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I. 1.4.2 .Fiction ou non-fiction

I.3. La« fiction » remise en question

I.3.2. L’autofiction comme renouveau stylistique

Dans ce cas, l’aspect stylistique du discours suffit afin de créer un effet de fiction et ceci loin du contenu ou de l’aspect véridique des faits racontés.

Le premier reproche qui a souvent été faite au sujet de l’autobiographie c’est sa classification générique en tant que « roman » ce qui est incompatible pour le caractériser comme un récit de vie. Ici, la position d’Alain Robbe-Grillet illustre cette idée :

« Quand je relis des phrases du genre Ma mère veillait sur mon difficile sommeil, ou Son regard dérangeait mes plaisirs solitaires, je suis pris d'une grande envie de rire, comme si j'étais en train de falsifier mon existence passée dans le but d'en faire un objet bien sage conforme aux canons du regretté Figaro littéraire: logique, ému, plastifié. Ce n'est pas que ces détails soient inexacts (au contraire peut-être). Mais je leur reproche à la fois leur trop petit nombre et leur modèle romanesque, en un mot ce que j'appellerais leur arrogance. Non seulement je ne les ai vécus ni à l'imparfait ni sous une telle appréhension adjective, mais en outre, au moment de leur actualité, ils grouillaient au milieu d'une

1 C’est le cas de Marie Darrieusecq dans son ouvrage « L’autofiction : un genre pas sérieux » (1996) et d’Alain Robbe-Grillet dans son roman « Le miroir qui revient » (1984)

infinité d'autres détails dont les fils entrecroisés formaient un tissu vivant. Tandis qu'ici j'en retrouve une maigre douzaine, isolés chacun sur un piédestal, coulés dans le bronze d'une narration quasi historique (le passé défini lui-même n'est pas loin) et organisés suivant un système de relations causales, conforme justement à la pesanteur idéologique contre quoi toute mon œuvre s'insurge ». (1984 : 17).

Le style autobiographique est à présent discrédité pour plusieurs raisons. D’abord, la narration autobiographique simplifie l’existence, à la rendre presque rudimentaire. Elle ne représente pas fidèlement le vécu en vue de la sélection qu’elle effectue sur la mémoire. Ainsi, la linéarité du discours est accentuée, les faits sélectionnés sont isolés et munis d’une importance irréelle. Il en résulte donc une déformation des points de vue. Conséquemment, l’ampleur des faits dans la réalité contraste avec les faits sélectionnés à raconter.

En plus, la narration autobiographique qui sélectionne les faits, les organise impérativement selon une logique causale falsifiante en réalité, car cette logique n’existe pas au moment de leur production dans la réalité. Cette logicisation des évènements n’est pas reçue en termes de vérité ou de fausseté, mais elle est plutôt « différente » par rapport à l’interprétation des faits racontés.

Finalement, la narration autobiographique est caractérisée par l’inexactitude dans la relation des évènements racontés. En effet, la temporalité y joue un rôle considérable : le présent sert de point de repère pour raconter les évènements au passé et donc l’imparfait ne signifie pas forcément que ces évènements ont été vécus comme déjà passés. C’est le cas par exemple de quelques désignations adjectivales à posteriori des états d’âme de l’instant. Ainsi, l’autobiographie « façonne » une sorte de vie exemplaire, fabriquée à partir d’un style inouï selon l’expression de Serge Doubrovsky : « Autobiographie ? Non, c’est un privilège réservé aux importants de ce monde, du soir de leur vie, et dans un beau style » (1977, P.I).

Par ce qui a précédé, l’autobiographie n’est pas seulement une forme mensongère déformant la réalité, paradoxalement, elle déforme cette réalité en voulant la décrire véritablement. C’est par le biais du langage que le « vrai » est dit :

« Fiction d’évènements et de faits strictement réels, si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure du langage1 hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau » (1977, P.I). Dans ce cas, l’écriture par association libre devient très avantageuse, car comme au domaine de l’association libre en cure psychanalytique, la vérité se joue à travers le désordre de la parole. La parole désordonnée et fragmentaire devient un discours réussi, car elle s’affranchit du joug de(s) censure(s) des conventions stylistiques. Le beau style aurait paradoxalement un effet appauvrissant du sens alors que l’écriture par association libre permettrait un étalage de significations riches.

Conséquemment, le mérite de la pensée de Serge Doubrovsky tient lieu dans l’association des « genres » aux « styles ». L’autobiographie qui se soucie de sa belle forme stylistique est contaminée par la fausseté, d’où la nécessité de créer un « nouveau genre » où l’auteur maitrise sa propre entreprise d’écriture en étant plus libre et pouvant même aller jusqu’à refuser le style littéraire.

Dans cette perspective également, l’autofiction aura pour vertu son caractère subjectif, car si l’autobiographie est réglée par le contrôle de la conscience, l’écriture autofictionnelle serait plutôt une autobiographie de l’inconscient où la volonté de maitrise et de contrôle est repoussée pour laisser libre cours à l’inconscient de s’exprimer ouvertement. Cette absence de maitrise des paroles classe le genre autofictionnel comme un genre inferieur qui ne prend soin des accommodations stylistiques que tres rarement. Ainsi, c’est l’aspect spontané qui garantit la réussite de l’autofiction, ce n’est pas la vie fascinante, exemplaire vécue

ou le beau style dont l’écrivain est doté : « ...le mouvement et la forme même de la scription sont la seule inscription de soi possible. La vraie trace, indélébile et arbitraire, entièrement fabriquée et authentiquement fidèle » (1980, P.188).