugiés. […] Quand je suis né, trois mois [ont passé], puis la guerre en 1997 avait commencé. […] Je suis parti avec ma mère. On était cinq, moi avec ma mère et mon père avec mes frères. [Landry, participant, H., 21-25 ans, 2 années.]

Finalement, c’est également une guerre civile qui éclata en 2002 qui mena le participant de la République centrafricaine à s’exiler dans un autre pays.

5.2.2 Les pays de transition et la vie dans les camps de réfugiés

Après avoir fui leur pays d’origine de façon urgente, quatre participants se sont réinstallés dans les pays voisins, soit un au Sénégal et trois en République centrafricaine. Les trois personnes du Centrafrique se sont par la suite dirigées vers les camps de réfugiés après avoir vécu des expériences négatives avec la population locale des pays voisins où ils ont trouvé l’exil. Quant aux autres participants, ils sont tous allés directement dans les camps de réfugiés.

Ces années passées dans les pays de transition ont été marquées par de l’exclusion sociale et des situations de pauvreté. Premièrement, la majorité des réfugiés rencontrés rapporte qu’ils étaient peu acceptés, dénigrés et dévalorisés par les résidents locaux. Plusieurs préjugés circulaient sur eux, par exemple, qu’ils fussent des voleurs ou des personnes dangereuses. Cela provoquait des relations conflictuelles avec les autres citoyens. Certains participants ont été relayés aux emplois précaires et dangereux, peu convoités par la population d’accueil. Quelques-uns ont aussi été victimes d’agressions physiques par les résidents locaux et une participante s’est fait violer. Certaines personnes soulignaient que la population dans les pays de transition pouvait tuer les réfugiés. D’autres participants ont rapporté qu’ils se faisaient voler et que les policiers n’intervenaient pas puisqu’ils recevaient de l’argent des voleurs.

Certains participants ont également rapporté que certains pays de transition ne respectaient pas la Convention de Genève sur la protection des réfugiés. Une personne s’est vu refuser le droit de déposer une demande d’asile, alors que d’autres ont rencontré des problèmes administratifs dans le traitement de leurs dossiers comme la perte de ces derniers. En somme, l’ensemble des participants étaient malvenus dans les pays voisins. En fait, il était préférable de rester dans les camps de réfugiés où la sécurité était rehaussée par le Haut Commissariat des Nations Unies.

Au total, neuf participants avaient vécu dans les camps de réfugiés entre 5 et 21 années. Pour certaines personnes, elles y sont arrivées très jeunes et y ont passé toute leur jeunesse. D’autres y ont donné naissance à leurs enfants. Tous les participants ont parlé des conditions de vie difficiles et dangereuses dans les camps. Comme dans les pays de transition, il y avait un très faible accès à l’éducation. Certains enfants devaient marcher plus de sept kilomètres par jour pour aller à l’école, alors que d’autres n’y sont pas allés parce que les infrastructures étaient inexistantes. Concernant l’alimentation, au début de chaque mois, la majorité des participants recevait un gros sac de riz ou de blé pour toute la famille et c’était le seul aliment disponible pour les nourrir. D’autres ont mentionné que toute la famille passait de longues journées affamée puisque l’accès à la nourriture était possible seulement en soirée. Certains mangeaient tout ce qu’ils pouvaient trouver dans la nature, même s’ils ne connaissaient pas les plantes ou les petits fruits qu’ils consommaient. Les réfugiés ont aussi fait face à d’autres conditions dangereuses, comme d’être en contact avec des serpents venimeux ou des lions. Il est intéressant de mentionner que tous les participants n’ont jamais voulu fuir leur pays et plusieurs ont conservé l’espoir d’y retourner pendant plusieurs années.

Mais quand nous avons quitté la capitale pour aller vivre dans la brousse, hé c’était vraiment très difficile. Les enfants

prenaient l’eau du robinet, mais là-bas, ils prenaient l’eau des fontaines. Et puis dans la brousse, pour avoir de la nourriture c’était vraiment difficile. […]. Très difficile. On mangeait une fois par jour. Le matin, les enfants partaient à l’école affamés […] La vie était vraiment très difficile. On était traumatisé. Moi je ne voyais pas le sens de vie. […]. Les matins, tu [te réveilles] là et tu n’as [pas dormi]. Tu dois manger. [Certaines journées, tu allais manger] seulement à 18 h. […]. Ce n’est pas ça la vie. […]. Tu as perdu tout, tout. On vivait vraiment très difficilement. On dormait dans des tentes. Dans les tentes, il y a des serpents dangereux. La nuit on ne dormait pas bien. […]. Un jour mon mari a été mordu par un serpent, un serpent dangereux et il allait mourir. […]. Ils l’ont amené à l’hôpital. […].

[Aminata, participante, F., 41-45 ans, 1 année.]

5.2.3 L’impact de la trajectoire prémigratoire sur l’état de santé

Les persécutions provoquées par la guerre, l’exil vécu dans des conditions inimaginables ainsi que les longues années passées dans les camps de réfugiés ont eu des conséquences négatives sur la santé de tous les participants rencontrés. La santé de deux d’entre eux a été gravement affectée lorsque les conflits armés ont éclaté dans leur pays d’origine. L’un d’entre eux a développé un état de stress post-traumatique (ESPT) et de la polyneuropathie à la suite de son exil, une autre personne violée et battue pendant les conflits armés a déclaré avoir développé de l’hypertension et être paralysée du côté gauche à la suite de ces évènements. Ceux-ci ont mentionné que les douleurs associées aux problèmes de santé développés pendant l’exil sont très fortes et insupportables, et ce, même après leur réinstallation à Québec.

D’autres ont aussi rapporté que leur sommeil est perturbé depuis leurs expériences prémigratoires. Ils peuvent se réveiller fréquemment la nuit et faire des cauchemars en lien avec les évènements traumatiques vécus. Deux participants mentionnent avoir des maux de tête récurrents, d’autres font de l’hypertension et une dame a rapporté avoir développé de l’asthme dans les camps de réfugiés. Finalement, quelques-uns ont eu une mauvaise hygiène personnelle et dentaire à cause de l’accessibilité restreinte à certaines ressources de base dans les camps (savon, dentifrice, brosses à dents, eau).

Bon notre santé physique ça se passe bien, on se lave bien. […] On se lave bien, on se brosse les dents après le repas tout ça. […] Au camp de réfugiés, c’était moins facile. Au camp de réfugiés, tu ne peux pas trouver les brosses [à dents]. Des fois, les autres coupent les morceaux de bois. Parfois [tu te brosses les dents] avec la main. Mais ce n’est pas suffisant. Y’a pas de dentifrice. Le savon à linge là, il ne faut pas l’avaler [quand tu te brosses les dents avec ça].

[Bemwezi, participant, H., 46-50, 1 année.]