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1.4 
 Événements médiatiques qui accentuent la controverse 42

1.4.2 
 L’affaire du Cipro 46

La controverse relative au Cipro est survenue dans la foulée des attentats terroristes survenus aux États-Unis le 11 septembre 2001. À la suite de ces attentats terroristes, certains envois postaux causant l’anthrax, une maladie hautement transmissible, avaient poussé les gouvernements américain et canadien à discuter afin d’augmenter rapidement la quantité de ciprofloxatin offerte sur le marché puisqu’il s’agissait du seul médicament efficace pour traiter l’anthrax110. Ce médicament, détenu et commercialisé sous le nom de Cipro par la compagnie Bayer Inc. (ci-après désignée « Bayer »), faisait l’objet d’un brevet qui ne devait expirer qu’en 2004. Or, en raison du refus de Bayer de réduire le prix

108 Ibid. Le 6 décembre 2005, les pays membres ont aussi approuvé un amendement à l’ADPIC permettant

que l’art. 6 de la Déclaration de Doha soit incorporé à l’art. 31 de l’ADPIC. Voir OMC, Communiqué 426, « Approbation de l’amendement rendant permanente la flexibilité dans le domaine de la santé » (6 décembre 2005), en ligne : OMC <http://www.wto.org/french/news_f/pres05_f/pr426_f.htm. Cependant, notons qu’en raison des difficultés de réalisation de cet article, des pays ont demandé sa révision avant qu’il ne soit incorporé dans l’ADPIC.

109 Ibid., art. 6.

110 K. Sykes, « Patent and the Public Interest: The Cipro Controversy » (2002) 60:1 U.T. Fac. L. Rev. 115;

David Spurgeon, « Canada forced to honour Bayer’s patent on ciprofloxacin » (2001) 323 BMJ 956, en ligne : www.bmj.com/cgi/content/extract/323/7319/956/b. Pour la position américaine, voir Kirby W. Lee, « Permitted Use of Patented Inventions in the United States: Why Prescription Drugs do not Merit Compulsory Licensing » (2003) 36 Ind. L. Rev. 175.

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de son produit, alors vendu à 2,50 $ le comprimé, le gouvernement canadien commanda, le 22 octobre 2001, 1 million de comprimés auprès de la compagnie de médicaments génériques Apotex. Le prix de chaque comprimé était alors fixé à 1,50 $111.

Cette décision du gouvernement canadien contrevenait nécessairement au droit exclusif d’exploitation découlant d’un brevet et ne résultait d’aucune demande faite au sens des articles 19 et 19.1 de la LB qui autorisent un gouvernement fédéral ou provincial à utiliser une invention brevetée pour des raisons d’intérêt public ou d’extrême urgence, dans la mesure où il en fait la demande112.

Le ministre de l’Industrie de l’époque, l’Honorable Allan Rock, justifia toutefois sa décision par le fait que le médicament n’était pas vendu en quantité suffisante au Canada, ce qui allait à l’encontre de l’intérêt public113. Le bien-fondé de cette décision souleva un débat politique et médiatique important. Le débat fut particulièrement animé au Parlement alors que les partis de l’opposition accusèrent le gouvernement d’envoyer aux fabricants de médicaments génériques le message qu’il était légal de fabriquer et d’emmagasiner des médicaments génériques alors que des brevets étaient toujours en vigueur114. Des

représentants du parti de l’Action Démocratique ont aussi profité de l’occasion pour

111 Spurgeon, ibid.

112 Pour un examen de ces art., voir Richard F.D. Corley, Navin Joneja et Prakash Narayanan, Les relations entre le droit de la concurrence et le droit de la propriété intellectuelle : Préoccupations actuelles et défis à venir pour Industrie Canada, étude produite pour le Bureau de la concurrence, Toronto, Blake Cassels & Graydon s.r.l., 2006; voir aussi Abraham Hollander, « Compulsory Licensing » dans David Vaver, Marcel Boyer et Michael Trebilcock, Competition Policy and Intellectual Property, Toronto, Irwin Law, 2009, c. 4.

113 Sykes, supra note 110 à la p. 115. 114 Ibid.

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remettre en question la moralité du système des brevets lorsque appliqué aux médicaments115.

Dans les médias, l’attention s’est particulièrement portée sur la manière cavalière avec laquelle le ministre Allan Rock s’était approvisionné de médicaments génériques :

Media commentary demonstrated a comparable sense of urgency and weight of the issue, and was sometimes just as inflammatory in tone. Globe and Mail columnist Eric Reguly accused the government of using the crisis as an excuse to “make a lunge for more power” at the expense of individual rights. Lysiane Gagnon analogized the proposed deal with Apotex to photocopying and selling cheap versions of a best-selling novel; she mused that Mr. Rock “would probably be horrified by such an infringement on an author’s copyright116.

À l’inverse, dans le milieu académique, le professeur E. Richard Gold, de l’Université McGill, a plutôt interprété ce conflit comme un exemple réel de tensions entre la protection des intérêts privés de l’industrie novatrice et l’intérêt public et a insisté sur les problèmes d’accessibilité liés aux brevets pharmaceutiques : « Access and choice are key concepts in health promotion and treatment » 117. Ce dernier a aussi précisé que les brevets « […] are designed to block access and to limit choice »118.

De son côté, Bayer a entrepris des procédures judiciaires pour que la décision du gouvernement soit déclarée illégale119. Une entente est finalement intervenue afin que le

115 Ibid. aux pp. 115-116. 116 Ibid. à la p. 116.

117 E.R. Gold, « My Body, Your Patent » The Globe and Mail (29 octobre 2001) A13`[Gold, « My body »]. 118 Ibid.

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Cipro soit commercialisé à moindre coût par Bayer. Aucune décision judiciaire n’a donc été rendue relativement au bien-fondé de la décision canadienne120.

L’affaire du Cipro a nécessairement contribué à alimenter la controverse relative aux brevets pharmaceutiques et à faire ressortir la mince ligne existant entre la promotion des intérêts de l’industrie novatrice, pour favoriser l’innovation, et l’intérêt du public à accéder à des médicaments à prix raisonnables. L’affaire Myriad, quasi concomitante à cette affaire, allait confirmer, dans les pays industrialisés, la légitimité de cette controverse.