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L’autobiographie aujourd’hui : vogue littéraire ou renouveau du genre

I. 6.2.1.2.Toute autobiographie est-elle romanesque ?

I.7. L’avènement d’une écriture canonisée du soi : l’autobiographie

I.7.4. L’autobiographie aujourd’hui : vogue littéraire ou renouveau du genre

L’autobiographie représente de nos jours un genre littéraire dominant. Si l'on consulte les catalogues d'éditeurs ou si l'on parcourt les rayons de librairies, on s'aperçoit en effet qu'elle occupe une place absolument centrale.

Pour ce fait, il est capital d’élucider les facteurs qui régissent l’écriture de l’intime en contribuant à lui resituer non seulement comme genre d’écriture mais aussi comme réponse immédiate aux besoins de son auteur et aux exigences du lectorat.

Les origines de l’expansion de l’écriture autobiographique sont à la fois nombreux et divers : D’abord, le vingtième siècle représente l’âge d’or de l’autobiographie parce qu’elle s’inscrit dans un temps qui privilégie l’expression de soi avec l’épanouissement de la notion de la personne qui cherche à s’insurger contre les contraintes les plus ardus. Néanmoins, il serait vain de parler de choix du genre autobiographique puisqu’un nombre considérable d’écrivains se trouvent contraints d’écrire sous ce genre. Ils sont doublement ligotés, d’un côté par des raisons qui émanent de leur propre existence, puisque l’autobiographie est destinée

à être lue et jugée par autrui. Cette « anthropologie de l’altérité » pour reprendre l’expression de Todorov, où ce besoin esthétique d’autrui est une prise de conscience que l’être n’a de sens que par autrui et à travers lui :

« Je ne peux me percevoir moi-même dans mon aspect extérieur, sentir qu'il m'englobe et m'exprime... En ce sens, on peut parler du besoin esthétique absolu que l'homme a d'autrui, de cette activité d'autrui qui consiste à voir, retenir, rassembler et unifier, et qui seule peut créer la personnalité extérieurement finie; si autrui ne la crée pas, cette personnalité n'existera pas. » (1981 : 147).

Donc, le lecteur est le seul à juger l’auteur par le pacte autobiographique sous-entendu qui régularise leur relation. De l’autre côté, l’autobiographie est conforme aux conditions sociales. De très nombreux écrivains qui publient leurs autobiographies, évoquent des difficultés d'ordre social. Ils abordent le rejet lié aux réactions racistes, le problème typique des minorités africaines et maghrébines ayant choisi l’émigration pour améliorer leur condition de vie et d’autres sujets épineux d’actualités. On assiste de nos jours à un renouveau d'intérêt pour les autobiographies, en particulier celles qui témoignent d'une expérience interculturelle en relation avec l'immigration, la post-colonie, les racines identitaires, les relations inter générations au sein des familles sédentarisées et/ou immigrantes. Les intellectuels expatriés revendiquent l’égalité entre les races dans la société qui se dit berceau des droits de l’homme et de la liberté de l’expression en récusant les préjugés raciaux qui sont à l’origine de leur aliénation. Citons à cet insu le roman de Hannah Crafts, intitulé « autobiographie d’une esclave » le premier écrit par une esclave ayant réussi à s'échapper. Un spécialiste d'histoire afro-américaine achète le manuscrit, dont il établira l'authenticité après une enquête minutieuse, avant de le remettre au monde en 2006. La narratrice qui a rédigé une autobiographie romancée parsemée de réflexions extraordinaires sur l'esclavage vécu de l’intérieur : « Ce doit être bien étrange de sentir qu'aux yeux de ceux qui sont au-dessus de vous vous êtes à peine humain… que même votre silhouette ne

garantisse pas votre appartenance à cet ordre d'êtres supérieurs dont vous offensez la sensibilité délicate. ». Exhumer un thème pareil serait la preuve de la prépondérance de l’autobiographie comme moyen de véhiculer les valeurs sociales.

