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II. 3. 2.La sémiotique des Passions

III.5. Eléments de narrativité

Il a été mentionné plus haut que la relation entre le sujet et l’objet est définie par l’investissement sémantique du désir. Elle est également conçue à travers le rapport actif-passif (le sujet est un être voulant, tandis que l’objet est un être voulu). C’est cette relation qui définit l’énoncé d’état.

 « Je veux apprendre de toi, et le flux verbal, et sa facture rythmique, et sa sonorité! » (1993, 222).

 « Mes fils, je veux voir mes trois fils » (1993 : 250).

 « Je me souviens que, pouvant utiliser une ligne de téléphone intérieure, j’étais désireuse de lui parler à n’importe quel moment, à voix basse comme s’il se trouvait tout près, puisqu’il se trouvait tout près: Vous êtes seul? Aurais-je demandé, —Oui!— Bavardons! » (1995 : 38).

 C’est d’ailleurs parce que tu as commencé enfin à te rapprocher de ce tournant (« élan brisé » : faut-il l’appeler ainsi?) en ce matin d’automne, boulevard Sadi-Carnot — transition suspendue au-dessus de ton corps tombé, puis de ton front redressé —, ce matin que tu as voulu oublier et que tu avais bel et bien fini par oublier. » (2007 : 396).

Il est remarquable dans ces exemples que l’actant féminin sort de la passivité qui lui est assignée sémantiquement. Il en résulte une position active par le biais de la modalité du vouloir.

Dans ces exemples, comme dans les trois récits qui constituent notre corpus, il s’agit de la position d’un élément par rapport à un autre élément. Cette relation est avancée en termes de jonction qui permet de « considérer ce sujet et cet objet comme sémiotiquement existant l’un pour l’autre » (Greimas, 1973 : 19).

Deux énoncés d’état sont donc retenus selon cette jonction posée ou non-posée :

1- Les énoncés conjonctifs : S ∩ O 2- Les énoncés disjonctifs : S U O

En effet, l’énoncé conjonctif ou attributif serait le résultat d’une action antécédente relevant de « l’être » ou de « l’avoir » pour distinguer : « deux sortes d’objets : ceux qui sont investis de valeurs objectives et ceux qui comportent des valeurs subjectives » (Greimas, 1973 : 167).

Il en résulte deux types de conjonction ou d’attribution au niveau de la manifestation discursive de surface, que nous proposons d’expliquer à partir des énoncés suivants :

 « Mon père ne m’a jamais parlé de sa grand-mère! » (2007 : 38).

 «— Oh, appelez-moi Habiba / supplia-t-elle, car elle avait renié toute famille ». (1993 :108)

Signalons d’abord que le choix de ces deux énoncés parmi d’autres n’est pas arbitraire, puisqu’ils se contrastent comme deux discours opposés du point de vue du monde de référence (le 1er est extrait du roman autobiographique, tandis que le 2ème est tiré du roman fictionnel). Il a été remarqué dans le 2ème énoncé, il s’agit de valeur objective présente dans le discours sous forme d’acteur individualisé « Habiba », tandis que pour le 1er énoncé, il s’agit d’une valeur subjective. Cette dernière est à la fois manifestée à travers un acteur qui se trouve doublement dans le statut du sujet et de l’objet (la narratrice, Fatima en tant qu’acteur se trouve à la fois comme sujet voulant un objet (connaitre la grand-mère du père), et un objet voulu par un autre sujet (M. Sari).

Les énoncés dits attributifs peuvent avoir plusieurs manifestations à la fois sémiotiques et linguistiques dans les trois genres narratifs d’Assia Djebar. Leur redondance peut servir d’outil de typologie des discours narratifs. On peut parler dans ce cas de deux types différents de discours narratifs, comme il est l’exemple d’un conte populaire et d’un roman dit « nouveau ». Si le premier se base sur une quête d’objet précis, ceci présuppose la prédominance d’énoncés disjonctifs, tandis que si le deuxième n’a pas forcément comme trait distinctif cette fameuse « quête », au sens proppien du terme, il serait plutôt qualifié de récit à énoncés attributifs.

Revenons à présent au deuxième type d’énoncés d’état : « les énoncés disjonctifs », qui en effet, ne sont pas les marqueurs de l’abolition complète de la

jonction entre le sujet et l’objet, mais plutôt, des marqueurs du terme négatif de cette jonction. Pour mieux illustrer ce propos considérons l’exemple suivant :

« Dans ce préambule du tête-à-tête nocturne de Firouz et de la reine, y eut-il comme des troisièmes noces, union de la Yéménite avec le futur troisième triomphateur pour sceller davantage l’avenir? Mystérieuse souveraine qui se donnerait à chaque vainqueur approchant, qu’elle domine après-coup pour s’en lasser finalement » (1993 : 26)

Ici, la reine yéménite, épouse d’Aswad, est-elle vraiment disjointe de Firouz ? En effet, elle lui est disjointe sur le niveau de la réalisation mais lui est conjointe sur le niveau de la virtualisation (à travers la modalisation du vouloir). Nous pouvons tirer le résultat suivant : la disjonction n’est qu’une relation « virtuelle » entre le sujet et son objet désiré, comme elle est définie par Greimas : « la virtualisation est la transformation qui opère la disjonction entre le sujet et l’objet » (1973 : 20), par opposition à la réalisation qui concrétise la relation conjonctive du sujet avec son objet.

