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CHAPITRE V : Présentation des résultats

5.3 L’installation dans la ville de Québec et ses défis

Après avoir effectué les nombreuses démarches administratives, les contrôles de sécurité, ainsi que les examens médicaux, toutes les personnes rencontrées se sont vu offrir l’opportunité d’être réinstallées au Canada. Lors des entrevues, tous les participants ont parlé des premières démarches d’installation ainsi que de nombreux défis qu’ils ont rencontrés à leur arrivée à Québec. Tous étaient désorientés par la perte de repères, et ce, sur plusieurs plans. Les personnes réfugiées ont parlé du climat, des difficultés de communication et de divers obstacles liés à leur adaptation à l’intégration. La prochaine section présente une description d’ensemble des défis rencontrés.

Pour les premières démarches d’installation dans la ville de Québec, tous les participants ont bénéficié de l’aide du Centre multiethnique de Québec (CMQ). À leur arrivée, huit personnes ont été accueillies à l’aéroport, une autre est venue par voie terrestre depuis Toronto et un réfugié a été directement transféré à l’hôpital suite à sa descente de l’avion.

Quand je suis arrivé ici, ma première nuit que j’ai passée, je l’ai passée à l’hôpital, parce que je n’étais pas bien. J’ai fait deux nuits dans l’avion sans prendre mes médicaments. […] J’e n’avais pas de médicaments dans l’avion donc quand je suis arrivé ici ils m’ont amené à l’hôpital Saint-Sacrement. […] Je suis resté plus de deux semaines. J’ai été vu par plusieurs personnes, plusieurs médecins différents. […] [Ensuite], je suis resté à l’hôtel au CMQ pendant 6 jours. Le 7e jour elle [une intervenante] m’a dit non tu ne peux pas rester ici, tu dois partir chercher ta maison. […] J’ai dit,

mais moi je ne [sais pas comment faire]. Ils ne m’ont même pas expliqué comment il faut vivre ici, ils m’ont rien dit. Ils m’ont dit d’accord on va chercher ton logement. Voici ton chèque, achète ton logement. Ils sont allés trouver mon logement […]. [Karim, participant, H., 36-40 ans, 3 années.]

Tous les participants mentionnent qu’à leur arrivée, les premiers jours étaient consacrés aux démarches administratives et à l’aide matérielle. Le CMQ a accompagné les participants pour ouvrir un compte dans une institution financière, obtenir la carte d’assurance maladie, le numéro d’assurance sociale, l’aide sociale et inscrire les enfants à l’école. Les participants ont aussi spécifié avoir reçu des meubles et des électroménagers. Ceux qui sont arrivés en hiver ont reçu des vêtements chauds. Après la descente de l’avion, la plupart des participants avaient séjourné dans les habitations du CMQ avant d’emménager dans leur premier logement trouvé par le CMQ. L’aide reçue à l’accueil a grandement facilité leur réinstallation.

En ce qui concerne le climat, tous ont fait mention de plusieurs inconforts généraux liés à la température froide. Durant l’hiver, plusieurs limitent leurs déplacements, déjà compliqués, même en saison estivale. Les rues enneigées, le manque d’informations sur les tenues vestimentaires à porter et les risques associés aux déplacements sont des éléments qui restreignent leurs sorties (une participante est tombée sur la glace et a perdu connaissance quelques instants). De plus, l’hiver est caractérisé par un plus grand sentiment d’isolement pour plusieurs. En Afrique, la plupart des activités se font à l’extérieur et il est très désorientant pour les réfugiés subsahariens de vivre à l’intérieur d’une habitation pendant de longues périodes.

En ce qui a trait aux problèmes linguistiques, la majorité a rapporté des difficultés majeures de communication à la suite de leur réinstallation à Québec. Pour trois participants qui n’avaient aucune connaissance du français à leur arrivée, les difficultés en lien avec la langue étaient présentes dans tous les milieux (ex. : commerces, organismes communautaires, services de santé, lieux publics) à l’exception de la cellule familiale. Avec quelques gestes, les participants arrivaient régulièrement à se faire comprendre. Quant à ceux qui parlaient français avant de venir au Québec, ils ont également relevé des barrières au niveau de la langue en raison de l’accent différent et des expressions québécoises inconnues. Par exemple, un participant a rapporté avoir vécu des problèmes de compréhension lors de son cours de conduite en raison de l’accent québécois qui lui était peu familier. Il a demandé à l’instructeur de parler plus lentement, mais le professeur a refusé. Il a dû demander un changement d’instituteur afin de pouvoir terminer son cours.

