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1.4 
 Événements médiatiques qui accentuent la controverse 42

1.4.1 
 Le procès de Pretoria 42

À la fin des années 1990, est survenu un litige fortement médiatisé relatif à la vente de médicaments génériques traitant le sida en Afrique du Sud96. Dans cette affaire, un procès Pharmaceutical Industry, Dissertation submitted to the Faculty of Graduate Studies in partial fulfilment of the requirements for the degree of doctor of philosophy graduate program in political science, Toronto (Ont.), York University, 2009.

95 Dans son rapport annuel publié en 2009, le CEPMB rapportait que les dépenses en R&D effectuées par

les propriétaires de brevets pharmaceutiques représentent 8,1 % de leurs ventes canadiennes. Aussi, les fabricants de médicaments brevetés ont déclaré des dépenses de 200 millions de dollars en recherche fondamentale en 2008, soit 1,2 % de leurs ventes au Canada, ce qui représente une diminution de 22,7 % par rapport à l’année précédente. Voir CEPMB, Rapport annuel 2008, ibid. Pour des commentaires sur les profits excessifs, voir Jean-Claude St-Onge, L’envers de la pilule, mythes et réalités, Montréal, Écosociété, 2004 aux pp. 27-30; Goudreau, supra note 84; Svatos, supra note 2; Gagnon, ibid.

96 Susan K. Sell, Private Power, Public Law: The Globalization of Intellectual Property Rights, Cambridge,

Cambridge University Press, 2003. De façon plus générale, voir « Procès de Pretoria: enjeux et espoirs pour l’Afrique du Médicament », en ligne : http://www.essentialdrugs.org/emed/archive/200105/msg00017.php.

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avait été entrepris devant la Haute Cour de justice de Pretoria par des compagnies pharmaceutiques novatrices américaines à la suite de l’adoption, en 1997, par le gouvernement de l’Afrique du Sud, d’un amendement apporté au Medecines and Related

Substances Control Act97. Cet amendement permettait l’importation et la délivrance de licences obligatoires pour l’utilisation de médicaments génériques98 et était justifié par

l’intérêt public puisque le sida avait alors atteint des proportions épidémiques dans ce pays99.

L’adoption de cet amendement eut tôt fait de provoquer d’importantes réactions de la part de l’industrie novatrice. En avril 1998, plus d’une trentaine de compagnies novatrices initièrent une poursuite judiciaire afin de faire déclarer ces amendements contraires aux conditions d’octroi de licences obligatoires prévues à l’article 31 de l’ADPIC qui limitent l’octroi de telles licences, principalement, à la fabrication locale. Particulièrement, les compagnies novatrices alléguaient, non sans raison, que l’amendement apporté à la loi sud-africaine conférait un pouvoir vague et hautement discrétionnaire au ministre de la Santé de ce pays quant à sa décision de recourir à l’octroi de licences obligatoires100. Le

97 No. 90 (1993). Voir Robert C. Bird, « Can Compulsory Licensing Improve Access to Essential

Medicines? », Conference on Trends in Global Business, 11 mars 2008, New Haven (Conn.), University of Connecticut, 2008, en ligne : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1124035.

98 Ibid.

99 Ibid. Sur trente-neuf millions de Sud-Africains, il était alors estimé que neuf millions étaient atteints du

virus du VIH. Le coût du traitement de cette maladie variait alors entre 160 M $ US et 1 740 M $ US par mois.

100 Experts en biotechnologie, supra note 2 aux pp. 19-20 :

Bien qu’allant au-delà de ce que l’ADPIC énonçait, ces entreprises pharmaceutiques et leurs partisans, incluant le gouvernement américain, se fondèrent sur le rôle croissant de la PI pour alléguer que l’Afrique du Sud devait cesser ces pratiques. Ils soutenaient que l’on devait permettre à la PI de jouer son rôle pour stimuler la création de nouveaux médicaments requis pour combattre le sida et d’autres maux.

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recours intenté par ces compagnies fut aussi appuyé par le gouvernement américain qui menaça alors l’Afrique du Sud de sanctions commerciales si elle faisait défaut de se conformer aux conditions de cet accord101.