D’autres écrivains parlent de difficultés économiques, l’autobiographie est souvent reléguée au rang du livre marketing, concept développé par Janine Bremond. Son ouvrage « L’édition sous influence », décrit l'ampleur de la concentration dans l'édition, l'intégration du livre dans une logique de communication qui se déploie au niveau mondial. Les conditions de création d'une œuvre intellectuelle et les possibilités de la faire connaître sont considérablement altérées :

« Le cœur du livre marketing, c'est la promotion. La promotion met en jeu tout le réseau médiatique sur lequel l'éditeur peut s'appuyer. Mais pour que ce réseau s'exprime, il faut que ceux qui y participent aient quelque chose à dire sur le livre, et pour cela rien ne vaut un sujet polémique susceptible de provoquer un débat sur une question d'ordre général. » ( 2002)

Le lecteur qui se croit libre à choisir le livre qu’il achètera n’est en effet qu’un objet de manipulation par les moyens de promotion. On assistera dans la décennie précédente à la redondance de thèmes réinvestis. La qualité éditoriale est en plus en plus en régression puisqu’elle est conditionnée par la réussite de promotion qui, en focalisant l'attention sur le livre pendant trois mois au moins, déciderait qu’un tel ou tel ouvrage sera un livre à succès. Certes, une autobiographie peut trouver son essor grâce à sa valeur « littéraire », à la singularité de son style ou en témoignant le don de son créateur, mais les sujets abordés sont beaucoup plus à l’origine de cet intérêt commun. Le facteur psychologique semble prendre le dessus par rapport aux autres causes qui poussent les auteurs à s’obstiner dans l’excès de l’autobiographie. Les tiroirs des éditeurs sont pleins de manuscrits de premiers romans qui ne seront jamais publiés, et qui ne sont que le revers d'analyses, de cures ou de thérapies inachevées. L’auteur qui n’avait plus de mots pour se dire ou pour être bien précis une manière de se dire, trouvait dans l’autobiographie un

sauveur en voulant jouir par son récit de sa sortie du désert. Une grande importance est accordée à l’analyste qui devient l’un des principaux personnages du récit. Ces récits qui alternent ente le discours de l’aliénation (l’incompétence du langage à signifier autre chose que les empêchements de la parole), et la distanciation (avec la parodie ou l’ironie), se trouvent confrontés paradoxalement à la réception qui les traite de genre superflue, puisqu’ils insistent sur l’exploration de l’imaginaire au détriment de la valeur esthétique de l’ouvre. Certains auteurs affichent leur révolte à travers le cran d’un langage susceptible de franchir le seuil de la perversion. Indépendamment même des écrivains qui ont produit des autobiographies proprement littéraires, il n'est aujourd'hui aucune personnalité médiatiquement connue dans quelque domaine que se soit, sportif, chanteur, ou acteur qui ne se sente tenue à nous faire part de son enfance et des événements qui ont marqué sa carrière, en publiant le récit de sa vie. Étant donné que, l’autobiographique est une rançon de gloire commune à toutes les célébrités1. Ils se voient offrir par les éditeurs la possibilité de publier la leur; mais à en juger d'après les listes de best-sellers. La pratique deviendra presque systématique. Certes, il serait malaisé de parler d’une autobiographie littéraire, puisque celles des personnes célèbres ne pouvaient pas se classer au rang des œuvres littéraire vus leur médiocrité de style. Naturellement, elles sont destinées en priorité aux admirateurs des signataires. Donc, il ne saurait être légitime de reprocher à des acteurs de ne pas remplir des obligations stylistiques. Ce n'est donc pas en fonction de qualités ou de défauts littéraires que l'on jugera en général une autobiographie d'acteur, mais plutôt selon les critères suivants : vraisemblance de la sincérité annoncée, quantité de détails particulièrement intimes, et surtout habileté plus ou moins développée à masquer l’ego sous une apparente modestie attachante. Se lisant avec délectation, ou avec irritation, l’autobiographie des célébrités ne peut échapper au ridicule que si elle permettra de dépasser l'individu réel pour édifier un moi imaginaire susceptible de procurer un exemple à l'humanité. Par conséquent, on assiste à une pratique

1Thierry Ardisson, animateur et producteur de plusieurs émissions Talk-Shows qui reçoit sur son plateau des écrivains et des stars,fait sortir une autobiographie intitulée Confessions d’un baby-boomer, coécrite avec Philippe Kieffer, 2005, éditions Flammarion.

systématique du genre autobiographique en transcendant le champ proprement littéraire.

