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Les standards de traitement juste et équitable (fair and equitable treatment) et de pleine et entière protection et sécurité sont au fondement du droit international de l’investissement. Ces règles mettent une obligation de moyen à la charge de l’Etat d’accueil.

La naissance du standard du traitement juste équitable résulte d’une affirmation conventionnelle. En effet, la première référence au « traitement juste et équitable » de l’investisseur apparaît dans la Charte de La Havane visant à créer l’Organisation internationale du commerce en 1948. L’article 11 de ce traité, jamais entré en vigueur, recommandait la conclusion d’accords internationaux visant « à assurer un traitement juste et équitable en ce qui concerne l’effort d’entreprise, les compétences techniques, les capitaux, les procédés ou techniques apportés d’un État membre dans un autre » 287.

Dans un cadre régional, l’accord économique de Bogota (non entré en vigueur) énonçait : « Les capitaux étrangers recevront un traitement équitable. Les États conviennent par conséquent de ne pas prendre de mesures injustifiées, déraisonnables ou discriminatoires qui seraient préjudiciables aux droits ou aux intérêts légitimement acquis par des ressortissants d’autres pays en raison de l’effort d’entreprise, des capitaux, des compétences techniques, des procédés ou des techniques qu’ils auraient fournis »288.

Le standard du traitement juste et équitable est une clause désormais classique des instruments bilatéraux de promotion et de protection de l’investissement. Ainsi, même les États qui soumettaient l’investissement étranger à un contrôle strict et privilégiaient le recours au standard du traitement national comme les États sud-américains au nom de la doctrine Calvo, ou la République populaire de Chine insèrent désormais systématiquement la référence au traitement juste et équitable dans leurs engagements internationaux en matière 287 Charte de La Havane instituant une Organisation internationale du commerce, 24 mars 1948, art.

11. 2. a. i.

288 Accord économique de Bogota, 1948, art. 22, cité par OCDE, La norme du traitement juste et équitable dans le droit international des investissements : OCDE, 2004, spéc. p. 4.

d’investissement. On peut ainsi affirmer qu’à l’exception de quelques traités conclus par de rares États asiatiques (Pakistan, Arabie saoudite, Singapour), le standard est inclus dans la quasi-totalité des TBI.

Les relations France – Qatar n’ont pas fait exception à la règle. En effet, les investissements entre la France et le Qatar sont protégés par le standard du traitement juste et équitable. À ce titre, « Chacune des Parties contractantes s'engage à assurer un traitement juste et équitable conformément aux principes du droit international, aux investissements des investisseurs de l'autre Partie réalisés sur son territoire et dans sa zone maritime en conformité avec sa législation et à faire en sorte que l'exercice du droit ainsi reconnu ne soit entravé ni en droit, ni en fait »289.

Le standard du traitement juste et équitable découle du standard plus ancien de traitement minimum des étrangers. Il s’agit de considérer que l’État ne saurait aller en dessous d’un certain seuil de traitement des étrangers (et notamment des investisseurs étrangers) quel que soit le traitement réservé à ses nationaux. Ce standard joue ainsi un rôle de plancher en dessous duquel il ne saurait être question de descendre dans le traitement auquel l’État soumet les étrangers.

Le contenu de ce standard de protection est très large. En effet, Le respect du traitement juste et équitable est d’abord régi par le principe de transparence. Afin de programmer son investissement et de se conformer à celles-ci, l’investisseur doit pouvoir avoir connaissance en amont de toutes les règles et réglementations – ainsi que de leurs objectifs – qui s’appliqueront à son activité ou pourraient l’affecter. Certains instruments internationaux relatifs à l’investissement comportent une disposition spécifique relative à l’obligation de transparence290.

289 Article 3, accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements signé à Doha le 8 juillet 1996.

290 Accord de libre-échange nord-américain, Washington, 17 déc. 1992, art. 1802. – Modèle finlandais de TBI, 2001, art. 5.

Le principe est affirmé de manière très claire dans la sentence Tecmed rendue en application de l’ALENA : « ambiguity and uncertainty which are prejudicial to the investor in terms of its advance assessment of the legal situation surrounding its investment and the planning of its business activity and its adjustment to preserve its rights » 291.

L’obligation de transparence pesant sur l’État porte non seulement sur les règles de droit propres à l’activité de l’investisseur, mais aussi les règles générales applicables en matière fiscale, de protection sociale, de la santé ou de l’environnement, d’organisation administrative, etc. Certains instruments conventionnels étendent l’obligation de transparence aux projets de réglementation ou législation préparés par l’État d’accueil de l’investissement 292.