La majorité des participants et même ceux qui s’expriment aisément en français ont eu besoin de services personnalisés pour communiquer ou pour faire certaines démarches administratives. En ce qui concerne les formulaires gouvernementaux à remplir comme les documents des écoles et les demandes d’accès aux logements subventionnés, tous les participants ont eu recours à des organismes communautaires pour les remplir. De plus, pour certains, ils se déplacent systématiquement dans un organisme communautaire accompagnés d’un interprète avec leur courrier. En outre, trois participants ont mentionné avoir vécu des incompréhensions en lien avec les factures de différents types de fournisseurs et avoir reçu des coûts plus

élevés que ce à quoi ils s’attendaient, notamment Hydro-Québec et les services de garde. Cela a amené beaucoup de défis dans la gestion de leur budget.

C’est aussi dur là, parce que l’Emploi-Québec m’avait dit qu’il allait me payer la garderie des enfants, mais je ne comprends pas, car avec ce qu’ils me donnent, je paie la garderie. Mais dernièrement, j’ai demandé est-ce que je peux au moins voir la facture pour savoir combien je paie. Ils m’ont donné la facture. Je dois donner 800 $. J’ai dit, mais comment ça, car Emploi-Québec m’avait dit qu’il allait [donner l’argent pour tous les frais]. [Le gouvernement] me donne 82 $, 83 $ chaque deux semaines. Ils m’ont dit Emploi-Québec paie que la moitié. […] Je dois payer 800 $. J’ai dit, mais comment ça je dois payer 800 $. Et puis, ils m’ont montré les factures et ils ont dit l’Emploi-Québec ne paie pas les sorties et les activités de l’école. Il paie seulement la garderie et puis ce qu’il paie là ce n’est pas complet. Pis c’est moi qui a dit je ne savais pas. C’est ma première année que mon enfant va à la garderie. Je ne savais pas. [Kadjatou, participante, F., 21-25 ans, 1 année.]

Les participants ont relevé plusieurs différences entre les normes, les modes de vie, les traditions et les valeurs de leur société d’origine et celles de la société québécoise. Pour la plupart des participants, cela occasionne des questionnements dans la vie quotidienne. Par exemple, les personnes ne savent pas nécessairement comment aborder les gens puisque dans certains pays en Afrique, les salutations et les formes de politesse occupent une place très importante. Les différences concernent aussi l’éducation des enfants, les rôles des hommes et des femmes, l’expression de la religion, les formes de politesse et l’ouverture à la sexualité. La majorité des participants rapporte vouloir davantage comprendre et être informée sur les valeurs et modes de vie de leur société d’accueil.

Comme moi, quand je suis venue, j’étais une grande personne et je n’arrive pas à m’habituer. Même si je vis ici depuis longtemps, non, je n’arrive pas m’intégrer. […] Une belle intégration, ça serait, parce que nous on est venu, on croyait que ça serait la même chose que chez nous. On sort, on rencontre des gens. […] comme nous [en Afrique] on est dans le bloc tout le monde est ouvert, on se rencontre, on reste dehors, on parle. Ici ce n’est pas la même chose, tout le monde est chez lui. Il faut fermer la porte, il ne faut pas laisser la porte ouverte. Tu peux rester même deux semaines à trois semaines tu ne vois pas personne. À la maison, tu es juste là avec les enfants. Ça, ça nous arrive pas, nous, en Afrique. [Wivine, participante, F., 31-35 ans, 16 années.]

Ce qui me touche beaucoup c’est au niveau sexualité à l’école avec les enfants. Ça me fait comme peur […] Parler des gais, des homosexuels, ça me fait peur. Ici à l’école, mon professeur de sciences il est gai et quand il parle de ça, il n’est pas gêné et pour moi ça me met mal à l’aise […]. En Afrique là, on ne peut pas vraiment parler de ça.

[Kadjatou, participante, F., 21-25 ans, 1 année.]

