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2 La preuve de l'erreur

C. La sanction de l'erreur

Une fois réunies les conditions pour l'admission de l'erreur sur la substance, la sanction elle- même ne soulève dans son principe aucune difficulté. L'erreur étant essentielle, le consentement donné n'est pas valable et l'acte n'est pas valide. La victime de l'erreur n'est donc pas liée par l'obligation ; si l'erreur est commune aux deux parties d'un traité, l'une et l'autre pourront s'en prévaloir. Cependant, sur la mise en œuvre de cette protection des controverses s'élèvent qui proviennent de l'insuffisante élaboration de la théorie des sanctions en droit international et de la rareté de son application aux vices du consentement.

En premier lieu, il importe de savoir si l'erreur entraîne l'anéantissement de l'acte tout entier ou seulement de la disposition qu'elle entache. Longtemps la doctrine s'est peu préoccupée du problème et a semblé pencher vers la première solution. La raison est que, par définition, l'erreur essentielle, détruisant le fondement de l'acte, prive le consentement de toute réalité264. L'argument n'est pas décisif parce qu'il néglige la divisibilité des actes unilatéraux et des traités. Certaines dispositions sont indépendantes du reste de l'acte : elles sont séparables des autres dispositions et n'ont pas constitué la condition du consentement donné à d'autres parties de l'acte. Lorsque l'erreur vicie l'acquiescement donné à l'une des dispositions indépendantes, seule cette disposition doit être considérée comme non valable. Depuis longtemps d'ailleurs les Etats ont, à l'image de ce qui se fait en droit interne265, appliqué ce principe, notamment aux traités frontières. Si l'erreur ne porte que sur une portion de la frontière ils limitent leur contestation à la partie erronée du tracé, sans plaider la nullité du traité tout entier266 ; Bien entendu, si les dispositions sont indivisibles la validité de l'acte entier est mise en cause267. La sanction est donc étroitement calquée sur les effets de l'erreur.

264 Ceci tient dans une large mesure à ce que les dispositions d'un traité étaient considérées indivisibles. En sens contraire, cependant le projet de la Harvard Law School, art. 30, op. cit., p. 1134; add. Waldock, 2e rapport, additif, A/CN4/156/Add 2, art. 26, p. 16; et l'art. 34 al. 3 du projet de la Commission du Droit international.

265 Planiol Ripert Esmein, Traité pratique de droit civil français, 2e éd., 1952, t. VI, n° 188; Marty et Raynaud, Droit civil, 1962, t. II, n° 130.

266 Affaire de la frontière Nord-Est, Grande-Bretagne-Etats-Unis, précitée. Cpr. affaire de la souveraineté sur certaines parcelles frontalières, Belgique c. Pays-Bas, précitée.

267 Par exemple dans l'affaire du Statut du Groenland oriental (validité de la déclaration Ihlen) . V. également la sentence rendue dans l'affaire Schlessiger, précitée, R.S.A., III, p. 1654.

La préoccupation de préserver l'acte au maximum se retrouve-t-elle dans la détermination des effets dans le temps de la sanction de l'erreur ? Telle est la portée de la controverse sur le caractère rétroactif ou non de l'invalidité prononcée par le juge. Le problème est compliqué par l'insuffisante précision de la terminologie du droit international. On oppose en général l'annulabilité qui ne produit effet qu'ex nunc a la nullité qui produit effet ex tune268. Mais certains distinguent encore la nullité absolue rétroactive et la nullité relative qui ne serait jamais rétroactive269.

La logique est en faveur de la rétroactivité. L'erreur exclut tout véritable acquiescement ; le juge doit constater l'invalidité ob initio. Cette solution, qui est celle de la Common Law270, comme des droits continentaux271, assure une protection intégrale à la victime de l'erreur lorsque l'acte a reçu un commencement d'exécution. Mais elle est susceptible de troubler la sécurité des relations internationales. Elle implique, en principe, que tombent rétroactivement à leur tour tous les actes qui sont intervenus sur la base de l'acte annulé.

La jurisprudence internationale n'offre guère de précédents. Dans un certain nombre de cas, elle semble avoir admis que l'erreur entraîne la nullité, sans en préciser nettement les effets272 ! ; dans d'autres, elle s'est contentée de formules vagues, permettant à la victime « de revenir sur sa décision »273 ou « autorisant un nouvel examen » en vue de réparer le vice274. Cette ambiguïté s'explique parce que le plus souvent l'erreur a été plaidée avant la mise à exécution de l'acte, ce qui ôtait tout intérêt à la rétroactivité. En faveur de la non-rétroactivité on peut cependant invoquer la décision rendue à propos de la portion de territoire que les États-Unis occupaient par erreur au nord du 45e degré275.

