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1.4 
 Événements médiatiques qui accentuent la controverse 42

1.4.3 
 La saga Myriad 49

Bien qu’elle ne concerne pas les brevets pharmaceutiques, l’affaire Myriad, survenue en 1999, est intéressante puisqu’elle a fortement alimenté la controverse relative aux brevets pharmaceutiques121. Cette affaire illustre aussi parfaitement l’ampleur des coûts sociaux que peuvent générer les brevets conférés dans le secteur de la santé, et ce, particulièrement pour les pays munis de systèmes de santé publics. Voici les faits :

120 Ibid.

121 Nous soulignons que cette affaire est certainement la plus médiatisée dans le domaine des brevets liés

aux tests diagnostiques et à l’ADN. Bien que cette thèse soit circonscrite aux médicaments, nous jugeons néanmoins pertinent d’étudier cette affaire considérant le fait que le développement de médicaments s’annonce, dans un futur rapproché, intrinsèquement lié à l’utilisation de l’ADN comme outil de recherche et à la production de tests diagnostiques en raison de l’émergence de la pharmacogénomique. La pharmacogénomique préconise la prescription d’un médicament en fonction du génotype de chaque individu. La détermination de ce génotype se fait par l’usage de tests diagnostiques. Les termes « pharmacogénomique » et « pharmacogénétique », bien que différents, sont néanmoins souvent confondus et désignent la recherche qui vise à comprendre les liens entre les médicaments et les gènes. Notamment, pour un lien entre la pharmacogénétique et les médicaments, voir Arline Kaplan, « Advances in Pharmacogenomics Reduce Side Effects and Save Lives » (2005) 22:7 Psychiatric Times, en ligne : Psychiatric Times http://www.psychiatrictimes.com/display/article/10168/52366.

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Myriad Genetics Inc. (« Myriad »), une compagnie biopharmaceutique américaine, détenait des brevets pour les gènes BRCA1 et BRCA2, des gènes associés au cancer du sein et des ovaires122. Cette compagnie a obtenu ses brevets aux États-Unis puis, en Europe, au Canada, au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande123. Une fois ses brevets conférés, Myriad a mis en branle une série de mesures agressives visant la protection de ses droits de propriété. Au Canada, des lettres ont alors été envoyées à tous les établissements publics de santé qui utilisaient des méthodes diagnostiques nécessitant l’utilisation des gènes BRCA1 et BRCA2. Les lettres les enjoignaient de cesser leurs pratiques et exigeaient qu’ils envoient leurs demandes de tests à MDS, le laboratoire représentant de Myriad au Canada124. Le défaut de procéder de la sorte les exposait au

dépôt de procédures judiciaires125.

Cette exigence a eu pour effet, dans certains cas, de tripler le coût des demandes de tests diagnostiques pour l’identification de ces gènes126. En réponse, des pays ont adopté

122 Bryn Williams-Jones, « History of a Gene Patent: Tracing the Development and Application of

Commercial BRCA Testing » (2002) 10 Health L.J. 23 [William-Jones, « History »].

123 Ibid. à la p. 24. Nous soulignons que la District Court de New York, aux États-Unis, a cependant, dans

son jugement du 29 mars 2010, invalidé les brevets de Myriad portant sur les gènes BRCA1 et BRCA2. Voir Association for Molecular Pathology et al. v. United States Patent and Trademark Office et al., U.S. Dist. Ct., Southern District of New-York, Case 1:09-cv-04515-RWS, Document 255, filed 03/29/2010 [Association for Molecular Pathology].

124 À l’époque, MDS n’avait toutefois pas l’expertise pour procéder à ces tests au Canada. Il fut donc

convenu de les envoyer à Myriad en attendant que MDS développe cette expertise. Voir E. Richard Gold et Julia Carbone, Myriad Genetics: In the Eye of the Policy Storm, International Expert Group on Biotechnology, Innovation and Intellectual Property, Septembre 2008 aux pp. 3-24, en ligne : http://ssrn.com/abstract=1260098.

