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II. 3. 2.La sémiotique des Passions

II.3.4. La sémiotique tensive

Par sémiotique tensive, on désigne une sémiotique post-passionnelle, à travers l’œuvre de Claude Zilberberg et de Jacques Fontanille. La tensivité désigne la relation contractée et donc aspectuelle entre les sèmes inchoatifs et terminatifs. Ainsi, le sens de « tension » résulte de la progression. Le passage d’une sémiotique objectale de l’agir à une sémiotique du pâtir a donné naissance à une sémiotique du sensible dans la seconde moitié des années 1990. Dans « tension et signification » (1998), Zilberberg et Fontanille reexploitent douze concepts définis désormais en termes de tensivité : valence, valeur, carré sémiotique, schéma, présence, devenir, praxis énonciative, forme de vie, modalité, fiducie, émotion et passion. Dans le glossaire de sémiotique tensive, Claude Zilberberg la définit sommairement comme : « la relation de l’intensité à l’extensité, des états d’âme aux états de choses » (2006: 32), pour ajouter plus loin que la tensivité n’est que :

« Le commerce de la mesure intensive et du nombre extensif. En effet, à l’instar des notes en musique, nos affects sont d’abord, peut-être seulement, la mesure des transformations que les évènements provoquent en nous, tandis que la dimension extensive, celle des états de choses, nous possédons à partir des classifications propres à notre univers de

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discours, à des transferts d’une classe à l’autre conduisant à des dénombrements plus ou moins précis » (P.33).

L’évolution historique affirme que la tensivité est approchée selon trois tendances théoriques : une tendance phénoménologique, une tendance rhétorique et structuraliste et une tendance générative.

II.3.4. 1. La tendance phénoménologique

Dans cette perspective, la sémiotique tensive apparait comme héritière de la sémiotique des passions tout en radicalisant la position du sujet selon la linguistique d’Emile Benveniste et la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty, ainsi que la sémiotique subjectale de Jean-Claude Coquet. Avec « Tension et signification » (1998), l’existence d’un observateur sensible au centre de l’espace tensif est postulée. Dans ce sens, la théorie de la tensivité rejoint la pensée de Jean-Claude Coquet des instances énonçantes, et s’affirme davantage avec celle de Jacques Fontanille comme une sémiotique du discours en acte ou une sémiotique énonçante (Fontanille, 1999 : 8), en mobilisant des notions de base de cette linguistique : champ de présence, instance du discours…etc.

La sémiotique tensive peut d’emblée se décrire comme une description scrupuleuse du discours en acte, à travers le déploiement d’un champ de catégorisation. Si par exemple, dans un énoncé, le débrayage rompt avec espace et un temps indistincts, l’embrayage avec la parution du « je » déploie un champ défini autour de ce dernier : ses mouvements, son axiologie. Ce mouvement du sujet est à mi-chemin entre l’instance énonçante et l’instance perceptive.

Ainsi, les premiers jalons sont dressés : prise de position énonciative, champ de présence, horizon…etc. Ces notions qui orient le champ, comment s’articulent-elles à l’intérieur de cet espace ? Comment caractériser les objets qui ne suivent pas la même cadence ? En effet, certains objets sont forts au début,

s’atténuent au milieu pour disparaitre à la fin. On parle à ce stade de schéma tensif à travers lequel le champ de présence s’articule et dont les objets varient selon ce mode d’articulation. La représentation graphique de l’espace tensif serait le diagramme suivant

Figure 10 : le diagramme, représentant l’espace tensif

Deux cas de figure sont possibles : la corrélation inverse (« plus…moins… » /« moins… plus… ») etla corrélation converse (« plus…plus… » / « moins… moins… »):

- 116 - Corrélation converse

En effet, ce schéma permet de figurer les directions sémiotiques étant donné que l’ascendance est en relation avec la corrélation converse, alors que la

décadence est en relation avec la corrélation inverse. La complexité de la valeur

tensive [V1] trouve sa résolution en valences, en projection sur l’axe intensif, et l’axe extensif

La variation de ces objets est corrélée à un type définit. Parallèlement avec la corrélation (converse ou inverse), les deux gradients « intensité » (ayant pour tension génératrice : [éclatant/faible] et subsume deux sous-dimensions : le

tempo et la tonicité) et «extensité » (ayant pour tension

génératrice [concentré/diffus] et subsume deux sous-dimensions : la temporalité et la spatialité) seront les valences tensives, applicables sur tout types de discours.