268 En faveur de la nullité voir notamment : Commentaire de l'art. 34 du projet de la Commission du Droit international, op. cit., p. 28; Fitzmaurice, rapport précité, art. 22 C, p. 28. En faveur de l'annulabilité, Harvard Law School, op. cit., p. 1134; Lauterpacht, rapport précité, p. 213.

269 Dans le sens de la nullité relative ainsi entendue, GUGGENHEIM (P.), « La validité et la nullité des actes juridiques internationaux », R.C.A.D.I., 1949, I, p. 235; DELBEZ, « Les principes généraux du contentieux international », Paris, 1962, p. 242.

270 Fitzmaurice, op. cit., avec plus de réserves CHITTY, On contracts, op. cit., p. 413.

271 Pour le droit français : PLANIEL, RIPERT, ESMEIN, op. cit., t. VI, n. 188. Pour le droit allemand, RIEG, Le rôle de la volonté dans l'acte juridique en droit civil français et allemand, L.G.D.J., 1961, n° 139 et les références.

272 Affaires Mavrommatis et Préah Vihéar (exceptions préliminaires) solution implicite. 273 Affaire Schlessiger, précitée, R.S.A., III, p. 1654.

274 Sentence du 10 août 1937 précitée, Allemagne-Lithuanie, R.S.A., II, p. 1761.

275 Affaire de la frontière du nord-est précitée ; aucune rétroactivité n'a été imposée. Pour une position plus catégorique, voir Guggenheim, cours précité, R.C.A.D.I., 1949, I, p. 235.

La solution la plus séduisante est peut-être d'offrir à la victime de l'erreur une option, exercée sous le contrôle du juge, entre la nullité qui opère rétroactivement et la résiliation dont les effets courent à dater du jugement. Cette souplesse, que préconisait dans son rapport Sir Humphrey Waldock276, assure à Yerrans une protection satisfaisante tout en tenant compte des cas où la sécurité juridique rend peu opportun, voire impossible, d'accomplir les mesures exigées par la rétroactivité qui est en réalité une projection du passé dans l'avenir.

On ne saurait enfin oublier que les parties peuvent s'accorder à demander une sanction qui implique comme la nullité l'invalidité de la disposition erronée mais présente en plus un aspect positif, la rectification. La disposition viciée, anéantie, est alors remplacée par une autre277.

Le comportement des parties est pris en considération par le droit international pour écarter la sanction de l'erreur ou en limiter les effets, afin d'éviter de porter atteinte à la sécurité des relations juridiques. L'influence du comportement des parties revêt d'ailleurs une double forme. D'abord, volontaire et directe lorsque les auteurs de l'acte manifestent le désir de déterminer eux-mêmes les effets de l'erreur. Plus encore, involontaire et indirecte en ce que, dans sa décision, le juge tient le plus large compte de la conduite des parties tant concomitante que postérieure à la commission de l'erreur.

Lors du prononcé de la sanction, le juge est lié par le compromis ou la demande des parties. Sans doute la sanction dépend d'abord de la nature de l'erreur. Ainsi, seule l'erreur qui vicie le consentement affecte la validité de l'acte. Mais, pour cette erreur, il existe une gamme de sanctions entre lesquelles les parties choisissent en fonction de leurs intérêts par le biais de la demande présentée. Ainsi le demandeur pourra se contenter d'une sanction moins grave que l'annulation rétroactive.

276 2e rapport précité, p. 37-38.

277 Parce que la rectification porte ici sur la substance de l'acte elle diffère profondément dans ses effets sinon dans sa nature, de la simple rectification de l'erreur dans l'expression de la volonté. L'admission de la rectification résulte implicitement de la sentence rendue dans l'affaire de la frontière du nord-est ;V. DE LA PRADELLE (A.) et POLITIS (N.), op. cit., t. I, p. 376 et le commentaire, p. 395 et s. En effet, si la substitution d'une nouvelle frontière a été critiquée c'est parce que l'arbitre avait choisi la nouvelle frontière sur la base de raisons de pure convenance étrangères aux textes que le compromis lui demandait d'interpréter.

