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Les traités multilatéraux en matière d’investissements étrangers

§ 1 Les traités internationaux du droit des investissements

B. Les traités multilatéraux en matière d’investissements étrangers

Après la Seconde Guerre mondiale et le phénomène de décolonisation subséquent, l’élaboration de traités multilatéraux en matière de protection des investissements étrangers a été une préoccupation récurrente. Cependant, les premières tentatives d’adoption de projet de texte ont toutes échouées. D'après l'UNCTAD (CNUCED), 73 instruments internationaux à portée multilatérale avaient été conclus ou adoptés durant la période 1948-1996 : 30 d'entre

126 CARREAU (D.), Investissements, Revue Dalloz, février 2017.

eux n'avaient aucune portée juridique obligatoire, car prenant la forme de simples résolutions d'organisations intergouvernementales ou même d'organisations non gouvernementales, 5 n'avaient jamais reçu la sanction du droit positif.

Ainsi, dans le fil des accords du GATT, a été signé le 24 mars 1948 la Charte de La Havane qui prévoyait la création d'une Organisation internationale du commerce (OIC) totalement intégrée à l'ONU. L’article 12 relatif aux mouvements de capitaux donnait à l’État membre de l’OIC le droit : de prendre toutes mesures appropriées de sauvegarde nécessaires pour assurer que les investissements étrangers « ne serviront pas de base à une ingérence dans ses affaires intérieures ou sa politique nationale » ; de déterminer s'il « autorisera, à l'avenir, les investissements étrangers, et dans quelle mesure et à quelles conditions il les autorisera » ; de prescrire et d'appliquer « des conditions équitables en ce qui concerne la propriété des investissements existants et à venir ». Faute de ratification, la charte est abandonnée en 1950. De même, en 1992, le projet de code de conduite de l’ONU sur les firmes transnationales (FTN), élaboré en 1982 et qui visait à veiller à ce que « les FTN respectent les droits de la personne et les libertés fondamentales dans les pays où elles exercent leurs activités », a été abandonné, et la Commission des Nations unies sur les firmes transnationales (UNCTC), chargée d’agir dans ce sens, a disparu de l’organigramme des Nations unies, sous la pression des États-Unis. Cela a marqué la fin de l’ambition des Nations unies pour réglementer l’action des FTN127.

D’autres organisations ont également tenté d’orienter, sans succès, une partie de leurs travaux vers la protection des investissements. C’est ainsi qu’en 1967, un projet de traité multilatéral en matière de protection du droit de propriété des étrangers a été élaboré sous l’égide de l’OCDE128 sans, pour autant, avoir été adopté. Néanmoins, cette organisation a récidivé en 1995 en proposant à nouveau un projet de convention multilatérale souhaitant, cette fois-ci, établir un régime général de protection des investisseurs étrangers. Avec sa portée plus large, cet Accord mondial sur l’investissement (AMI) avait pour ambition de renforcer la protection des investisseurs en réglementant également la phase de préinvestissement au lieu de se limiter, comme la majorité des TBI, à la protection de l’investissement une fois celui-ci 127 MAUREL (C.), « Le rapprochement des Nations unies avec le secteur privé, une orientation dangereuse et antidémocratique », Regards sur l’Europe et le monde.

128 OCDE, Draft Convention on the Protection of Foreign Property, 1967.

acquis. C’est pourquoi, l'AMI introduit diverses obligations pour les gouvernements mais aucune pour les investisseurs afin procéder à une libéralisation accrue des échanges (interdiction des discriminations par la nationalité entre investisseurs) de telle sorte à favoriser le développement. Finalement, face aux nombreuses critiques des opposants, le projet a été abandonné en 1998 sous la pression des Etats du Sud mais aussidevant l'opposition française et la tiédeur des États-Unis.

