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PARTIE I. CADRAGE THEORIQUE ET METHODOLOGIE

1. Un cas d’étude fécond : le risque d’inondation et ses instruments

Cette thèse en sciences de gestion a pour objet d’analyser un régime de régulation des risques, sur le temps long (1945-2017), au regard de certains de ses instruments (règles, guides, …). Comme nous l’avons vu en introduction, la sûreté nucléaire, dans sa définition institutionnelle, est décrite comme « l'ensemble des dispositions techniques et des mesures d'organisation relatives à la conception, à la

construction, au fonctionnement, à l'arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base ainsi qu'au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d'en limiter les effets »16 .

En nous appuyant sur cette définition, nous excluons de notre périmètre d’étude les questions de radioprotection, correspondant à « l’exemple de mesures techniques destinées à assurer la protection

de la population et des travailleurs face aux rayonnements ionisants »17. En effet, la radioprotection est un domaine traité différemment d’un point de vue de l’expertise mobilisée ou de la réglementation. Nous nous intéresserons donc seulement à la sûreté nucléaire. Par ailleurs, pour des raisons analogues, tenant à l’homogénéité de l’objet que nous cherchons à étudier, nous laisserons également de côté le cas la sûreté des installations militaires, les problématiques liées à la radiothérapie médicale et celles liées au transport de matière radioactive, qui impliquent des règles et des acteurs différents. Nous nous concentrerons donc sur la sûreté des installations nucléaires civiles françaises, exploitées par EDF, le Commissariat à l’Énergie Atomique et aux énergies renouvelables (CEA) et AREVA, ou l’ANDRA.

Les organisations tenant une place centrale dans notre thématique seront donc les trois exploitants mentionnés, l’expert public (l’IRSN) et l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), qui est le régulateur du système. Il est utile, pour la compréhension de la suite, d’esquisser dès maintenant le fonctionnement formel de ce tripode qui est, actuellement, au cœur de la régulation du risque nucléaire : l’exploitant fournit un dossier sur la sûreté de son installation18 à l’ASN, qui saisit l’IRSN pour faire une expertise du dossier. Pour ce faire, l’IRSN engage un dialogue avec l’exploitant dans l’optique de rendre, in fine, un avis à l’ASN. Sur la base de cet avis, l’ASN prend position sur ce dossier

16

Article L591-1 du Code de l’Environnement.

17 Source : http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Sante/radioprotection/radioprotection-travailleurs/Pages/La-

radioprotection-des-travailleurs.aspx, consulté le 12/09/2018.

18

Ce dossier peut être remis lors de la déclaration d’autorisation, la mise à l’arrêt ou la modification de l’installation, mais également en cas de demande de l’autorité de sûreté.

et transmet cette position à l’exploitant pour qu’il la prenne en compte. Nous avons résumé ce mode de fonctionnement sur le schéma suivant (Figure 4)

Figure 4 : Fonctionnement simplifié de la sûreté nucléaire en France

Ce sont également ces acteurs, dans un fonctionnement diffèrent que nous analyserons, qui sont au centre du processus de conception et de mise à l’épreuve des instruments de régulation. Comme nous l’avons déjà mentionné en introduction générale, les instruments de régulation des risques que nous allons étudier prennent la forme de guides de bonnes pratiques de plusieurs dizaines de pages (que les acteurs de terrain appellent des guides et/ou des règles, ce qui ne facilite pas la compréhension de leur nature), et qui, dans les cas qui nous intéressent, ont pour but essentiel de fournir des méthodes d’évaluation du risque et les préconisations qui en découlent en matière de protection des installations nucléaires.

Les guides qui vont nous intéresser ont pour sujet le risque d’inondation, qui, comme nous allons le développer maintenant, apparaît particulièrement fécond pour « entrer » dans le régime de régulation de la sûreté nucléaire.