Surtout, les parties ont la faculté de régler elles-mêmes les effets de l'erreur sans recourir au juge. La solution est aisée lorsque les États décident de ne pas invoquer l'erreur. En présence d'une erreur purement formelle dans la déclaration de volonté, les parties peuvent exécuter sans soulever une difficulté d'interprétation. Plus remarquable encore est la confirmation de l'acte vicié par laquelle un État renonce à invoquer l'erreur qui a altéré son consentement. Cette faculté, reconnue par la théorie générale du droit, érige dans une certaine mesure Verrans en juge de la portée de l'erreur sur son consentement. Il est vrai que d'après certains auteurs la confirmation ne serait pas permise par le droit international278. Mais cette thèse, contredite par la majorité de la doctrine279, n'emporte pas l'adhésion. Si la jurisprudence internationale n'offre pas d'exemples de confirmation c'est uniquement parce que, par nature, cette opération prévient tout litige et ne laisse guère de traces. D'ailleurs, Verrons étant d'accord, qui serait fondé à se plaindre du maintien de l'acte, favorable à la sécurité juridique ? En revanche, la volonté est moins efficace lorsqu'elle se propose d'obtenir la sanction de l'erreur. Il faut alors l'accord des deux parties. En effet, que l'acte soit une convention ou un engagement unilatéral accepté par un tiers, que l'erreur porte sur l'expression ou la substance du consentement, la sanction (invalidation ou rectification) ne peut être imposée unilatéralement sans l'intervention du juge. La doctrine, unanime en ce sens280, considère que la dénonciation unilatérale est contraire à la bonne foi et à la force obligatoire des actes juridiques281. Le danger en serait si grand qu'aucun auteur ne semble avoir songé à invoquer ici la théorie de l'inexistence que l'on pourrait appliquer à l'hypothèse où l'erreur fait obstacle à tout consensus ad idem.

L'illégitimité de la sanction unilatérale est confirmée par la pratique. On ne cite guère qu'une rectification d'erreur, viciant un traité de délimitation, opérée de force par l'Autriche au détriment de la Pologne moribonde au XVIIIème siècle282. En règle générale, faute d'accord, 278 Guggenheim, cours précité, R.C.A.D.I., 1949, I, p. 209, note 2.

279 Voir par exemple rapport Waldock, p. 39.

280 Seul le rapport de Sir Humphrey Waldock pouvait d'après la rédaction et le commentaire des art. 8 et 9, donner à penser que la victime de l'erreur, pouvait unilatéralement considérer son consentement comme nul db initio. Mais cette décision a une portée limitée et ne permet pas à une partie d'imposer sa volonté à l'autre ainsi que l'a mieux montré le deuxième additif à ce rapport (art. 25) A/CN4/156/Add 2, p. 7 et s.

281 Sur le fondement de la règle, voir les observations de Sir Humphrey Waldock, deuxième rapport, deuxième additif précité, p. 10-11.

282 Affaire dite de Podhorze. Le traité faisait mention d'une rivière Podhorze qui n'existait pas en réalité. Tomsic, p. 60.

les Etats soumettent à un juge les différends de cette nature, reconnaissant ainsi les limites de leur droit283. Il apparaît donc finalement que le droit international laisse jouer la volonté des parties exclusivement dans le sens favorable à la stabilité des actes juridiques, afin de minimiser les effets de l'erreur.

La plus simple est d'admettre que dispenser l'auteur de la sanction que normalement devrait lui valoir l'acte est ériger l'erreur en fait qui supprime le caractère illicite de l'acte commis. Ainsi procède le droit pénal à l'égard des infractions qui requièrent un élément intentionnel et dont l'erreur empêche la sanction. Et telle est la conception du Tribunal arbitral dans la sentence du 31 juillet 1928 relative à la « Responsabilité de l'Allemagne à raison des dommages causés dans les colonies portugaises du Sud de l'Afrique ». Le fait pour une mission allemande d'avoir par erreur pénétré en armes en territoire portugais n'est pas jugé acte contraire au droit des gens car il n'y avait pas « pénétration calculée sur le territoire portugais avec le but clandestin d'en commencer ou préparer l'invasion ». Il faut pousser l'analyse plus avant. Puisque le comportement de Yerrans est la base de l'exonération, il est légitime d'admettre que l'absence d'illicite tient à ce que l'État était tenu non d'une obligation de résultat mais d'une obligation de comportement (que les civilistes nomment souvent obligation de moyens). L'obligation est seulement de faire diligence ; l'erreur commise de bonne foi n'y contrevient pas.

Dans les droits de la responsabilité fondés sur la faute on parvient au même résultat par un raisonnement un peu différent. Il est admis que dans certains cas l'erreur excusable ou inévitable ne constitue pas une faute : prouver l'erreur est donc s'exonérer de la sanction. C'est à cette notion traditionnelle qu'a préféré se référer la Cour permanente d'arbitrage dans l'affaire des déserteurs de Casablanca parlant « d'erreur... qui ne saurait être imputée comme une faute soit intentionnelle soit non intentionnelle ». Et, comme l'a fait observer M. Reuter, le recours au vocabulaire de la faute n'est pas mal venu lorsque, comme tel était le cas, l'arbitre porte un jugement d'où ne sont pas exclues toutes considérations morales.

