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I. 1.4.2 .Fiction ou non-fiction

I.2.2. Fiction et dédoublement des mondes

L’univers fictif est un monde qui imite le monde réel. Ainsi, il peut être considéré comme le reflet, l’écho de ce dernier dans la mesure où il vit dépendamment de lui. Cet appui concerne nécessairement les êtres, la logique, les raisonnements, la doxa et même les lois causales. Thomas Pavel (1986) appelle ce phénomène « les structures saillantes » (P.76). Ce sont des structures qui caractérisent essentiellement l’univers sémantique fictif, secondaire et lui procurent une dimension novatrice qui contredit le monde réel imité. Ceci dit, la poésie surréaliste est un exemple très adéquat pour légitimer ces propos. De ce fait, la fiction est un univers sémantique, ontologiquement novateur. Toute fiction est délimitée par des frontières étant donné que l’œuvre fictionnelle n’est pas immuable et résolue. Or, du point de vue historique, elle est fortement variable : un lecteur de mythes leur attribue le caractère fictionnel car les objets et les êtres décrits ne sont pas concevables pour ce lecteur moderne. Un deuxième critère qui justifie la diversité des mondes fictionnels serait leur la possibilité de les interpréter à travers les indices paratextuels.

Les mondes fictionnels sont incomplets. Cet effet d’incomplétude est à la fois engendré par ce que l’auteur dit, aussi bien que ce qu’il implique dans ce qu’il dit. Ainsi, il n’évoque pas explicitement certains aspects du monde décrit ; le lecteur peut déduire qu’ils en font partie tout naturellement. Chaque auteur a le choix de mettre l’accent ou non, sur l’aspect incomplet de son œuvre, ce qui est affirmé par Thomas Pavel :

« Pendant les périodes qui goûtent en paix une vision stable du monde, l'incomplétude sera, bien entendu, réduite au minimum. Par des pratiques extensives, d'abord, on fera correspondre à un univers immense, bien déterminé et connaissable dans tous ses détails des textes de plus en plus grands, de mieux en mieux détaillés, comme si la différence du monde au texte n'était que de quantité... (...) En revanche, les époques de transition et

de conflit tendent à maximiser l'incomplétude des textes fictionnels, qui sont désormais censés refléter les traits d'un monde déchiré. » (1998 : 136) Subséquemment, analyser la fiction de manière efficiente tiens lieu de revaloriser le rôle de la pratique énonciative dans la détermination de cette dernière.

I.2.3.1Fiction et genre d’énonciation

La fiction est selon plusieurs théoriciens le résultat d’une énonciation littéraire particulière. Kȁte Hamburger a soutenu cette thèse dans son ouvrage Logique des genres littéraires (1997). Pour elle, il existerait des signes proprement textuels du genre fictionnel, et que ce dernier pourrait être cerné indépendamment des indices extratextuels.

a- Spécificités stylistiques : l’apparence de la vie décrite à travers la fiction se fait à partir du personnage qui « fait semblant de vivre ». Ce n’est qu’à travers la fiction que cette « feinte vie » est racontée et serait mieux décrite par rapport aux autres moyens artistiques : peinture, sculpture…etc. Dans la fiction, des paroles seront représentés. Ce sont des paroles dont l’auteur est double. Il s’agit de : (i) l’auteur proprement dit, (ii) le locuteur de ces paroles (personnage).

Sur le plan énonciatif, on distingue trois indices de la fiction :

1- La troisième personne :

Pénétrer dans l’intériorité du personnage ne peut se faire qu’à travers l’usage de certains verbes qui permettent l’évocation des processus intérieurs des personnages. A partir de cette description, la mutation en monologue intérieur est également possible. De ce fait, il est impossible d’accéder réellement à la pensée intime de quelqu’un et c’est à travers ce constat que cette description relèverait de la fiction par opposition à l’autobiographie où l’auteur nous « confie » ses pensées intimes.

2- Le discours indirect libre :

Dans ce cas, l’énonciation du Je-origine (auteur) est déléguée à des Je-origine-fictifs (les personnages comme locuteurs possibles). Cette délégation énonciative se fait à partir des deux autres déictiques de l’espace et du temps. Dans ce cas, l’usage du « je » ne renvoie pas à la temporalité de l’auteur comme locuteur réel mais à la temporalité du personnage en troisième personne comme locuteur fictif.

3- L’abolition de la signification temporelle du passé :

Dans le genre fictionnel, le passé n’aurait plus pour objectif de remplir sa fonction grammaticale : l’évocation du passé proprement dit. Par contre, le passé aurait pour vertu de présenter un champ fictionnel. Car, quand le lecteur fait son entrée dans la description intérieure des personnages, il n’entre pas dans le passé mais plutôt dans le présent de la conscience fictive du personnage. Comment expliquer donc ces incohérences temporelles dans les récits fictifs ? Dans son ouvrage intitulé Grammaire temporelle des récits (1990), Marcel Villaume tente d’expliquer cette incohérence par la complexité même du système romanesque. En effet, ce dernier dispose de deux fictions qui vont parallèlement : il s’agit de l’histoire représentée et de la narration où le lecteur s’immerge en lisant cette histoire. Le temps est un axe à partir duquel la fiction secondaire la fiction secondaire (le monde où le lecteur se représente) vient se greffer sur la fiction principale (le monde raconté par l’auteur).

Ainsi, selon Marcel Villaume, les marques du présent en relation avec le passé ne reflètent plus l’entrée dans la conscience fictive du personnage mais plutôt, elles permettent l’actualisation de la lecture du texte.

Par ce qui a précédé, les postulats de Käte Hamburger sur l’existence des propriétés intrinsèquement textuels de la fiction expliquent que ces critères stylistiques ne doivent pas forcément être omniprésents dans le texte pour qu’il soit qualifié de fictionnel. Par contre, une seule invasion des pensées d’un personnage

du texte à la focalisation externe aurait suffit pour « fictionnaliser » l’ensemble du texte, même s’il est annoncé (dans le paratexte) comme un témoignage historique.

I.2.3.2. L’artifice fictionnel : la feintise

Beaucoup de textes littéraires que le lecteur a souvent tendance à considérer –tout naturellement- comme fictionnels, ne le sont pas en réalité. Il s’agit à la fois de textes homodiégétiques et hétérodiégétiques. De ce fait, le critère majeur de la fictionnalité d’un texte est remis en question : l’énonciation à la 3ème personne ne garantit pas la fictionnalité du texte.

Cette remarque est justifiée par Käte Hamburger qui classifie les textes fictionnels en deux grandes classes : il s’agit de la véritable fiction, et de la représentation identique à une énonciation qui s’est produite en réalité. Ainsi, même à l’intérieur d’une narration homodiégétique où le narrateur raconte sa propre histoire, il mime en effet une énonciation réelle. La feintise reprend les formes d’énonciation des genres non fictifs (factuels) à l’instar de l’autobiographie, le journal intime, les mémoires …etc. La distinction majeure entre la fiction et la feintise réside dans le fait que la première répond à des critères déterminés (comme nous l’avons cité), car le texte est soit fictif, soit il ne l’est pas, alors que la deuxième reste relative comme il est le cas de la biographie qui peut être graduellement romancée. La feintise ne pourrait être décelée qu’à partir d’éléments paratextuels et/ou extratextuels.