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PARTIE I. CADRAGE THEORIQUE ET METHODOLOGIE

3. Le choix des questions de recherche

A l’aide de ce cadrage, nous sommes maintenant en mesure de préciser notre problématique générale : Comment se constituent et évoluent les régimes de régulation de la sûreté nucléaire en France ? Nous la déclinerons en trois questions de recherche.

3.1. Caractériser le régime de régulation et ses évolutions : un point de départ institutionnaliste

Dans un premier temps, notre objectif sera, en partant de la modélisation que nous avons proposée à partir des travaux sur le régime de régulation (Detsyk, 2010; Hood et al., 2001) de caractériser le régime français de régulation des risques nucléaires et d’en analyser les évolutions. Nous le ferons sur plusieurs périodes distinctes (années 1945-1969 ; 1969-1986 ; 1986-2017) Cette première étape nous conduira notamment à mener une analyse des éléments du régime de régulation tels que nous l’avons modélisé précédemment (Figure 2). Cette approche, comme Hood et ses collègues l’expliquent eux-mêmes (voir ci-avant), a une base de départ institutionnaliste, mais elle s’affranchit de ce courant en modélisant un régime de régulation selon des dimensions qui empruntent librement à d’autres points de vue. Cette première analyse permettra de faire une photographie macroscopique caractérisant, à plusieurs moments, le régime de régulation, et de poser l’hypothèse d’une hybridation de ce régime sur le long terme.

La question de recherche 1 est donc la suivante : Comment caractériser le régime de régulation de la sûreté nucléaire et son évolution ?

3.2. Contribution et effets des instruments sur le régime de régulation des risques : une approche interactionnelle

Dans un second temps et pour enrichir le modèle de Hood (Hood et al., 2001), nous nous attacherons à regarder les rôles et les effets des instruments sur le régime de régulation dans une approche plus interactionnelle (Chiapello & Gilbert, 2013). Dans un premier volet, nous tenterons d’analyser le processus de conception collective de trois instruments en cherchant à savoir comment il contribue à fabriquer le régime de régulation des risques. Nous utiliserons notamment le concept de travail de régulation pour analyser la manière dont les acteurs conçoivent des instruments, dans le cadre d’un processus d’échanges négociés, et construisent simultanément le collectif et les connaissances qu’il partage. En ce sens, nous montrerons comment ce travail de régulation fabrique le régime de régulation.

La question de recherche 2 est donc la suivante : Comment le processus de conception des instruments contribue-t-il à la fabrication du régime de régulation des risques ?

Dans un second volet, nous nous efforcerons de suivre la mise à l’épreuve d’instruments génériques, quand ils sont opérationnalisés sur un site, en partant du postulat qu’elle est créatrice d’effets attendus ou inattendus (Halpern et al., 2014; Moisdon, 1997) pour le régime de régulation. Nous

instruments sont mis à l’épreuve. En effet, l’instrument passerait alors par une série d’épreuves aux effets multiples et parfois imprévus qui entrainent des ajustements permettant de le contextualiser, mais qui contribuent en même temps à la consolidation ou à l’ébranlement du régime de régulation en vigueur. La question de recherche 3 est donc la suivante : Quels sont les effets de la mise à l’épreuve des instruments sur le régime de régulation ?

Méthodologie de la recherche

Ce travail de thèse s’inscrit dans le cadre d’un programme ANR intitulé AGORAS (Amélioration de la gouvernance des organisations et des réseaux d’acteurs pour la sûreté nucléaire) qui réunit différents partenaires (l’IMT Atlantique, SciencesPo Paris, Mines ParisTech, l’IRSN et AREVA) et qui vise à comprendre la gouvernance des risques nucléaires en France à travers le prisme des sciences humaines et sociales. Cette thèse bénéficie d’un double rattachement institutionnel : l’École des Mines ParisTech (et son laboratoire de gestion, le Centre de Gestion Scientifique (CGS)) et l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) au sein du Laboratoire de recherche en Sciences Humaines et Sociales (LSHS), où nous disposons d’un bureau en tant que salarié.

