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La notion juridique d’investissement étranger.

§1 La notion d'investissements étrangers.

B. La notion juridique d’investissement étranger.

Comme il a été décrit, le mot « investissement » provient de la science économique. Il s’agit d’un terme technique et on pourrait laisser supposer qu’il n'existe qu'une seule définition juridique de ce terme. La définition ne serait qu'une traduction de la notion économique sans tenir compte de la fonction de droit, qui n’est pas basé dans l’ordre positif, mais dans l’ordre normatif. Une telle affirmation susciterait de nombreuses interrogations tant le champ d'intervention de l'investissement étranger est large et côtoyant divers systèmes juridiques. La question pourrait se poser tout d'abord sur le pourquoi de l'existence d'un droit international des investissements ? Sans doute est-ce parce que ses auteurs sont les Etats alors que les investisseurs peuvent être des personnes physiques et morales (sociétés multinationaux, etc...). Ces acteurs ont, en cette matière, des devoirs et des droits. Ils doivent préciser son contenu par les instruments qui la régissent. Avant d’aborder la question des instruments juridiques nationaux (le cas des droits français et qatari) d’une part, et d’autre part, internationaux et conventionnels définissant la notion des investissements étrangers, qu’il s’agisse de conventions multilatérales et bilatérales, il importe de rappeler que les notions d’ « investissement direct étranger » et « investissement de portefeuille », ont été citées par les grandes institutions et organisations internationales comme FMI, l’OCDE à des fins principalement statistiques. En effet, il n’existe aucune définition à portée générale de l’investissement étranger32. La matière est éminemment éclatée, car il une multitude de définitions juridiques de la notion d’investissement, définie par différents textes internes ou internationaux qui l’appréhendent. Donc, à chaque texte relatif aux investissements étrangers correspond une définition de cette notion qui lui propre...

32AUDIT (M.), BOLLE (S) et CALLE (P.), Droit du commerce international et des investissements

étrangers. 2014 LGDI, § 260, p.230.

La Convention de Washington du 18 mars 1965 avait reconnu la notion d'investissement étranger en établissant le Centre International de Règlement des Différends relatifs aux Investisseurs (CIRDI), sans pour autant définir la notion d'investissement étranger. Le CIRDI avait été établi pour le règlement des différends en relation direct avec un investissement. La notion d'investissement n'étant pas définie par ladite convention, il était laissé aux acteurs (Etats, entreprises, etc) l'appréciation de la notion d'investissement étranger.

En conséquence, plusieurs définitions juridiques ont vu le jour soit par les textes internes des Etats, soir par des accords et conventions bilatéraux, multilatéraux et internationaux. L'analyse de plusieurs de ces textes démontre que la définition juridique est souvent plus large que la définition économique apportée par les principales institutions internationales.

La définition juridique de manière générale comprend tant les investissements directs étrangers (IDE) que les investissements de portefeuille. Parfois, l'interprétation de la notion d' « investissement international » par le droit vient englober d'autres opérations qui, d'un point de vue économique, auraient été qualifiées de « transactions commerciales internationales ». Cela a été notamment le cas pour plusieurs types d'opérations qui auraient pu être qualifiées de « transactions commerciales internationales » et qui ont finalement bénéficié de la qualification d'investissement, et ainsi, ont relevé de la compétence du CIRDI comme le détaille sa jurisprudence :

• prestation de services (T. CIRDI, 6 août 2003, aff. n° ARB/01/13, SGS c/ Pakistan

(compétence) : ICSID Rep. 2005, p. 406 ; JDI 2004, p. 257. – T. CIRDI, 29 janv. 2004, aff. n° ARB/02/6, SGS c/ Philippines (compétence) : ICSID Rep. 2005, p. 518) • contrat de construction (Salini Costruttori et Italstrade c/ Maroc, spéc. § 52 : ICSID

Rep. 2004, p. 400).

• acquisition d'un effet de commerce par endossement (Fedax c/ Venezuela, spéc. § 40 :

ICSID Rep. 2002, p. 186).

1- Les instruments internationaux (conventions, jurisprudence de

juridictions internationales).