Quelle que soit l'argumentation avancée, l'erreur exonère son auteur de la sanction parce qu'elle implique la bonne foi et apparaît excusable. Le caractère excusable de l'erreur 283 Cpr. le message adressé par Delcassé, ministre des Affaires étrangères aux ambassadeurs concernant une convention conclue entre la France et la Grande-Bretagne sur le régime du Lac Tchad. A la suite d'une erreur préjudiciable à la France la négociation fut reprise. « En équité, on nous devait... en droit, néanmoins rien n'y obligeait », reconnaît Delcassé, cité par Kiss, Répertoire de la pratique française en matière de droit international public, 1962, t. I, n° 97.

commande le jeu de l'exonération. Il est, comme en matière d'obligations consensuelles, apprécié en fonction des données de l'affaire. Mais la notion d'erreur excusable est entendue ici plus largement, en ce que l'erreur de droit n'est pas exclue en vertu d'une présomption irréfragable. Cette règle est d'autant plus remarquable que précisément l'erreur de droit pourrait tomber ici sous le coup de l'adage « Nemo censetur ignorare legem »; elle n'en est pas moins conforme aux principes du droit interne. Le droit international est d'ailleurs plus strict que le droit interne : il ne semble pas pousser le principe jusqu'à ses limites extrêmes ce qui conduirait à admettre la règle « error communis jacit jus ».

Dans l'affaire des déserteurs de Casablanca, la Cour permanente d'arbitrage a jugé excusable l'erreur de droit commise. Le Consul allemand n'avait pas le droit d'accorder sa protection aux légionnaires allemands évadés parce qu'ils relevaient de la juridiction de l'autorité française. Mais l'enchevêtrement des compétences était si grand qu'une étude très fouillée était nécessaire pour parvenir à cette conclusion. C'est pourquoi, de l'avis de la Cour, « l'erreur de droit commise sur ce point par les fonctionnaires du Consulat ne saurait leur être imputée comme une faute... ». Au reste, il n'est meilleure illustration de la recevabilité de l'erreur de droit que la question classique de la responsabilité internationale pour erreur du juge interne. Le problème du mal jugé, qui ne concerne pas les décisions des juridictions inférieures réparées par une juridiction supérieure, reçoit une solution tout entière fondée sur les principes précédemment dégagés. Aussi bien peut-il se formuler en ces termes : l'erreur du juge suffit-elle pour engager la responsabilité de l'État, n'est-elle pas au contraire une cause d'exonération de la responsabilité ?

La doctrine, dans sa très large majorité, distingue de l'injustice évidente ou manifeste — source de responsabilité parce qu'entraînant un déni de justice — la simple erreur qui n'est pas sanctionnée par le droit international. La jurisprudence applique cette solution dont, comme l'a montré M. Charles de Visscher, la formulation la plus précise semble avoir été donnée dans l'affaire du Lotus : « le fait que les autorités judiciaires auraient commis une erreur dans

le choix de la disposition légale, applicable en l'espèce et compatible avec le droit international, ne concerne que le droit interne et ne pourrait intéresser le droit international que dans la mesure où une règle conventionnelle ou la possibilité d'un déni de justice entreraient en ligne de compte ». C'est dire que l'erreur du juge interne n'engage la

responsabilité que si elle constitue une violation d'une obligation internationale. Surtout, la Cour indique très exactement les deux formes que cette obligation peut revêtir.

Dans certains cas l'État est assujetti à une obligation de résultat. Une convention ou une règle de droit international lui impose d'assurer aux étrangers un traitement défini. Toute erreur judiciaire, même de bonne foi, qui prive l'étranger de ce traitement constitue une violation du droit international et engage la responsabilité de l'État. Mais ces hypothèses ne sont qu'exception très rare.

En principe, l'État doit seulement assurer aux étrangers une protection judiciaire convenable : c'est une simple obligation de comportement. Aussi la responsabilité n'est-elle engagée qu'au cas de déni de justice qui prive l'étranger des garanties indispensables de bonne justice et constitue en fait un refus plus ou moins déguisé de protection judiciaire. L'erreur de fait ou de droit privé peut-être l'étranger d'avantages qui auraient dû lui être reconnus, mais non de la protection judiciaire convenable parce qu'aucune organisation judiciaire ne peut le garantir de façon absolue contre l'erreur du juge. Pour cette raison, contraire au droit, la décision erronée n'est pas illicite. De nombreuses décisions ont consacré cette règle parmi lesquelles se détache la sentence rendue dans l'affaire Martini pour laquelle le déni de justice dans l'interprétation d'une sentence arbitrale suppose « une erreur grossière, inexcusable, volontaire et malveillante ».