125 Ibid. à la p. 24.

126 Louise Bernier, Karen Durell et E. Richard Gold, WHO Literature Review on: The Impact of Gene Patents on Access to Genetic, Technologies and Services – The View from Developing Countries, (15 janvier 2004), en ligne : Centre for Intellectual Property Policy, www.cipp.mcgill.ca/ data/publications/00000013.pdf; Gold, « Theory », supra note 2.

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différentes stratégies pour limiter l’impact du monopole de Myriad et pour ainsi assurer un accès à ces tests diagnostiques127. Par le biais d’une procédure en opposition, les pays européens ont contesté la validité du brevet BRCA1 de Myriad128.

De son côté, le gouvernement du Royaume-Uni a entrepris des négociations étroites avec Myriad afin que ses établissements publics offrent les tests à un prix raisonnable129.

Au Canada, au moment où Myriad s’est vu conférer ses brevets, soit au début des années 2000, la plupart des provinces canadiennes offraient gratuitement des tests diagnostiques pour le dépistage des gènes BRCA1 et BRCA2130. La campagne de dissuasion de Myriad auprès des établissements publics de santé et des laboratoires canadiens a eu un impact négatif palpable sur les budgets provinciaux. Le coût de ces tests, lorsque effectués dans un établissement public de santé ou dans un laboratoire, était alors de mille deux cents dollars. Le coût des tests effectués par Myriad s’élevait, quant à lui, à près de trois mille huit cent cinquante dollars131. En conséquence, à partir de ce moment, plusieurs provinces limitèrent considérablement l’accès de leur population à ces tests132. En Colombie-Britannique, le gouvernement a cessé d’offrir un suivi aux membres de la famille des patients dont les tests avaient révélé des mutations et aux patients dont du

127 Pour une revue, voir Gold et Carbone, supra note 124.

128 Ibid. aux pp. 14-15; voir aussi Gert Matthijs, « The European Opposition Against the BRCA Gene

Patents » (2006) 5 Familial Cancer 95.

129 Gold, « Theory », supra note 2. 130 Gold et Carbone, supra note 124.

131 Bryn Williams-Jones, Genetic testing for Sale: Implications of Commercial BRCA Testing in Canada,

thèse de doctorat en philosophie, Faculty of Graduate Studies, University of British-Columbia, 2002, en ligne : https://circle.ubc.ca/bitstream/handle/2429/13580/ubc_2002-751074.pdf [Williams-Jones, Genetic testing].

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sang avait été prélevé mais non testé133. En raison de l’impact négatif de sa politique sur sa population, la province a décidé, en 2003, d’ignorer les droits de Myriad et reprit son offre de tests diagnostiques. L’Ontario a pris une décision similaire à celle de la Colombie-Britannique. Bien que la province de Québec se soit pliée à la demande de Myriad pendant plusieurs années, elle semble finalement avoir emboîté le pas à l’Ontario et à la Colombie-Britannique. En effet, après certaines vérifications auprès de membres d’établissements publics de santé, il appert que la politique maintenant transmise par le Québec à ces derniers soit d’ignorer les brevets de Myriad134.

En conclusion, les événements médiatiques importants que nous avons brièvement survolés dans cette section laissent planer un doute important quant à l’efficacité des systèmes de brevets pharmaceutiques actuels à atteindre l’objectif utilitaire et normatif qui les justifie. Bien qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’études concluantes sur les bénéfices ou les coûts sociétaux que génèrent ces brevets, nous ne pouvons nier que ces événements médiatiques soulèvent de sérieuses préoccupations quant au caractère optimal, d’un point de vue utilitaire et normatif, des systèmes de brevets liés aux médicaments. Considérant les probabilités que les brevets pharmaceutiques engendrent un déséquilibre normatif (plus de coûts que de bénéfices, dans une perspective sociétale), plusieurs ont donc avancé des propositions destinées à assurer l’équilibre normalement recherché par ces derniers.

133 Gold et Carbone, supra note 124 aux pp. 26 et s.

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