Il s’agit ainsi de s’assurer que l’investisseur peut prendre des décisions en toute connaissance de cause. Sur le fondement du principe de transparence, les investisseurs ont le droit de savoir en toutes circonstances quel régime juridique est applicable à leur opération ou peut l'affecter. Il convient d'éviter les situations de doute ou de flottement. Lorsqu’une telle situation survient, l’État a l’obligation d’assurer que les investisseurs puissent agir en ayant le sentiment de le faire conformément au droit national.

En outre, le standard du traitement juste et équitable impose une protection contre le déni de justice. La protection contre le déni de justice constitue la première manifestation de l’affirmation du standard de traitement minimum des étrangers. La caractéristique essentielle du déni de justice serait une administration gravement inadéquate de la justice.

291 T. CIRDI (MS), 29 mai 2003, aff. n° ARB(AF)/00/2 (ALENA), Tecnicas Medioambientales TECMED S.A. c/ Mexique, spéc. § 172 : JDI 2004, chron. 7, p. 213.

292 Accord entre le Japon et la République du Pérou pour la promotion, la protection et la libéralisation de l’investissement, Lima, 21 nov. 2008, art. 9.

La notion est ainsi placée au cœur de la décision Neer 293. Il apparaît à la lecture de ce précédent qu’est retenue une conception large du déni de justice. Les arbitres relèvent ainsi que « it is immaterial whether the expression 'denial of justice' be taken in that broad sense in which it applies to acts of executive and legislative authorities as well as to acts of the courts, or whether it is used in a narrow sense which confines it to acts of judicial authorities only » (Neer, préc., spéc. § 4). Le standard ainsi envisagé apparaît susceptible de renvoyer à de nombreuses réalités au-delà du seul fonctionnement défectueux de l’appareil juridictionnel de l’État.

Mais la commission d’arbitrage mixte de l’affaire Neer retient malgré tout une conception restrictive du déni de justice en ce que celui-ci ne serait constaté qu’en cas de mauvaise foi de l’État ou d’intention malveillante. La pratique contemporaine maintient le principe selon lequel la qualification de déni de justice est un standard élevé mais a abandonné l’exigence de mauvaise foi ou d’intention malveillante de l’État pour établir son existence 294.

La relation entre le traitement juste et équitable et la protection contre le déni de justice est telle que le modèle de TBI des États-Unis (version de 2012) précise spécifiquement que « fair and equitable treatment » includes the obligation not to deny justice in criminal, civil, or administrative adjudicatory proceedings in accordance with the principle of due process embodied in the principal legal systems of the world » (Modèle de TBI des États-Unis d’Amérique, 2012,
art. 5.2.a).

De plus, le standard du traitement juste et équitable pose une interdiction des mesures arbitraires ou discriminatoires. En effet, certains traités d’investissement précisent dans la disposition consacrée au traitement juste et équitable que l’État doit s’abstenir de toute

293 (Commission d’arbitrage mixte Mexique/États-Unis, 15 oct. 1926, L.F.H. Neer and Pauline Neer (États-Unis d’Amérique) c/ Mexique : RSA, vol. IV, spéc. p. 60).

294 (CPA, 30 mars 2010, aff. n° 34877, Chevron Corporation and Texaco Petroleum Company c/ Équateur, spéc. § 244).

mesure discriminatoire ou arbitraire 295. Il est acquis que même en l’absence d’une telle référence, sur le fondement du standard, l’État aura l’obligation de ne pas adopter à l’encontre de l’investisseur des mesures arbitraires ou discriminatoires non justifiées. Enfin, ce standard est caractérisé par la protection contre le harcèlement et la protection des attentes légitimes de l’investisseur.

Le standard du traitement juste et équitable inclut une exigence de protection de l’investisseur contre le harcèlement de la part de l’État d’accueil 296. Cette protection contre le harcèlement couvre non seulement les hypothèses dans lesquelles l’investisseur serait soumis à des complications administratives systématiques et injustifiées imposées par les autorités de l’État d’accueil, mais inclut également les cas de pressions, mesures de coercition et menaces ou intimidations dont l’État se rendrait coupable à l’endroit de l’investisseur. Cela peut se traduire par des poursuites pénales abusives, des mesures de privation de liberté, la saisie des biens ou toute mesure de ce type qui interféreraient gravement avec la gestion de l’investissement en étant manifestement privées de fondement juridique.

Dans la pratique contentieuse, cette déclinaison du standard juste et équitable est principalement invoquée par l’investisseur dans le contexte de menaces, de poursuites judiciaires injustifiées ou de violences physiques dont il serait la cible 297. Envisagée ainsi, l’exigence de protection contre le harcèlement renvoie assez largement au standard, courant dans les instruments d’investissement, de pleine et entière protection et sécurité qui s’exprime principalement en une obligation de protection physique de l’investisseur.

