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II. 3. 2.La sémiotique des Passions

III.3. Les structures élémentaires de la signification

III.3.2. Le carré sémiotique :

Nous avons traité la catégorie en démontrant qu’elle a pour principe la binarité. En outre, la binarité serait-elle le seul outil méthodologique de lire les textes ? Ceci dit, le monde serait-il fait exclusivement d’opposition ?

Considérons d’abord la citation suivante de Hjelmslev :

« Le principe structural dirigeant le système linguistique des cas est par définition prélogique. La relation entre deux objets, qui est la signification des cas, peut-être conçue par un système d’oppositions logico-mathématiques ou par un système d’oppositions participatives. Or, ce n’est que le système de la dernière espèce qui recouvre les faits du langage et qui permet de les décrire par la voie immédiate. Mais il serait possible de ramener le système de la logique formelle et celui de la langue à un principe commun qui pourrait recevoir le nom de système symbolique. Le système sublogique est à la base du système logique et du système prélogique à la fois(…) »1

Ainsi pour mieux saisir les catégories dans les trois récits d’Assia Djebar, sont également conçu en terme de hiérarchie et de réseaux respectivement qu’il conviendrait d’analyser par : (i) dimensions à travers la reconnaissance à l’intérieur d’une catégorie de deux ou de plusieurs catégories dont les relations sont l’entrecroisement et l’interpénétration, et par (ii) « subdivision »pour répartir les membres des catégories supérieures sur deux ou plusieurs classes.

De ce fait analyser les catégories sémantiques hiérarchisées, tel que la catégorie « Force » par exemple dans les trois récits permet de recenser une logique, coextensive à la catégorie. Par exemple, Isma narratrice de « Vaste est la prison » ne peut pas être qualifiée d’absolument « faible » ou d’absolument « forte », mais se trouve conjointe à ses deux sèmes de façon continue, graduelle, harmonieuse, non fragmentaire. On parle à ce niveau du carré sémiotique comme

un outil de l’organisation fondamentale des trois récits fictionnel, autofictionnel et autobiographique d’Assia Djebar.

Reconnu également sous l’appellation du « modèle constitutionnel », le carré sémiotique est une organisation logico-sémantique qui représente un emboitement de relations plus larges. Courtès et Greimas le définissent comme : « la représentation visuelle de l’articulation logique d’une catégorie sémantique quelconque. » (1979 : 29)

De ce fait, le carré sémiotique serait un modèle qui actualise et concrétise l’articulation de la signification sur l’espace. Considérons l’exemple suivant :

« Personne n’avait prêté attention à elle, jusqu’à ce jour. Ce jour où elle assista, au premier rang des spectatrices muettes, aux torrents de déclamations véhémentes de la fille du Messager. » (103)

Dans cet extrait, une hiérarchie de relations est décelable, une hiérarchie de relations logiques, qui transcende le simple système binaire.

Soit « elle » (Habiba, la seconde rawiya) (S1) et « l’importance sociale » parmi les femmes médinoises (S2).

On peut schématiser syntaxiquement cette relation comme (S1 U S2) (S1∩S2) ou également à travers le carré sémiotique suivant :

Nous pouvons retenir une série de relations logiques :

1. Une relation hyponymique entre, d’une part (S1), (S2) et (S̅1) et (S̅2). 2. Une relation de contradiction être (S1) et (S̅1) et (S2) et (S̅2).

3. Une relation de contrariété qui articule (S1) et (S2), (S̅1) et (S̅2), ou une présupposition.

4. Une relation d’implication entre (S1) et (S̅2), et (S2) et (S̅1).

Ce réseau de relations établies est définit par :

1. Les femmes médinoises sont contradictoires par rapport à Habiba, la migrante ; aussi bien que leur statut social élevé, et contradictoire par rapport à celui, précaire de Habiba.

2. Habiba entretient une relation de contrariété avec l’élévation sociale car elle est négligée, aussi bien que les femmes médinoises avec la négligence car elles sont socialement élevées.

3. Le statut de la migrante Habibaimplique la négligence tandis que le statut social élevé implique les femmes médinoises.

Cette brève illustration de la signification à travers le carré sémiotique nous semble fortement avantageuse. En fait, si la catégorie est en quelque sorte « répartie » en plusieurs sous-catégories spécialement articulées sur un réseau de relations, il serait possible d’envisager des sous-catégories (aussi bien sémantiques que syntaxiques communes), si c’’est le cas, il serait non vide d’intérêt de voir comment ces catégories se manifestent dans les trois sous-genres narratifs : fiction, autofiction et autobiographie, illustrés respectivement dans « Loin de Médine », « Vaste est la prison » et « Nulle part dans la maison de mon père ».

