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I. 1.4.2 .Fiction ou non-fiction

I.4. L’autofiction comme décalage référentiel

A la différence de la pensée de Serge Doubrovsky sur l’autofiction comme écart stylistique, Vincent Colonna la définit en termes de mise en fiction de l’expérience vécue, loin de toutes considérations stylistiques. L’autofiction s’apparente au roman à la première personne qui présente un récit factuel, non une histoire imaginaire ; c’est désormais que les frontières traditionnelles entre « fiction » et « réalité » se trouvent abolis. En effet, le récit autofictionnel a l’allure d’un récit

autobiographique qui transgresse l’une des conditions du pacte autobiographique1

par certaines inexactitudes référentielles, ce qui aura des répercussions sur le statut du personnage (s’agit-il d’une personne réelle ?). Il en découle plusieurs types d’autofiction corrélés aux parties transgressées.

a- Le personnage-narrateur ≠ auteur :

Dans certains récits autofictionnels, il pourra y avoir une corrélation entre l’auteur, le narrateur et le personnage seulement au début de l’histoire mais cette corrélation vole en éclats par la suite à travers la nature des évènements racontés. C’est le cas des aventures mythiques ou fabuleuses qui ne sont pas reçus comme littéralement vraies. Ainsi, la fictionnalisation de l’histoire racontée entraine la fictionnalisation du personnage.

Dans un second cas, il pourra y avoir de grandes ressemblances entre l’auteur et son personnage2 et placer le lecteur dans une situation d’inexactitude lorsqu’il modifie délibérément quelques noms de lieux ou paradoxalement créer des lieux imaginaires. Cette technique aura pour effet de transgresser la seconde partie du

1Cf. Infra. Le pacte autobiographique.

22 C’est le cas de Marcel Proust dans « A la recherche du temps perdu » avec le personnage Swann qui lui ressemble dans le parcours vers l’apprentissage du métier d’écriture, la santé fragile, la sensibilité, la quête d’identité…etc.

pacte (la sincérité), puisque le fait de transposer des éléments imaginaires sur une histoire d’allure autobiographique permet d’accentuer l’aspect fictionnel de celle-ci et donc de se défiler de la charge des évènements racontés.

Un troisième cas est également envisageable et dénote l’inexactitude de l’équation lejeunienne du pacte. Dans un récit autofictionnel possédant une apparence autobiographique, bien que le personnage du récit soit porteur du même nom que celui de l’auteur, leur identité n’est pas forcément la même qu’après vérification référentielle. Dans ce cas, ce n’est pas seulement le narrateur ou le personnage qui sont des êtres fictifs mais plutôt l’auteur qui devient une figure.

b- Auteur-personnage ≠ narrateur :

C’est le cas des autobiographies au pluriel, où il n’existe pas une seule instance narrative mais plutôt une narration hétérodiégétique. La mise en fiction touche ici à l’identité du narrateur. Par exemple, un écrivain peut raconter sa vie à l’ombre de la vie d’une autre personne et prétendre ainsi d’écrire « l’autobiographie » de ce personnage à la lumière de l’instance narrative qu’il assure en tant que témoin privilégié. Ainsi, l’autofiction ne touche pas à la véracité des évènements rapportés qui sont authentiques et vrais, mais l’auteur peut inventer un autre narrateur sous la figure de laquelle il se dissimule. Conséquemment, ce qui est fictionnalisé ce n’est pas l’histoire mais plutôt le point de vue, la saisie narrative de l’histoire. La narration dans ce casse fait par une personne très proche du personnage/personne. Un membre de la famille, un conjoint ou une amie intime est censé connaitre des détails assez personnels de la vie de ce personnage. Les indices de la présence de l’auteur, dissimulé derrière cette instance distincte réside dans l’expression des sentiments intérieurs et de la vision de soi qui peut alterner entre surestimation et sous-estimation.

c- Auteur-narrateur ≠ personnage :

Afin d’échapper à la censure et d’atténuer un effet scandaleux qui pourrait avoir lieu à la suite de la publication d’un ouvrage, l’auteur peut procéder à une écriture autobiographique transposée : les évènements sont vrais mais les noms des lieux et des personnages ne le sont pas. C’est le cas des récits qui racontent des secrets familiaux intimes, des violences ou autres.

I.5.Synthèse

Si l’autofiction stylistique se propose d’accentuer la relation avec la réalité, l’autofiction qui touche aux éléments référentiels aura paradoxalement pour tâche d’atténuer cette relation par sa fonction heuristique de départ. D’abord c’est une stratégie d’autocensure qui permet d’atténuer les jugements moraux car l’auteur n’ose pas avouer son nom pour échapper à la critique et choisi de se dissimuler derrière un héros sur lequel il projette toutes ses idées et actions susceptibles de susciter de grandes polémiques. Ceci lui permet de les rendre plus acceptables tout en exprimant réellement, en toute précision les détails et les sentiments éprouvés.

Ensuite, si l’auteur qualifie génériquement son œuvre autofictionnelle de « roman », elle gagnera un statut littéraire étant donné que la fictionnalité serait un critère primordial pour sa littérarité. Ainsi, il procure à son récit une valeur esthétique comparable aux romans fictionnels proprement dits. Par conséquent, l’autofiction référentielle met en échec le genre lorsque la vérité alterne avec un récit fictif qui lui sert de cadre général. La fiction devient un ingrédient de base même dans les récits autobiographiques car si ils se trouvent incapable d’avancer pour une raison ou pour une autre (souvenirs trop lointains, censure, autocensure…etc.), la fiction serait le substitut de la réalité, elle la met à jour, contribue à l’actualiser.

Si l’autofiction est reçue comme un genre hybride ou de « mauvais genre » selon la qualification de Jacques Lecarme (1997), il faut cependant signaler que cela ne la dévalorise pas comme pratique d’écriture. L’autofiction emploie un acte

de parole assez particulier, dépendant fortement de l’acte illocutoire double et contradictoire. Il s’agit d’émettre des assertions feintes, tout en affirmant qu’elles soient vraies, et interdit au lecteur d’y adhérer. La vie possède un caractère relatif et indécidable et le lecteur d’une autofiction ne pourra pas trancher définitivement entre ce qui est fictionnel et ce qui est factuel.