1.1. L’inondation, un risque, plusieurs instruments.

Dans un premier temps, il convient de mentionner que le risque inondation fait l’objet d’une attention particulière depuis les années 1970, période du début de la construction du parc nucléaire aujourd’hui en exploitation. En outre, il a une forte histoire « événementielle ». En effet, même si le principe de ces guides est antérieur à ces évènements, l’inondation de la centrale nucléaire du Blayais en 1999 et l’accident nucléaire de Fukushima suite à un tsunami en 2011, en ont été des exemples marquants, qui ont fortement questionné les systèmes de régulation en vigueur.

Pour la prévention du risque d’inondation sur les installations nucléaires, différents instruments se sont succédés du milieu des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. On trouve la trace d’un premier guide, alors appelé « Règle Fondamentale de Sûreté », publié en 1984 par le contrôleur de l’époque. Suite à l’inondation de la centrale du Blayais en décembre 1999, ce guide sera remplacé en 2013 par un nouveau « Guide inondation ». La chronologie de ces instruments est résumée sur la Figure 5.

Figure 5 : Chronologie des instruments étudiés

Nous le verrons plus tard, ces guides entrent en relation avec d’autres types d’instruments (les instruments législatifs, les guides européens, les codes et normes des industriels, etc.) et peuvent être « déclinés » sur les installations nucléaires, sous différentes formes.

Nous pouvons d’ores et déjà signaler que ces guides, dont les publications sont séparées de 30 ans, sont conçus collectivement sur le temps long (quatre ans pour le guide 1984, presque dix ans pour le guide 2013). Le fait d’étudier plusieurs instruments, sur des temporalités longues, permet de tracer des changements du régime de régulation des risques qui, comme nous l’avons dit plus haut, jouit d’une certaine stabilité.

1.2. Des instruments scientifiques et techniques conçus collectivement

Les instruments que nous étudions incorporent des savoirs scientifiques et techniques particuliers. Ils traitent de « l’inondation externe », qui peut se définir comme une inondation d’origine extérieure aux ouvrages, aires ou bâtiments d’une installation nucléaire. Ces documents servent à définir des scénarios d’inondation, à proposer des méthodes pour caractériser ces risques et à lister des recommandations pour protéger les installations. Ils incorporent donc des savoirs multiples : hydrologie, météorologie, statistique, ingénierie nucléaire, génie civil ou encore management. Ils sont conçus collectivement par des groupes d’acteurs, issus des organisations concernées par la régulation de la sûreté nucléaire (expert public, contrôleur, exploitants, …), appuyées par des bureaux d’études spécialisés. Les savoirs scientifiques et techniques sont débattus, échangés et mobilisés, ce qui nous permet d’analyser les relations entre les acteurs et la nature des controverses à travers les traces laissées par ces échanges.

1.3. Un risque qui « déborde » les questions de sûreté nucléaire

S’intéresser au risque inondation pour les installations nucléaires permet également de « déborder » les questions de sûreté nucléaire, et ce, de deux façons :

- d’abord, le risque inondation est un enjeu de politiques publiques très important, en dehors des questions de sûreté nucléaire. Le risque d’inondation permet donc également d’analyser d’autres modalités de régulation de l’inondation et surtout d’étudier les interfaces entre le nucléaire et d’autres organisations publiques en charge du même risque. En particulier, ces interactions sont potentiellement autant d’ouvertures scientifiques et techniques entre les organisations en charge de la sûreté nucléaire et celles qui traitent de la gouvernance de l’eau.

- ensuite, les différentes catastrophes qui ont jalonné l’histoire nationale (en dehors du secteur nucléaire) tendent à rendre très visible le risque d’inondation dans l’espace public. L’entrée par l’inondation pourrait donc permettre de faire le lien entre le régime de régulation de la sûreté nucléaire et les attentes et représentations de la société civile.

Ces éléments, en apportant des points de comparaison par rapport à un risque identique, mais non nucléaire, permettent de préciser et de réinterroger l’ « exceptionnalisme » supposé des modes de régulation du risque nucléaire.