Tout d’abord, il existe de multiples instruments conventionnels relatifs aux investissements étrangers. Les conventions multilatérales (a) sont les moins nombreuses, dont certaines

seulement ont une portée universelle. En revanche, les conventions bilatérales sont plus nombreuses (b), notamment, les conventions bilatérales de promotion et de protection des investissements qui occupent le premier rang.

a. Les conventions multilatérales.

Aujourd’hui, il existe deux principales conventions multilatérales à portée universelle. Bien que les deux conventions aient été négociées sous l'égide de la Banque Mondiale, la définition juridique apportée dans chacune n'est pas la même.

Premièrement, la convention de Washington, établie le 18 mars 196533 a l’objectif pour le règlement des différends entre Etats et ressortissants d’autres Etats.

Ensuite il existe la convention créant l’Agence multilatérale de garantie des investissements, établie à Séoul le 11 octobre 198534. La date et le lieu de signature des deux conventions, sont symboliques ; la convention de Washington, a été voulue par les pays du Nord pour soustraire le règlement des différends liés aux comportements des juridictions des pays du Sud, par exemple, les expropriations et nationalisations. La convention de Séoul est une convention qui a été établi par les pays du Sud, pour contrebalancer l’effet de levier qui s’attachait à la possession de systèmes nationaux de garantie par les pays du Nord.

a-I : La convention de Washington.

La convention de Washington pour le règlement des différends entre Etas et ressortissants d’autres Etats, est entrée en vigueur le 14 octobre 1966. Elle était signée par 159 Etats au 30 juin 2015 et ratifiée par 151 d’entre eux35. Ces chiffres montrent que la convention de Washington, jouit d’un degré important d’acceptation internationale, sans pour autant parvenir à l’universalité. L’objet et le but principaux de la convention de Washington, sont mentionnés par son préambule. Cette convention a la vocation de favoriser le développement

33

La convention de Washington, est entrée en vigueur le 14 Oct. 1966. 18 mois entre la date d’adoption et la date d’entrée en vigueur.

34

La convention de Séoul est entrée en vigueur 12 avril 1988, 30 mois après son adoption. 35

Source : Rapport annuel de CIRDI 2015.

de la coopération économique entre les Etats, en reposant en large part sur la promotion des investissements internationaux en traitant les différends entre les Etats d’accueil et les investisseurs privés émanant d’autres Etats. Même, si ces litiges doivent être résolus par la juridiction de l’Etat d’accueil, il peut être approprié dans certains cas, de recourir à des modes de règlement internationaux. Par contre, le recours à ces modes de règlements peut être utile pour l’Etat d’accueil comme pour l’investisseur.

Pour la protection à la fois des intérêts de l’Etat hôte et des intérêts des investisseurs internationaux, c’est l’article 25 de la convention qui est l’une des dispositions les plus importantes car il pose les conditions de compétence, pour que le centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), puisse être saisi d’une enquête en arbitrage ou en conciliation. Parmi ces conditions, figure celle de l’exigence que le différend soit en relation direct avec les investissements. La convention précise la notion d’investissement afin de permettre aux tribunaux arbitraux qui ont à connaître du litige, de se prononcer en toute connaissance de cause sur leur compétence. Au cours du processus de négociation de la convention, il y a eu plusieurs tentatives de définition de la notion juridique d’investissement. La tentative, la plus intéressante, a été la suivante ;

« Aux fins du présent chapitre (investissement) signifie toute contribution en argent ou autre

avoirs ayant valeur économique, effectuées pour une période indéfinie, ou, si la période précisée, pour au moins cinq ans »36.

Il est évident que cette définition était proche des conceptions économiques, en reprenant deux éléments mis en lumière par ces dernières, c’est à dire, l’existence d’apport, et la durée pour laquelle cet apport était effectué. Cette proposition a toutefois été rejetée. En outre, aucune des autres tentatives de définitions faites au cours des négociations n'ont pu aboutir. L’article 25-1, a précisé que les différends devaient présenter une relation directe avec un investissement :

« La compétence du Centre s’étend aux différends d’ordre juridique entre un Etat

contractant (ou telle collectivité publique ou tel organisme dépendant de lui qu’il désigne au Centre) et le ressortissant d’un autre Etat contractant qui sont en relation directe avec un