Malgré l’apparence du bien-fondé du recours des compagnies pharmaceutiques novatrices, ces dernières abandonnèrent leurs procédures judiciaires en 2001 en raison du tollé qu’elles avaient soulevé au sein du public en général. Ce litige n’a donc fait l’objet d’aucune décision et les compagnies impliquées ont, non seulement accepté la mise en application de la nouvelle loi sud-africaine, mais ont aussi accepté de vendre leurs médicaments à prix fortement réduit au gouvernement sud-africain. Ce litige, ainsi qu’un conflit similaire survenu au Brésil102, a soulevé des inquiétudes quant à l’impact négatif

de l’ADPIC sur la capacité de plusieurs pays en voie de développement de rendre accessibles des médicaments essentiels à leur population103.

En effet, le procès de Pretoria est, entre autres, à l’origine de l’adoption la Déclaration

sur l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce et la santé publique (Déclaration de Doha)104. Cette déclaration était en fait le

101 Ibid.

102 En 2007, ce pays ainsi que la Thaïlande décidaient néanmoins de conférer des licences obligatoires pour

la production de génériques destinés au traitement du sida. À ce sujet, voir Jon Cohen, « Aids Drugs: Brazil, Thailand Override Big Pharma Patents » (2007) 316:5628 Science Magazine 816. Au Brésil, voir particulièrement : Brazil Law n°9279, Diario Oficial, 15 mai 1996, art. 68; Brazil - Measures Affecting Patent Protection - Request for the Establishment of a Panel by the United States; United States - US Patents Code - Request for Consultations by Brazil; Brazil - Measures Affecting Patent Protection - Notification of Mutually Agreed Solution, OMC Doc. WT/DS199/4, 19 juillet 2001.

103 Borrell, supra note 75.

104 Organisation Mondiale du Commerce (« OMC »), Conseil Général, Décision du Conseil général de l’OMC sur la mise en œuvre du paragraphe 6 de la Déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique, 30 août 2003, OMC Doc. WT/GC/M/82, en ligne : http://www.wto.org/french/

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résultat de la quatrième conférence ministérielle, tenue en 2001, entre les pays membres de l’OMC. Lors de cette réunion, il fut convenu que l’ADPIC devait être interprété de façon à ne pas limiter la latitude des pays à adopter des mesures qui leur permettent de promouvoir la santé publique105 et, particulièrement, qui favorisent l’accessibilité aux médicaments :

We agree that the TRIPS Agreement does not and should not prevent Members from taking measures to protect public health. Accordingly, while reiterating our commitment to the TRIPS Agreement, we affirm that the Agreement can and should be interpreted and implemented in a manner supportive of WTO Members' right to protect public health and, in particular, to promote access to medicines for all. In this connection, we reaffirm the right of WTO Members to use, to the full, the provisions in the TRIPS Agreement, which provide flexibility for this purpose106.

Dans le cadre de cette réunion, il fut ainsi déterminé que l’alinéa (f) de l’article 31 de l’ADPIC (qui permet l’octroi de licences obligatoires pour la fabrication « locale » de médicaments) représentait une barrière majeure à l’atteinte de cet objectif pour les pays qui ne possédaient pas les capacités manufacturières de procéder localement à la fabrication de médicaments génériques107. L’article 6 de la Déclaration de Doha,

tratop_f/trips_f/implem_para6_f.htm. Cette déclaration est une partie distincte de la Déclaration ministérielle de Doha (OMC, Déclaration ministérielle, 14 novembre 2001, en ligne : http://www.wto.org/French/thewto_f/minist_f/min01_f/ mindecl_f.pdf).

105 Joly et Schorno, supra note 75 à la note 16 : « La santé publique peut être définie comme l’étude des

déterminants physiques, psychosociaux et socioculturels de la santé de la population, d’une part, et les actions entreprises en vue d’améliorer la santé de la population, d’autre part. »; voir aussi Réal Lacombe et Hélène Valentini, Des priorités nationales de santé publique 1997-2002, Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, 1997.

106 World Trade Organization (« WTO »), Ministerial Declaration on the TRIPS Agreement and Public Health, WT/MIN(01) 2 décembre 2001.

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entérinée en 2003, remédie donc au problème108. Cet article donne aux pays signataires de l’ADPIC le pouvoir d’incorporer dans leur législation locale des dispositions permettant que des licences obligatoires soient exportées dans les pays membres de l’OMC ne disposant pas de capacités manufacturières pour approvisionner leur marché local109. Nous verrons plus loin que le Canada a été le premier pays à incorporer dans sa LB un tel mécanisme.