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2 Les règles sectorielles du droit international des investissements

Il s'agit ici d'identifier un cadre juridique particulier pour les secteurs pourvoyant les ressources les plus importantes pour l'économie nationale. C'est ainsi que dans de nombreux systèmes juridiques nationaux, le Code des investissements cohabite avec un Code minier, un Code pétrolier ou encore un Code des hydrocarbures.

Selon un auteur : « Le droit international de l’investissement n’est donc, au fond, que l’application à un secteur particulier de mécanismes juridiques internationaux développés de très longue date »138. D’ailleurs, en cas d’imprécision du droit national, les opérateurs seront conduits à continuer de rechercher dans les réglementations sectorielles des éléments de définition qui pourraient être transposés s’agissant des investissements étrangers. Par exemple, s’agissant du secteur de l’énergie, sont concernées les activités qui conditionnent « l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique »139.

136 CARREAU (D.), Investissements, Revue Dalloz, février 2017. 137 WTO

138 NANTEUIL (A. de), Droit international de l’investissement, 2017 LGDJ, 2ème éd., p. 11. 139 C. mon. Fin., article. R. 153-2, 12°, a

A ce titre, le droit européen ne réserve pas de traitement particulier aux IDE dans la mesure où il assure un marché unique fondé sur quatre libertés à savoir la liberté de circulation des marchandises et des personnes, la libre prestation des services et la liberté d'établissement et des mouvements de capitaux. En revanche, un instrument juridique multilatéral à caractère régional doit être singularisé à titre emblématique : la nouvelle Charte de l'énergie de 1994. Par ailleurs, les personnes privées, en particulier les investisseurs, peuvent jouer un rôle clé dans certains secteurs, notamment en s’engageant dans la finance climatique de manière responsable.

A. Charte de l'énergie

La Charte de l’énergie traite d'une manière partielle, mais originale, des investissements dans un secteur particulier certes, mais d'importance économique considérable : l'énergie. Il s'agit là d'un instrument international multilatéral unique en son genre. Le traité sur la Charte de l’énergie ainsi qu’un protocole sur l’efficacité énergétique et les aspects environnementaux connexes ont été adoptés à Lisbonne le 17 décembre 1994, reprenant les objectifs définis par la déclaration politique de la Charte européenne de l’énergie signée à La Haye le 17 décembre 1991140. En effet, l'UE ne peut atteindre seule l'objectif d'une énergie sûre, compétitive et durable. D’où la nécessité d’impliquer et coopérer avec les pays développés et les pays en développement, les consommateurs et les producteurs d'énergie, ainsi que les pays de transit. Dans un souci d'efficacité et de cohérence, il est alors essentiel que les États membres et l'UE s'expriment d'une seule voix sur les questions énergétiques internationales. C’est pourquoi, l’amendement des dispositions commerciales du traité sur la Charte de l’énergie a également été approuvé par la Communauté européenne141. De plus, entré en vigueur le 16 avril 1998, le présent traité a été ratifié par 51 pays provenant principalement du continent européen et d’Asie centrale dont la Russie, qui ne l'a toujours pas ratifié et qui fit même savoir en 2009 qu'elle n'entendait pas y procéder, mettant fin ainsi à son « application provisoire » dans les termes prévus à l'article 45. Le texte ne limite toutefois pas son champ d’application territoriale aux seuls Etats européens ou d’Asie centrale. La France l’a ratifié en 1999 tandis que le Qatar n’y figure que parmi les « observateurs invités ».

140 Energy Charter Treaty : an East-West Gateway for Investment and Trade, Th. WALDE (ed.), Kluwer Law International, 1996.

141 Déc. n° 2001/595/CE, 13 juillet 2001, JOCE du 2 aout 2001.

Les dispositions de la Charte en matière d'investissement international empruntent à la fois aux règles dégagées par le réseau conventionnel bilatéral et à celles, plus nouvelles, que l'on rencontre dans l'ALÉNA et l'OMC et qui lient en partie investissement et commerce en même temps qu'elles contiennent des innovations propres142.

Sont empruntées aux traités bilatéraux la définition large des investissements qui les assimile en réalité aux biens des étrangers, ainsi que celle des investisseurs qui retient le critère du contrôle pour les personnes morales, les clauses du traitement juste et équitable, et de la plus constante protection et sécurité, de la non-discrimination, du traitement minimal imposé par le droit international, du traitement national et de la clause de la nation la plus favorisée, du moins pour la phase post-investissement, et en général tout ce qui concerne les indemnisations en cas d'expropriation, les transferts monétaires, et le règlement des différends. D’ailleurs, plusieurs tribunaux arbitraux ont été saisis sur le fondement de ce traité multilatéral particulier et ont déjà rendu leur décision143. La Charte est devenue une source majeure des affaires dont des tribunaux arbitraux ont eu à connaître144, toutefois amoindrie par la décision de la Russie, rappelée précédemment, de mettre fin à son application provisoire et de ne pas la ratifier, de même que celle de l'Italie de s'en retirer à compter du 1er janvier 2016.