Nous tenterons à présent d’appliquer le carré sémiotique sur les trois ouvrages d’Assia Djebar. Soit :

Figure 24: Carré sémiotique schématisant la mise en fiction de l’écriture djebarienne

Le projet d’écriture d’Assia Djebar tourne autour de la thématique d’écriture vacillant entre « l’écriture de Soi » et « l’écriture des Autres », comme deux macro-catégories à partir desquelles s’e déploient et s’organisent d’autres sous-catégories « Création artistique » « Féminité », « Histoire », « Vérité »…etc.

Trois possibilités sont retenues :

1. Si Assia Djebar produit une fiction artistique, ceci n’indique pas qu’elle ne produirait pas de fiction artistique. Elle peut inventer l’artistique en habillant le réel de détails imaginaires : c’est le cas de l’écriture de l’ouvrage fictionnel : « Loin de Médine ».

2. Si Assia Djebar fait un témoignage historique, ceci n’indique pas qu’elle ne ferait pas de témoignage historique : elle peut faire un témoignage historique tout en donnant aux données imaginaires une allure de réel : c’est le cas de l’écriture de l’ouvrage autofictionnel « Vaste est la prison ».

3. Le troisième cas de figure, n’est pas envisageable à travers les relations de contradiction et de contrariété. En effet, est-il possible d’écrire une fiction artistique tout en la qualifiant de témoignage historique ? dans ce cas, nous revenons à la partie théorique où nous avons clairement démontré que les autobiographies ne peuvent pas être « sincères »,

c’est-à-dire que l’auteur peut se soumettre au pacte autobiographique tel qu’il est décrit par Philippe Lejeune tout en présentant des propos non-vrais (qu’ils soient imaginaires ou mensongers). Soit :

Figure 25: Carré sémiotique schématisant la relation féminine des Hadiths

À partir de ce carré, les actants féminins musulmanes : Aicha, Fatima, Isma bent Abou Bekr, Isma bentOmaïs, et Oum Harem affichent un mécontentement sur la chaine masculins des « dits » du prophète, ce qui présuppose la relation, non seulement complétive mais également révoltée, étant donné que la relation des hadiths est doublement assignée à un devoir ne pas faire (interdiction) pour l’actant féminin, et à un devoir faire (obligation) pour l’actant masculin.

Pour « Vaste est la prison », le récit est présenté comme suit :

La narratrice se trouve comme un vecteur commun entre (S1) et (S2), car c’est Isma, la narratrice du récit qui est en effet, le sujet opérateur de la narration (relation des évènements), tout en étant un objet de la narration : Isma est une femme d’aujourd’hui (relation de syllogisme).

Par contre, pour « Nulle part dans la maison de mon père », on aura la représentation logique suivante :

Figure 27:Carré sémiotique schématisant la narration dans « Nulle part dans la maison de mon père »

Dans ce cas du récit intimiste où l’identité de l’auteur correspond à celle de l’actant principal et à l’instance narrative, le projet d’écriture de soi « roman autobiographique » se trouve pourtant parsemé d’interdictions, où plus précisément d’auto-interdictions. Contrairement aux récits fictionnels et autofictionnels où la modalité aléthique du « devoir » est inexistante.

En synthèse, nous pouvons déduire deux points essentiels communs entre les trois types de carrés sémiotiques recensés :

(i) La catégorie « écriture » n’est pas seulement un « programme » à accomplir, mais une catégorie en voie d’actualisation.

(ii) L’actant principal est féminin.

On se demande à présent si la signification du féminisme dans l’écriture d’Assia Djebar peut affecter la question du genre.

III.4. Acteurs (ices)/ actant (s):

Après avoir analysé le rôle du binarisme dans l’organisation d’ensemble de l’univers sémantique des trois récits d’Assia Djebar, nous avons recensé la catégorie « féminité » vs « masculinité » comme macro-catégorie sémantique autour de laquelle les trois récits sont fondés. Or, la « masculinité » qui s’oppose à la « féminité » tente de l’opprimer ; comment donc se manifesterait-elle sur le niveau de la surface dans les trois types de récits ? On parle à présent du rôle des « acteurs » qui, à partir d’une première lecture ne nous laisse pas indifférents quant à la relation qu’ils entretiennent avec les sous-genres : fiction, autofiction et autobiographie.