Le CMQ peut disposer de quelqu’un qui peut nous aider vers l’intégration québécoise [pour nous aider] à comprendre le mode de vie québécois. […] [Le Québécois], si je le laisse aller, si je lui dis bonjour peut-être qu’il ne va pas accepter. Est-ce qu’il va accepter [mes salutations] ? Nous sommes en train d’hésiter. On va hésiter jusqu’à quand ? Le temps

Plusieurs des femmes participantes ont relaté des défis pour la préparation des repas. La méconnaissance de plusieurs produits retrouvés dans les supermarchés québécois ainsi que la façon de les apprêter les contraignaient à se procurer des denrées dans les épiceries africaines spécialisées. Toutefois, elles rapportaient que les produits alimentaires africains sont plus dispendieux. Elles mentionnaient aussi que la préparation des repas traditionnels africains est longue, parfois une demi-journée ou une journée entière. Cela leur laisse peu de temps pour vaquer à d’autres occupations. Ces participantes auraient souhaité avoir accès à des services qui peuvent leur présenter certains aliments et plats traditionnels québécois ainsi que les méthodes de préparation.

Au niveau de la nourriture, ici là, la nourriture africaine c’est très cher. Je trouve que la nourriture québécoise est un peu moins chère. Je veux en acheter et en préparer, mais je ne [sais pas comment]. [Augustine, participante, F.,

31-35 ans, 1 année.]

L’épicerie africaine c’est trop cher. […] C’est cher. […] C’est cher, mais on n’a pas le choix. […] on connait juste ça. [Wivine, participante, F., 31-35 ans, 16 années.]

Si on avait du temps [pour fréquenter] les Québécois, on pourrait voir comment ils préparent, mais on n’a pas le temps. Tous les jours, on va à l’école. Ou voir comment ça se passe chez les Québécois. [Aminata, participante, F., 41-45 ans, 1 année.]

Parce que nous on mangeait [de la nourriture] africaine. On ne savait pas où acheter [la nourriture]. Ça nous a pris des années avant de savoir où on peut acheter de la farine, où on peut acheter du poisson. [Wivine, participante, F. 31-35 ans, 16 années.]

Quelques femmes ont également mentionné le manque d’informations concernant différents usages quotidiens. Par exemple, elles ne savaient pas comment faire l’entretien ménager de leur logement et le nettoyage des électroménagers. Dans leurs expériences en Afrique, les toilettes sont en réalité des sanitaires qui se trouvent à l’extérieur et qui ne nécessitent aucun entretien. De plus, la cuisine se fait dans la cour arrière et sans appareils ménagers. En ce qui concerne les électroménagers, plusieurs participants n’en avaient jamais utilisé dans leur pays d’origine ou dans les camps de réfugiés. Ainsi les modes d’emploi et leur entretien leur étaient inconnus à leur arrivée.

Et puis aussi le problème. Ils nous accueillent bien, ils nous donnent des meubles, les meubles en Afrique on n’utilise pas ça. Ils devraient nous former d’abord comment nettoyer la maison, comment faire le ménage, tout ça là. C’est ça qui est très important pour nous. Parce que là-bas, la maison est construite par des murs, des briques là. Mais ici ce n’est pas ça. Les planchers chez nous, il n’y a pas de plancher. Là quand nous sommes arrivés on devait [apprendre à connaître] les produits pour nettoyer, comment nettoyer les planchers, comment nettoyer la salle de bain. Comment arranger les chambres, tout ça. Ils nous laissent comme ça. [Aminata, participante, F., 41-45 ans, 1 année.]

La majorité des participants a été complètement désorientée à l’arrivée et pendant les années subséquentes. Les personnes ont rencontré différents obstacles énumérés ci-dessus et bien plus encore. Elles auraient eu besoin de plus d’accompagnement dans les premiers jours qui ont suivi leur installation dans la ville de Québec afin de posséder une meilleure connaissance des modes de vie et des valeurs québécoises. Les participants auraient souhaité plus de soutien dans le développement de leurs réseaux sociaux, davantage d’accompagnement linguistique, de l’appui pour différents usages quotidiens, une meilleure connaissance des divers services publics, des ressources et des commerces de leur quartier et plus encore.