Sont empruntées directement à l'OMC, et y font expressément référence, les dispositions (art. 5) ayant trait aux MIC. Les États parties au traité devront à la fois notifier et éliminer à terme les mesures incompatibles avec les dispositions posées à l'article 5 de la Charte qui se révèlent identiques à celles correspondantes de l'OMC (ou GATT 1994).

Par ailleurs, la Charte de l’énergie met en valeur les liens existant entre l'opération d'investissement et la libre circulation des personnes à travers des dispositions novatrices ayant trait au libre recours, par l'investisseur, à du personnel de haut niveau (key personnel) sans égard pour la nationalité des personnes concernées. De même, des dispositions assimilent à une violation, par un État, de ses obligations au titre de la Charte de l'énergie le non-respect de ses engagements contractuels à l'égard d'un investisseur étranger (art. 10, al. 1er in fine). Cependant, certains pays comme l’Australie, le Canada, la Hongrie et la Norvège ont pu opter

142 CARREAU (D.), Investissements, Revue Dalloz, février 2017.

143 (V., par exemple, WALDE et HOBER, The First Energy Charter Treaty Arbitral Award, JIA 2005. 83. - GAILLARD, Chroniques régulières sur l'activité du CIRDI, JDI 2006 et 2007, spéc. JDI 2007. 256.

144 V. UNCTAD/CNUCED, World Investment Report, 2016 p. 105.

de sorte à exclure ce type de conflits juridiques de la procédure de règlement des différends145.

B. Les mesures d’encouragement à l’engagement du secteur privé dans la

finance durable

Les investisseurs privés constituent les premiers vecteurs du financement durable. C’est pourquoi, les instances d’application des accords environnementaux tendent à la responsabilisation des investisseurs étrangers. Cependant, face aux insuffisances des mécanismes destinés aux seuls Etats pour répondre aux objectifs du développement durable, la pratique internationale a progressivement porté son attention sur le développement de mécanismes de sécurisation au profit du secteur privé afin d’engager ce dernier dans la voie de l’investissement vert. En effet, les règlementations environnementales sont souvent envisagées comme un risque pour les investisseurs privés. Il existe deux types d’instrument de sécurisation des investissements.

Le premier consiste à sécuriser les investissements par le biais d’organismes d’assurance, tels que l’Agence multilatérale de garantie des investissements, capables de mettre en œuvre des instruments réduisant la prise de risque des investisseurs privés146 (V.Les traités multilatéraux en matière d’investissements étrangers).

Le second est un nouvel outil de financement développé depuis quelques années grâce aux instances d’application des accords environnementaux : les obligations vertes, parfois appelées obligations environnementales (green bonds). Il s'agit d'un emprunt obligataire (non bancaire) émis sur les marchés financiers, par une entreprise, une collectivité locale ou une organisation internationale pour financer des projets ou activités contribuant à la transition écologique. La différence par rapport aux obligations classiques tient dans les engagements pris par l'émetteur d'une part, sur l'usage précis des fonds récoltés qui doit porter sur des projets ayant un impact favorable sur l'environnement, et, d'autre part, sur la publication, chaque année, d'un rapport rendant compte aux investisseurs de la vie de ces projets. Ainsi, les obligations vertes attirent plus particulièrement les investisseurs responsables qui recherchent un double bénéfice financier et environnemental.

145 Art. 26, c-3, 27-2 et annexe 7-I-A.

146 PNUE-Initiative financière, note 123, Table 2, p.20.

Il n'existe pas de définition réglementaire ni de standards précis, mais de grands principes volontaires, les « Green Bond Principles », rédigés en 2013 par quatre grandes banques internationales, Bank of America Merrill Lynch, Citigroup, JP Morgan Chase et le français Crédit Agricole CIB. Ils recommandent notamment des avis d'experts extérieurs, tels qu'une attestation de seconde opinion (par des agences spécialisées comme Vigeo Eiris et oekom research) et une certification147.

Le tout premier « green bond » a été émis par la Banque européenne d'investissement (BEI) en juillet 2007 sous le nom de « Climate Awareness Bond ». D'autres agences de développement ont suivi (Banque mondiale, etc.), suivies de collectivités territoriales, puis de grandes entreprises, en particulier du secteur de l'énergie, et récemment des États (Pologne, France, Fidji).

Selon le classement 2017 réalisé par la Climate Bonds Initiative, la France est le deuxième émetteur de "green bonds", derrière la Chine mais devant les Etats-Unis. L'Etat français a émis un "green bond" souverain de 7 milliards d'euros en janvier 2017, le plus grand jamais réalisé à ce jour. Aussi la Ville de Paris a émis pour 320 millions d'euros d'obligations vertes en 2017, soit son deuxième green bond depuis 2015. Du coté des entreprises, Engie, Edf, Icade ou encore Sncf Réseau font partie des émetteurs importants. Le Qatar ne fait toutefois pas partie du top 10 dudit classement.

147 Cuny (D.), « Qu’est-ce qu’un green bond ? », La Tribune, déc. 2017.