295 Accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements entre le Royaume des Pays-Bas et le Sultanat d’Oman, 17 janv. 2009, art. 2.2.

296 (T. CIRDI, 1er juin 2009, aff. n° ARB/05/15, Waguih Elie George Siag & Clorinda Vecchi c/ Égypte, spéc. § 450).

297 (T. CIRDI, 6 févr. 2008, aff. n° ARB/05/17, Desert Line Projects LLC c/ Yémen, spéc. § 179 : JDI 2009, chron. 2, p. 332, spéc. 342).

La protection des attentes légitimes de l’investisseur est une manifestation récente du standard du traitement juste et équitable. Il s’agit d’assurer une protection aux attentes générées par l’État dans le chef de l’investisseur. Affirmer que l’investisseur étranger nourrit des attentes est une évidence, plus délicate est la détermination des conditions dans lesquelles celles-ci seront considérées légitimes, et à ce titre protégées par le standard du traitement juste et équitable. Ce pourrait être le cas lorsque les attentes légitimes sont nées de représentations que se faisait l’investisseur de l’action de l’État et en fonction desquelles il a déterminé les modalités de poursuite de son activité économique.

Il en résulte que les investisseurs étrangers bénéficient d’une large protection au titre du standard du traitement juste et équitable. Cette protection est d’autant plus confortée par le standard de pleine et entière protection et sécurité.

La doctrine de l’abus de droit apparait en filigrane dans l’interprétation contemporaine du standard du traitement juste et équitable. L’émergence de standards coutumiers (standard minimum) ou conventionnels (traitement juste et équitable) a rendu largement inutile le recours au concept d’abus de droit.

Dès lors, même si on admet que le standard du traitement juste et équitable constitue une manifestation de la bonne foi, voire qu’il découle de la norme prohibitive de l’abus de droit, il ne saurait leur être assimilé complètement. Cependant, s’il est évident que la doctrine de l’abus de droit a contribué à la formation de ces standards, la teneur exacte de ces mêmes standards peut être identifiée par référence à l’abus de droit. Dans la pratique arbitrale, l’interprétation du standard du traitement juste et équitable repose sur des concepts qui renvoient aux différentes composantes, subjectives et objectives, de la doctrine de l’abus de droit.

Par ailleurs, l’investisseur est protégé par le standard de pleine et entière protection et sécurité. L’investisseur peut, sur le territoire de l’État d’accueil être confronté à des situations de fait perturbant, parfois gravement, son investissement. Il peut s’agir de situations de

troubles sociaux, de guerre civile, d’opérations militaires ou de problèmes d’insécurité entendus au sens large. Face à ce type de risque pour l’investisseur et son investissement, les États ont élaboré et inscrit dans la très grande majorité des instruments internationaux relatifs à l’investissement le standard de pleine et entière protection et sécurité.

Les formulations varient assez peu mais on peut trouver dans quelques traités internationaux des références à une obligation d’assurer une protection et une sécurité les plus constantes possible 298 ou une sécurité intégrale 299. Quelle que soit la formulation retenue, il est admis que le standard de pleine et entière protection et sécurité relève du droit international coutumier et est régulièrement inscrit dans la même disposition que le standard du traitement juste et équitable.

Ce standard met à la charge de l’État une obligation de moyen. En vertu de cette obligation, l’État doit se comporter comme cela serait légitimement attendu dans des circonstances analogues d’un gouvernement bien administré 300. Ce standard de traitement se trouve consacré en ce qui concerne les relations entre la France et le Qatar. En effet, « les investissements effectués par des investisseurs de l'une ou l'autre des Parties contractantes bénéficient sur le territoire et dans la zone maritime de l'autre Partie contractante, d'une protection et d'une sécurité pleines et entières »301.

Le standard vise à assurer la protection de l’investisseur contre, d’une part des agissements des organes de l’État et spécialement de ses forces de sécurité (police, armée), mais aussi 298 Traité sur la Charte de l’énergie, Lisbonne, 17 déc. 1994, art. 10.

299 Accord de libre-échange nord-américain, Washington, 17 déc. 1992, art. 1105.

300 T. CIRDI, 28 juill. 2009, aff. n° ARB/07/21, Pantechniki S.A. Contractors & Engineers (Grèce) c/ Albanie, spéc. § 77-81.

301 Article 5, l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’Etat du Qatar sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Doha le 8 juillet 1996.