36 Investissements étrangers et arbitrage entre Etats et ressortissants d’autre Etats, LITEC.2004. p44.

investissement et que les parties ont consenti par écrit à soumettre au Centre. Lorsque les parties ont donné leur consentement, aucune d’elles ne peut le retirer unilatéralement ». Toutefois, comme il a été souligné, cet article ne se préoccupe nullement de donner une définition juridique de cette notion. En effet, les rédacteurs de la convention, après les tentatives sans succès, n’ont pas voulu s’aventurer sur ce domaine. Le rapport des administrateurs qui accompagne la convention de Washington donne de cette ambiguïté deux explications, qui sont les suivantes : Article 25-4 « il n’a pas été jugé nécessaire de définir le terme d’investissement, compte tenu du fait que le consentement des parties constitue une condition essentielle, et compte tenu du mécanisme par lequel les Etats contractants peuvent, s’ils le désirent, indiquer à l’avance les catégories de différends qu’ils seraient ou ne seraient prêts à soumettre au Centre ».

Le consentement est ainsi formé simultanément, de la volonté conjointe ou séparément des deux parties, par des manifestations successives de cette volonté, comme pour le consentement à l’arbitrage. Ce consentement ne peut valoir reconnaissance, par les deux parties, que le différend soit en relation directe avec un investissement. La pratique des tribunaux (CIRDI) le confirme.

A l’étape de l’examen de compétence, il est évident que l’investisseur (partie demanderesse) affirme presque toujours que toutes les conditions de compétence sont réunies, alors que l’Etat, partie défenderesse conteste souvent la compétence du CIRDI en soulevant un déclinatoire de compétence au motif que l’objet de litige ne constituerait pas un investissement. C’est le tribunal arbitral en définitive qui tranchera, en disant s’il existe ou pas un investissement en l’espèce. La manifestation du consentement de s'en remettre au CIRDI ne suffit pas à établir l’existence d’un investissement. Les deux questions sont examinées indépendamment l’une de l’autre, et la constatation qu’il existe bien consentement n’entraîne pas la constatation qu’il y a bien eu investissement37.

L’argument que tirent les administrateurs de l’article 25-4 de la convention de Washington ne convainc pas davantage. Celui relatif à l’inclusion ou l’exclusion, par tout Etat partie à la convention, de telle ou telle catégorie de différend qu’il considérerait comme susceptible ou 37CARREAU (D.) et JUILLARD (P.). Droit international économique. 5ème éd., p.470.

insusceptible d’être soumis au centre (CIRDI), n'est également d'aucune pertinence. Dans la catégorie des différends admissibles, l’Etat ne peut inclure un différend qui ne serait pas relatif à un investissement. Néanmoins, un Etat peut exclure de la catégorie des différends admissibles un différend qui serait relatif à un investissement.

La liberté d’inclusion ou d’exclusion qui est possible à tout Etat partie concerne le secteur économique dans lequel l’investissement pourrait avoir lieu. C’est à dire que tout Etat partie aurait la possibilité de décider d’exclure, en ce qui le concerne, de la compétence du CIRDI en lien avec les investissements du secteur de l’énergie. C’est dans ce sens que les Etats membres, ont interprété la disposition de l’article 25. Ce fut le cas de l’Equateur qui a dressé une note le 4 décembre 2007, au secrétaire général, à l’effet de soustraire de la juridiction du CIRDI les différends mettant en cause cet Etat et qui sont relatifs aux investissements dans les secteurs Gaziers et pétroliers38. Les négociateurs de la convention de Washington ont laissé la définition d’investissement à la seule appréciation des tribunaux arbitraux. Ceux-ci nous ont amenés à tenter un rapprochement entre la notion économique et la notion juridique de l’investissement. Les critères par lesquels l’existence d’un investissement suppose, selon l’affaire SILINI, (1) un apport, (2) à moyen ou à long terme, et (3) soumis aux aléas de sa gestion39 . Certaines différences subsistent entre la notion économique et la notion juridique de l’investissement. La définition économique composée de trois éléments ; l’apport, la durée et le contrôle, ce dernier élément ne figure pas dans les critères Salini.

En revanche, la définition juridique ajoute un nouvel élément, c’est le risque. Cette définition juridique se rapproche de celle que donnent les législations et réglementations internes du contrat de société mentionnée dans l’article 1832 du Code civil français.