II.3.4. 2. La tendance rhétorico-structuraliste

L’œuvre de Claude Zilberberg peut être considérée comme une véritable modèle de la rhétorique tensive (2002) dans laquelle les composantes du schéma tensif sont détaillées en dimensions et sous-dimensions. C’est le cas de l’intensité (tonicité/tempo) et de l’extensité (spatialité/temporalité). Le deuxième niveau d’articulation serait les mouvements tensifs, décrits à partir des phorèmes. On aura donc : la direction, la position et l’élan. Chaque phorème articule les sous-dimensions. Par exemple, la spatialité est répartie en ouverture/fermeture pour la direction, en extériorité/intériorité pour la position et en déplacement/repos pour l’élan.

- 118 - dimensions Intensité Di extensité De Sous- dimensions Tempo d1 Tonicité d2 Temporalité d3 Spatialité d4

Figure 12 : l’articulation des dimensions/sous-dimensions dans l’espace tensif

Les relations en sous-dimensions sont contrôlées par la rection entre les dimensions. En vertu de l’analyse en phorèmes, une sub-valence composerait un phorème et une sous-dimension, ce qui donnera douze combinaisons, schématisées comme suit :

sous-dimensions corrélation commentaire

d1 d2

Corrélation

converse

l’application du tempo sur la tonicité produit l’éclat

d3 d4

Corrélation

converse

L’application de la temporalité sur la spatialité produit l’universalité

d1 d3

Corrélation

inverse

L’application du tempo sur la temporalité abrège la durée

d2 d4

Corrélation

inverse

L’application de la tonicité sur la spatialité est concentrante

d1 d4

Corrélation

inverse

L’application du tempo sur la spatialité contracte l’espace

d2 d3

Corrélation

converse

L’application de la tonicité sur la temporalité accroit la durée

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Cette sémiotique, toujours très fidèle au système binaire hjelmeslevien (expression/contenu) décrit la surface discursive comme un champ dynamique, un ensemble complexe d’écarts différentiels. C’est donc une sémiotique qui analyse le sensible à travers « l’intervalle »

décadence Attenuation = [S1]+ [S2] Amenuisement = [S3]+ [S4] ascendance Relèvement = [S4]+ [S3] Redoublement = [S2]+ [S1]

Figure 14 : Schématisation de l’intervalle

La sémiotique tensive s’avère donc une analyse raisonnée de l’affect. Zilberberg, redéfinit la nature des unités en les qualifiant sous l’angle de la rhétorique aussi bien que celui de la linguistique (sémantique). Les unités sont à la fois des lexèmes et des figures.

II.3.4. 3. La tendance générative

Jacques Fontanille est considéré comme le fondateur d’une sémiotique tensive générative à travers son article « La sémiotique est-elle générative ? » (2001). Pour lui, la signification est fondamentalement générative. Ce constat est tiré du concept de conversion qui rend possible le passage d’un niveau à un

autre. La sémiotique tensive peut résoudre le problème de la conversion puisque le sens se situe dans un espace phorique et tensif en intensité et en extensité. Corrélativement, en changeant de niveau, la tensivité ne disparait pas, or selon le principe de la conversion tensive, le passage d’un niveau à un autre niveau supérieur rend l’espace tensif non pas un espace isolé, mais plutôt au cœur de l’espace tensif.

III.1. Introduction

En partant du principe général de la sémiotique comme discipline ayant pour objectif d’explorer le sens aussi bien que ses diverses manifestations, cette opération serait une description et de transcodage de la langue par la langue. Ainsi, il s’agit d’étudier la langue comme un fait social, au sens saussurien du terme (Assia Djebar voudrait communiquer un message à ses lecteurs/lectrices), mais précisons qu’il s’agirait d’un fait social dont il est nécessaire de dépasser la fonction communicative primaire pour élaborer des modèles qui se situent antérieurement au texte comme manifestation linguistique.

A ce niveau, l’étude des structures narratives est primordiale et parait comme la pierre d’assise de la lecture sémiotique. Si la narration a tant d’importance c’est d’abord par rapport à la relation de dépendance qu’elle entretient avec le monde réel : il s’agit de l’imitation qui fut l’objet d’analyse de la poétique. Ainsi, narrer constitue sémiotiquement un « faire être », voire une « création » dont la matière première n’est autre que la réalité. C’est la raison pour laquelle une « narration » peut différer d’une « autre narration », ayant pourtant le même objet narré. Quelle serait la différence entre un évènement (la guerre d’Algérie par exemple) au sein d’une chronique, ou à travers une pièce théâtrale ?

Par ce qui a précédé, nous émettons l’hypothèse générale que les trois récits d’Assia Djebar « se relatent » de trois façons différentes, ce qui rend possible leur classification en trois sous-genres narratifs distincts : fiction, autofiction, autobiographie.