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Réalisation de l’utililité de chaque collectivité : opération d’un transfert

La stratégie qu’implique la gestion des externalités (ou d’OGS externes), pour que la production d’un OGS soit positive (et donc, qu’elle corresponde à son intérêt), se reflète particulièrement dans les théories organisationnelles et de réseautage, branches de la théorie du choix rationnel. Ces théories expliquent essentiellement le processus d’élaboration de politiques publiques par l’organisation stratégique de collectivités (incluant les organisations bureaucratiques) dont l’objectif est de voir à l’adoption de politiques qui sont favorables à leur utilité respective.

Un des moyens pour arriver à cette fin réside dans la transmission de l’idéologie d’une collectivité à d’autres collectivités, incluant aux membres de la collectivité en général (que nous associons à la population)351. Cette stratégie s’explique par le fait qu’un

350 Pierre Bourdieu et Loïc J.D. Wacquant, An Invitation to Reflexive Sociology, Chicago, University of

Chicago Press, 1992; Burris et al., ibid. Aussi, il est intéressant de souligner ici que même Lon. L. Fuller et Hayek, qui rejettent toute théorie positive du droit, reconnaissent néanmoins que chaque collectivité tente de maximiser son propre intérêt. Leur théorie, tout comme la théorie du choix rationnel, explique qu’une collectivité milite en faveur de l’adoption de politiques qui lui sont favorables et tente aussi de transformer le produit d’autres collectivités afin que ces dernières produisent des externalités qui ont un impact positif sur son propre produit.

351 Pour un exemple de transfert d’idéologie, voir Dickson, supra note 38; sur la façon dont une idéologie

peut être transmise et inconsciemment intégrée, voir Bourdieu, ibid. et Desmond Manderson et Sarah Turner, « Coffee House: Habitus and Performance Among Law Students » (2006) 31 Law & Social Inquiry 649.

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gouvernement rationnel sera réceptif à des propositions de politiques dans la mesure où elles lui permettent de satisfaire son intérêt. Nous l’avons mentionné, la perception du public à son égard sera donc particulièrement considérée. Dickson, dans son étude, fait ainsi la démonstration que l’adoption de politiques publiques, par un gouvernement, est influencée par la réceptivité de la population à ces dernières (ce qui lui permet de conserver son capital politique)352. Considérant ce raisonnement, une collectivité (ou organisation) intéressée par la mise en place d’une politique lui permettant de maximiser son utilité aura avantage à s’assurer du reflet de son idéologie au sein d’autres collectivités importantes, incluant la population. Ce raisonnement est parfaitement logique dans la mesure où nous reconnaissons que le processus d’élaboration des lois en est un de consensus. La simple existence de ce consensus explique aussi le peu de réformes radicales mises en place par les gouvernements dans les sociétés libres et démocratiques353.

Selon le niveau de pénétration de son idéologie chez une ou des collectivité(s) externe(s), la collectivité qui cherche à voir son utilité réalisée jugera de la pertinence de s’engager

352 Dickson, supra note 38.

353 Lord Devlin, « Judges and Lawmakers » (1976) 39 Mod. L. Rev. 1 à la p. 2 :

Dynamic or creative lawmaking is the use of the law to generate change in the consensus. A law that tried to impose an alien idea upon a free society would come to grief. But in a free society the progress of a new idea from the attraction of some sympathy to the support of an active minority, thence to the acquiescence of the majority and finally to a consensus is usually very slow.

Nous mentionnons toutefois plus loin dans notre étude que la réticence d’un gouvernement à mettre en place une réforme radicale peut aussi découler de son ignorance des coûts associés à une telle réforme et à la sécurité qui découle du phénomène de la « dépendance de sentier » ou path dependency.

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dans une croisade destinée à inculquer son « idéologie » à ces collectivités externes354. Un exemple d’une telle croisade a particulièrement été relevé par l’auteur Dickson qui lie celle-ci au succès du Bureau des narcotiques américain à faire passer une loi anti- narcotiques aux États-Unis355. Selon Dickson, afin d’atteindre son objectif de justifier son existence (utilité recherchée par une organisation bureaucratique), le Bureau des narcotique s’est engagé, à l’époque, dans une croisade destinée à convaincre les citoyens américains que l’usage des drogues était immoral et, pour cette raison, devait être prohibé. Le Bureau se présentait donc comme étant utile à cette fin et comme étant le seul possédant les compétences pour atteindre cet objectif. L’adoption de cette idéologie, par la population, conférait par le fait même un pouvoir d’influence accru au Bureau des narcotiques lors de ses représentations devant les représentants du gouvernement américain. En effet, ces derniers voyaient alors un intérêt politique à instaurer la

Marihuana Tax Act356.

Il est pertinent de souligner que pour s’assurer que la collectivité en général appuie son idéologie, le Bureau des narcotiques a fait sa croisade en se fondant sur des concepts hautement normatifs. C’est effectivement en s’attaquant à des valeurs de moralité et de sécurité de la personne qu’il a su générer l’intérêt de la population pour ses revendications357.

354 Dickson, supra note 38; aussi Burris et al., supra note 39. 355 Dickson, ibid.

356 Dickson, ibid. 357 Dickson, ibid.

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À ce sujet, notre analyse de différentes études relatives au contexte d’élaboration de politiques publiques nous révèle que, souvent, un gouvernement sera réceptif à des propositions de réforme appuyées par d’importantes collectivités et, par la population en général358. Une stratégie préconisée par les différentes organisations impliquées dans le processus d’élaboration des politiques publiques pour particulièrement susciter le soutien de la population consiste à présenter leur argument de façon à ce qu’il fasse appel à des principes purement normatifs, comme le sont les notions de justice, de moralité ou d’égalité. Le recours à ces notions ramène à des valeurs collectives et donc à l’utilité recherchée par la collectivité en général359. Le succès d’une croisade entreprise dans cette optique sera d’autant plus prévisible si la conjoncture sociale, politique et économique est particulièrement favorable à de tels concepts. La présence d’une telle conjoncture peut alors représenter une « fenêtre d’opportunité » pour la transmission et l’acceptation d’une idéologie qui, normalement, serait plus difficilement acceptée :

Public policy scholars refer to these agents as ‘‘policy entrepreneurs,’’ who influence outcomes by coupling the ‘‘problem’’, the ‘‘politics’’, and the ‘‘policy’’ streams when the ‘‘policy window’’ opens up. They repackage issues by giving them new ‘‘policy images’’, and move issues from one policy domain or subsystem to another, as well as from one institutional setting to a more hospitable one. This literature emphasizes that structures alone do not determine policy outcomes; agency also matters360.

358 Boyne, supra note 303; Sened, supra note 27; Dickson, ibid. 359 Gold, « Moving », supra note 45 à la p. 1319.

360 Susan Sell et Aseem Prakash, « Using Ideas Strategically: The Contest between Businesses and NGO's

over Intellectual Property Rights » (2004) 48 International Studies Quarterly 144 aux pp. 144-152 [Sell, Using Ideas]; Au même effet, Campbell, supra note 28 à la p. 42 donne l’exemple des stratèges politiques

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Par ailleurs, il importe de souligner que l’élaboration des lois et des politiques publiques n’est cependant pas seulement le reflet d’interactions entre collectivités rationnelles, mais aussi entre collectivités à pouvoir et à influence variables sur le processus décisionnel d’un gouvernement en place.