En revanche, 38 instruments multilatéraux connaissaient la sanction du droit positif (dont 7 à portée universelle) et revêtaient la forme soit de traité ou convention internationale (ce qui est le cas le plus fréquent), soit d'actes unilatéraux obligatoires d'institutions intergouvernementales129. Ces instruments juridiques multilatéraux à vocation universelle constituent néanmoins un ensemble disparate. À ce titre et par ordre chronologique, il convient de citer la convention de Washington de 1965 portant création du CIRDI, celle de Séoul de 1985 portant création de l'AMGI, puis l'Accord sur l'OMC conclu à Marrakech en 1994 dans le cadre des négociations commerciales multilatérales dites du cycle de l'Uruguay (Uruguay Round), avec en particulier le GATS et les MIC. Toutes ces conventions ont en commun d'aborder les investissements internationaux d'une manière fragmentaire et non coordonnée130.

Signée à Washington le 18 mars 1965, la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d'autres États a institué une organisation internationale, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Aussi appelée Convention de Washington, celle-ci est entrée en vigueur le 14 octobre 1966, lorsque vingt Etats l’eurent ratifiée. Ce n’est qu’ultérieurement qu’elle fut ratifiée par la France (entrée en vigueur le 20 septembre 1967) et par le Qatar (entrée en vigueur le 20 janvier 2011). Elle compte aujourd'hui 162 pays signataires dont 153 pays contractants131. Comme son nom l'indique, son objet ne ressort pas de l'ordre normatif mais relève du seul contentieux. En effet, elle met en place un mécanisme spécial prenant la forme d'un centre chargé « d'offrir des moyens de conciliation et d'arbitrage » pour le règlement des différends entre Etats et investisseurs étrangers (art. 1er, al. 2). Cette convention présente un certain nombre de caractéristiques spécifiques :

129 V. pour un tableau récapitulatif d'ensemble et une analyse succincte, UNCTAD, World Investment Report 1996. 135 s. et p. 148 s.

130 CARREAU (D.), Investissements, Revue Dalloz, février 2017.

131 CIRDI, « Liste des Etats contractants et signataires de la convention au 11 janvier 2018 ».

• Elle constitue le premier et seul, traité international multilatéral de « couverture » (umbrella agreement) instituant un arbitrage international mixte entre personnes privées et États en matière d'investissements internationaux. Encore faut-il que les parties concernées consentent à cet ensemble de règles (art. 25). En outre, la compétence du CIRDI est exclusive de toute autre voie de recours (art. 26) dont il en résulte la renonciation de l'État national de l'investisseur à exercer sa protection diplomatique (art. 27) en vertu de la célèbre « clause Calvo » chère aux États latino- américains.

• Le tribunal arbitral ad hoc ainsi saisi applique les règles de droit choisies par les parties, ou à défaut, la loi de l'État contractant partie au différend « ainsi que les principes du droit international en la matière » (art. 42, al. 1er). Autrement dit, les règles du droit international des investissements ont une vocation naturelle à s’appliquer de sorte à garantir une protection certaine à la partie privée. De plus, le tribunal saisi ne pourra « refuser de juger sous prétexte du silence ou de l'obscurité du droit » (art. 42, al. 2).

• La sentence rendue est obligatoire pour les parties (art. 53, al. 1er) et constitue un titre exécutoire sur le territoire des parties contractantes (art. 54). En revanche, l’application in concreto d’une sentence CIRDI peut être paralysée au titre des règles internes gouvernant l'immunité d'exécution des États et de leurs émanations.

Ainsi, la « clause CIRDI » est devenue une pratique courante, tant dans les conventions bilatérales d'investissement que dans les contrats « transnationaux » (ou State contracts) passés entre États et investisseurs privés étrangers132. Cependant, plusieurs États latino- américains ont annoncé leur volonté de se retirer de la convention de Washington. De même, l'Australie devait faire savoir en 2011 qu'il n'entendait plus insérer de clauses « CIRDI » ou autres, faisant référence à l'arbitrage, dans les traités concernant les investissements qu'il viendrait à conclure dans l'avenir133.