Nous avons donc bénéficié, en plus du suivi académique, -échanges avec la directrice de thèse et ateliers doctoraux du CGS -, d’une insertion au sein d’une équipe de recherche à l’IRSN où notre « maître de thèse » nous a permis une insertion technique dans les thématiques de l’institut. Ancien chargé d’affaire à l’ASN et expert de l’IRSN devenu chercheur au LSHS de l’IRSN, il nous a fortement facilité la compréhension du sujet et des enjeux techniques, notamment dans la première année de thèse, où le coût d’entrée est particulièrement élevé pour acquérir le minimum de base technique nécessaire à la compréhension du matériau empirique. Cette insertion dans un domaine technique qui nous était alors inconnu a été également facilitée par des relations poussées avec d’autres experts de l’IRSN et notamment des experts en charge de l’inondation.

Notre travail de thèse a également été restitué de nombreuses fois aux experts et responsables de l’institut, aux membres du programme AGORAS ou encore dans des séminaires techniques, notamment à l’Agence Internationale pour l’Énergie Atomique (AIEA) ou à l’Institut pour la Maîtrise des Risques (IMDR). Nous avons également fait plusieurs communications lors de conférences académiques (IDEP14 et AISLF15) et pu préparer un article et deux chapitres de livre (un article dans la revue Gérer & Comprendre paru en décembre 2017 (Mangeon & Pallez, 2017) et deux chapitres qui seront publiés dans un ouvrage à paraître aux presses du CNRS). Notre participation au programme AGORAS depuis son origine, et aux différentes réunions et colloque organisés dans ce cadre, nous ont également permis de bénéficier d’échanges avec d’autres chercheurs travaillant, sous des angles différents, sur la sûreté nucléaire.

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Interdisciplinarité dans les études du politique

Cette insertion dans divers collectifs de chercheurs, ces différentes interactions, et les retours dont nous avons bénéficié sur notre travail, ont participé, tout au long de la thèse, à la mise en discussion de nos choix théoriques et de notre démarche, ainsi qu’à l’élaboration de notre recherche dans son état final.

Ce point est d’autant plus important à signaler qu’il a aussi constitué un moyen de contrecarrer un biais possible de notre approche, lié à notre position au sein d’un des acteurs prépondérants de la régulation du risque nucléaire, l’IRSN. On peut en effet craindre que cette position favorise une vision « IRSN centrée » de notre analyse, nourrie par notre quotidien et notre environnement de travail, avec les chercheurs et experts de l’IRSN. Ce danger n’est jamais écarté. Mais, outre le fait que la « neutralité » du chercheur en sciences économiques et sociales est une fiction, et que seuls des dispositifs collectifs permettant une réflexivité, comme ceux que nous avons mentionnés, permettent d’interroger explicitement des interprétations issues d’une position institutionnelle du chercheur, nous souhaitons aussi mettre en avant les avantages que représentait cette position. En effet, comme nous le verrons, notre statut de salarié de l’IRSN nous a ouvert de nombreuses portes, notamment pour collecter des données. Autant du point de vue des données papiers (archives) récoltées, que des entretiens effectués, l’IRSN a été le plus grand pourvoyeur de notre matériau empirique.

Pour revenir de manière plus formelle à notre méthodologie, nous choisissons de procéder par une démarche compréhensive (Dumez, 2013) et généalogique. Celle-ci devrait nous « permettre de

donner à voir (description, narration) et d’analyser les acteurs pensant, éprouvant, agissant et interagissant » (Dumez, 2013) mais également leurs interactions au cours du temps. Nous prenons le

parti de mettre la « description » au cœur du travail de recherche, tout en admettant qu’elle ne peut être neutre, exhaustive et objective (Dumez, 2013). En faisant le pari d’étudier la fabrication d’un régime de régulation comme un mécanisme social, nous considérons qu’ « en aucune manière, les

propositions théoriques ne devraient être considérées en sciences sociales avec le formalisme de la grande théorie. Elles devraient juste suggérer un jeu de relations, « une histoire » (hypothétique) portant sur le pourquoi des actions, des événements, des structures et des pensées, qui se sont produits » (Depeyre & Dumez, 2007).

Dans cette section méthodologique, nous justifierons d’abord l’intérêt de notre choix empirique, celui d’étudier les régimes de régulation du risque nucléaire à partir d’un risque particulier, celui de l’inondation. Nous préciserons ensuite le choix du périmètre d’étude, les spécificités de notre approche, et nous présenterons le travail de recueil et de traitement des données. Nous terminerons par une présentation de la structuration de notre thèse.