Considérons un autre extrait de « Loin de Médine » :

« Avant de mourir, Mohammed apprend la victoire du faux prophète. Il prédit : "Dieu le fera périr bientôt! ", puis il le maudit. Il dut apprendre également ces détails : que Aswad, à Sana’a, vient d’épouser la veuve de Schehr. "Elle était musulmane, précise Tabari, mais elle se soumit par crainte" Ce sera elle l’instrument de Dieu ; par elle Aswad périra, comme l’a prévu Mohammed. » (1993 : 22).

Dans cet extrait, le couple d’actants destinateur/destinataire est intéressant à analyser. En effet, il existe une relation de présupposition entre les deux actants. Mohamed, destinateur, et la reine Yéménite comme destinataire. Ainsi, la communication entre ces deux actants est une communication asymétrique qui fait du destinataire « la reine yéménite » un élément hyponymique par rapport au

destinataire « Mohamed », la seule figure masculine suprême dans « Loin de Médine ».

III.5.1. Syntaxe narrative :

Notre représentation de la narrativité fut plus accentuée sur certains éléments que sur d’autres ; en outre, par rapport au récit comme « procès », c'est-à-dire, le passage d’une relation d’état à un autre, la représentation syntaxique serait du type :

(S∩O) →(SUO)

Il s’agit de transformation, d’un faire transformateur susceptible de se manifester à travers plusieurs représentations syntaxiques. Considérons les exemples suivants :

 « Il est mort. IL n’est pas mort. II a penché la tête, légèrement, sur le côté, contre la gorge de Aïcha. » (1993 : 13).

 « Je gis sur un étroit divan dans la bibliothèque de mon père; son tapis de prière est jeté à demi sur une chaise proche, les volets face à moi sont fermés; derrière, l’escalier du jardinet, avec son jasmin et ses roses trémières, me reste présent, écrasé sans doute par le soleil pas encore pâli. J’entends le chien dehors qui traîne, qui chasse les mouches— et je me noie, je m’endors dans la maison-vaisseau. Sieste de deux heures, ou de trois. Un jour ensoleillé de novembre. Un jour frileux. Je me suis réveillée dans le silence étale de la demeure qui semble soudain désertée. » (1995 : 20).

 « — J’ai posé de côté mon cartable, je lui ai fait face; d’une main, prestement, j’ai ôté mon fez, que j’ai tendu à l’un de mes élèves. Le provocateur a reculé : il a soudain réalisé que j’avais quinze centimètres de plus que lui, ou simplement que mon regard ne cillait pas! Il a hésité. » (2007 : 44).

Ces trois transformations sont respectivement représentables par :

1- (S) : Il, (le prophète), (O) : la mort.

Donc, l’énoncé d’état serait du type : (SUO). 2- (S1) : Je (la narratrice), (O), la sieste.

Donc, l’énoncé du faire serait du type (S1UO) → (S1∩O), où le sujet est d’abord disjoint de l’objet et par la suite, il lui est conjoint à travers le faire transformateur, effectué par un méta sujet opérateur (S2), qui dans ce cas serait la narratrice, libérée de la passion amoureuse pour l’Aimé :

« Au niveau de la manifestation actorielle, S1 et S2 renvoient au même personnage, l’on aura un faire réflexif, au cas contraire, il s’agira d’une action transitive (…) Le type de rapport entretenu entre la structure actancielle et la structure actorielle qui détermine, comme des cas-limites, tantôt l’organisation réflexive des univers culturels, et qu’une même syntaxe est susceptible de rendre compte de la narrativisation socio-sémiotique (mythologie et idéologies) » (Greimas, 1973 : 19).

3- (S1) : le père de la narratrice, (S2) : son rival, l’européen ; (O) : la peur.

Une relation dialectique par rapport à l’objet qui, en conjonction avec un (S1) se trouve naturellement disjoint de (S2). On parlera dans ce cas du « dédoublement du programme narratif » :

« Une narrativisation aussi simple (…) fait apparaitre (….) l’existence de deux programmes narratifs dont la solidarité est garantie par la concomitance des fonctions rend compte de la possibilité de manifester discursivement, c’est-à-dire de raconter ou d’entendre de même récit soit l’un soit l’autre des deux programmes » (Greimas, 1973 : 25).

Ce double programme narratif peut se décrire comme :