132 V. Contrats d'État.

133 V. sur ce mouvement de défiance, World Investment Report 2012. 86 s., qui devait encore accentuer ses critiques dans son rapport de 2013, p. 110-117, et proposer des pistes de réformes du mécanisme de règlement des différends World Investment Report, 2015, p. 147-155.

Par ailleurs, la Convention de Séoul du 11 octobre 1985, a créé l'Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI), une institution spécialisée du groupe de la Banque mondiale qui soutient les flux d'investissements vers les pays en développement en assurant la couverture des risques politiques, les plus redoutés par les investisseurs étrangers. 181 pays sont membres de l’AMGI dont la France et le Qatar134. Cependant, l’impact de l'AMGI est limité en raison, notamment, du double emploi des mécanismes de garantie ainsi institués avec ceux mis en œuvre par les pays exportateurs de capitaux. En outre, cette approche de garantie des investissements sous forme d'une police d'assurance internationale n’est plus en adéquation avec les enjeux actuels.

Le cycle d'Uruguay, plus connu sous le terme d'Uruguay Round, est le dernier et le plus important des cycles de négociations internationales ayant eu lieu dans le cadre de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (AGETAC), entre 1986 et 1994. Le cycle d'Uruguay a abouti aux accords de Marrakech (avril 1994), et a finalement donné naissance à l'Organisation mondiale du commerce (1995). Dans le fil de ces accords, un accord spécifique « sur les Mesures concernant les investissements et liées au commerce » (MIC) figure au sein de l'annexe I-A « Accords multilatéraux sur le commerce des marchandises ». Limité au commerce de marchandises, l’accord MIC tend, d’une part à promouvoir le standard du traitement national en cherchant à « éliminer les différences de traitement entre les produits importés et les produits locaux, et d’autre part, à imposer aux Etats l’obligation d’éliminer les mesures quantitatives. Toutefois, l’investissement n’y est appréhendé qu’à la condition que la mesure incriminée entre dans le champ d’application des accords du GATT ; elle doit donc nécessairement avoir un effet sur la libéralisation des échanges commerciaux, ce qui restreint en pratique de manière importante la portée de l’Accord MIC135.

De même, est conclu le nouvel Accord général sur le commerce des services (AGCS ou GATS, selon ses initiales anglaises, pour General Agreement on Trade and Services) en matière d’investissements internationaux.Il s'agit d'un accord multilatéral de libéralisation des échanges de services, qui vise à apporter une utilisation plus efficace des moyens de production en favorisant l'avantage comparatif des pays concernés. Autrement dit, le GATS repose sur une libération concomitante des services et de leur support financier - qu'il s'agisse 134 https://www.miga.org/who-we-are/member-countries/

135 AUDIT (M.), BOLLE (S.) et CALLE (P.), Droit du commerce international et des investissements étrangers, 2016 LGDJ, p.244-245.

d'un simple mouvement de capital ou d'un investissement étranger (V., en général, art. XI). Aussi, les États doivent faire figurer les restrictions affectant les « investissements étrangers » quant au montant de leur participation au capital d'entreprises locales de fourniture de services (art. XVI. 2 f). Ainsi, en matière de services et par le biais de leurs « modes de fourniture », le GATS appréhende l'essentiel des investissements internationaux qui peuvent être réalisés136. 128 Etats sont signataires, dont la France et le Qatar137. Toutefois, contrairement au CIRDI, l’investisseur étranger ne bénéficie pas d'un accès direct à un mécanisme autonome de règlement des différends.

En dehors de ces textes portant régimes généraux des investissements étrangers, et constitutifs en définitive d'un droit commun en la matière, de nombreux États ont institué à partir de la décennie 1970 des régimes d'exception applicables à certains secteurs de l'économie nationale jugés particulièrement importants pour le développement du pays concerné.