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Dans ce travail de thèse, nous avons choisi de traiter du cas de la « sûreté nucléaire », entendue, dans sa définition institutionnelle, comme « l'ensemble des dispositions techniques et des mesures

d'organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l'arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base ainsi qu'au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d'en limiter les effets »5. La sûreté nucléaire est donc un problème de politique publique, faisant l’objet d’un traitement par des organismes publics, notamment l’IRSN et l’ASN que nous avons présentés succinctement ci-dessus.

On observe que la sûreté nucléaire française constitue un cas empirique relativement peu analysé. Il convient toutefois de mentionner les différentes recherches qui ont abordé, plus ou moins frontalement, cette thématique. On notera tout d’abord que certains travaux sur le nucléaire français constituent des bases solides pour comprendre l’environnement dans lequel s’est

historiquement développée la sûreté nucléaire en France (Hecht, 2014), sans que les risques soient au centre de ces études.

On peut ensuite citer les travaux centrés sur les installations nucléaires, analysées comme des organisations. En France, on peut notamment citer les travaux de Benoît Journé (Journé, 1999, 2003) ou de Mathilde Bourrier (1999) autour de la fiabilité organisationnelle. On peut également observer, dans un travail récent (Bieder & Bourrier, 2013), la mise en évidence des limites de la « procéduralisation » de la sûreté dans différents domaines dont le nucléaire, ou encore un travail de thèse qui met en avant l’autonomie des exploitants de centrales nucléaires face aux procédures (Stoessel, 2010). L’ensemble de ces travaux, qui concernent la fiabilité organisationnelle, sont intéressants pour décrire le fonctionnement interne d’une organisation à risque mais ne nous permettent pas d’observer, en amont, les fonctionnements institutionnels de la sûreté nucléaire, de l’expertise et de la décision, ou encore les analyses de risque.

D’autres travaux de disciplines variées apparaissent plus proches de notre cas d’étude car ils mettent la régulation des risques au centre de leurs analyses.

Dans un premier temps, la sûreté nucléaire en France a fait l’objet de travaux qui ont mis en évidence l’existence d’un « dialogue technique » entre experts, qui serait une spécificité historique de la régulation de la sûreté nucléaire français (Foasso, 2003, 2007, 2012), dont un des fondements serait la négociation (Rolina, 2009, 2010). Un travail récent met en évidence que ce dialogue technique peut s’interpréter comme un échange de croyances (le contrôlé expose ses croyances en matière de sûreté) et de doutes (le contrôleur émet des doutes sur les croyances du contrôlé) (Eydieux, 2017). Ces travaux sur la sûreté nucléaire en France mettent notamment en évidence une spécificité française dans la régulation de la sûreté nucléaire, considérée comme plus souple, plus dialogique et plus « fermée » que dans d’autres pays (aux Etats-Unis par exemple).

Des travaux sur la démonstration en matière de sûreté nucléaire mais également sur les organisations en charge de cette démonstration ont montré le caractère évolutif de la prise en charge de la sûreté nucléaire. Lenny Patinaux montre notamment comment l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) va progressivement abandonner une démonstration de sûreté de son installation basée sur la prétention à produire une preuve formelle sur le modèle d'une démonstration mathématique pour une approche visant à convaincre de la maîtrise du stockage sur la base d’un « faisceau d'arguments » (Patinaux, 2017). Également sur le cas de l’ANDRA, un autre travail analyse la flexibilité organisationnelle et institutionnelle qui permet d’expliquer le maintien de

C’est dans le monde anglo-saxon qu’on trouve le plus de travaux sur le nucléaire et la sûreté, notamment les liens de dépendance entre la régulation du risque nucléaire et contexte politique (Meehan, 1986; Rip, 1986b; Wynne, 1982). Baumgartner et Jones montrent, à partir du cas de la sûreté nucléaire aux Etats-Unis, comment un sous-système politique, favorable aux industriels s’est créée, altéré, puis radicalement transformé dans les années 1970 (Baumgartner & Jones, 1991). Après l’accident de Fukushima, de nombreux travaux concernant la sûreté nucléaire (Sagan & Blanford, 2016) et les défaillances dans l’analyse des risques (Downer, 2013) ont également vu le jour.

Nous retiendrons de l’ensemble de ces travaux que l’intérêt d’étudier la régulation de la sûreté nucléaire française réside dans trois éléments importants :

- La régulation de la sûreté nucléaire a été pensée et institutionnalisée « en avance » (années 1960-1970) par rapport à d’autres types de risques (dont les principes et les pratiques de régulation émergent plutôt dans les années 1970 et 1980). Malgré ce constat, la régulation de la sûreté nucléaire a une histoire « jeune », qui débute dans l’après seconde guerre mondiale, ce qui peut faciliter son analyse.

- Des auteurs ont observé des spécificités françaises dans la régulation de la sûreté nucléaire, autant d’un point de vue institutionnel, qu’au niveau des règles et des pratiques.

- Des évènements ont remis en cause et potentiellement transformé les régimes de régulation, ce qui permet d’observer des évolutions avec des marqueurs temporels forts. Suite à cette courte introduction, nous tenterons alors de répondre à la problématique suivante : Comment se constituent et évoluent les régimes de régulation de la sûreté nucléaire en France ?

Nous allons maintenant développer notre propos, en proposant une démarche théorique, basée sur le concept de « régime de régulation des risques » (Hood et al., 2001) et un de ses composants, les instruments de régulation des risques.