Les dernières années, les catalogues des libraires se sont encombrés de multiples genres d’autobiographies. Entre témoignages, mémoires, récit de vie ou journal, les rentrées littéraires des dix années précédentes se sont couronnées par l’attribution des prix littéraires pour ces récits autobiographiques. Celle de 2001 est marquée par « Des phrases Courtès ma chérie » de Pierrette Fleutiaux. Le roman retrace les derniers mois de la mère de l'auteur dans la relation conflictuelle et passionnée mère-fille. Aussi, en 2004, Marie Nimier a obtenu le prix Médicis du roman étranger pour son ouvre « La Reine du Silence » (Gallimard) où elle évoque le vague souvenir qui lui reste de son père décédé dans un accident de voiture, alors que le prix Fémina roman étranger fut attribué à Hugo Hamilton pour « Sang impur » (Phébus) où il narre son enfance dans le Dublin pauvre des années 50 et 60. Le prix RFI témoin du monde fut accordé à Bienvenue en Palestine- Chroniques d’une saison à Ramallah (Actes Sud) de Anne Brunswick où la narratrice raconte comment une journaliste a choisi de voyager en Palestine non pas pour affirmer son objectivité de journaliste mais sa subjectivité d’écrivain. Si on parle du best-seller du groupe Lagardère, Michel Houellebecq semble lui aussi être tenté par l’aventure autobiographique mais déguisée, puisque dans son roman « La possibilité d’une île »1, l’auteur a imprégné son roman de science-fiction en parlant du clonage. Le corps du roman est l’autobiographie de Daniel 1, un humoriste cynique dont le talent est de porter un regard acéré sur sescontemporains. Le clone, n’est pour Michel Houellebecq qu’un outil narratif. Beigbeder de son côté pratique avec agitation l'autobiographie romancée. Il se décrit comme un « grand malade » qui s'exorcise dans ses livres.

L’intérêt renouvelé à la pratique de l’autobiographie est confirmé par la création d’associations et de groupes de recherche sur la démarche autobiographique.

L'Association pour l’Autobiographie et le Patrimoine Autobiographique (APA)1, créée en 1992. Elle réunit des personnes qui aiment tenir leur journal ou composer le récit de leur vie, et des personnes qui aiment lire les textes autobiographiques des autres. L'APA accepte de lire tous les textes autobiographiques inédits qu'on veut bien lui envoyer. Elle en publie des comptes rendus (Le Garde-Mémoire). Elle les conserve et les offre à la lecture dans une bibliothèque publique, celle de la ville d'Ambérieu-en-Bugey (Ain), près de Lyon. Elle organise des groupes de réflexion, des réunions publiques, des journées de rencontre, des expositions.

L’évolution technologique a elle aussi contribué à la propagation du genre autobiographique. En effet, les blogs et les sites littéraires permettront aux internautes de rester branchés sur l’actualité littéraire. Par ailleurs, on assiste, ces dernières années, à l'éclosion d'un nouveau genre autobiographique, lié à la démocratisation de l'Internet : la création de "journaux en ligne", où, selon les adresses, certains livrent aux internautes leurs journaux intimes, au jour le jour, et d'autres invitent les internautes à écrire un journal collectif dans lequel chacun peut réagir à ce qu'a écrit l'autre2.

Par ce qui a précédé, on aboutit à la conclusion suivante : l’autobiographie a réussit à s’imposer aujourd’hui par rapport aux autres genres littéraires pour ne pas dire qu’elle prend le dessus. Néanmoins, certains critiques et auteurs la considèrent comme un genre qui peut agacer ou choquer le lecteur. On observe des dérives d’impudeur et de narcissisme ainsi que les traces d’un exhibitionnisme immoral. Les autobiographies de qualité ne sont d'ailleurs pas légions. Chaque année, des centaines d'autobiographies candidement écrites à la première personne inondent le marché et ils sont souvent des livres à succès vue la célébrité de leurs auteurs. Donc, l’autobiographie a perdu de sa littérarité c’est pourquoi quelques écrivains en

1Son site officiel: sitapa.free.fr est fondé en 1991par Chantal Chaveyriat-Dumoulin et Philippe Lejeune 2C’est l’exemple de ces deux journaux en ligne consultables sur: www.colba.net/~micheles/ (journal intime)www.multimania.com/jic/index.html (journal collectif)

prennent distance. Jacques le Goff lors d’une interview1 se déclara totalement hostile à l’autobiographie :

« C'est une forme imbécile de vanité. Les biographies sont faites pour mentir, alors pensez donc, les autobiographies! ... Non, c'est dégueulasse, une autobiographie... C'est mentir sur soi-même... Je crois d'ailleurs que, parmi les choses qui me rendent le Moyen Age moins coupable et si attractif, il y a le fait que cette époque n'a pas eu la manie de l’autobiographie ! ».

Yasmina Khadra pour sa part se montre moins complaisant pour la culture de l’autobiographie qui n’apporte selon lui que « la culture de l’indécence suicidaire ». L’auteur explique le recours actuel à l’autobiographie comme réponse à deux urgences : D’abord, elle s’inscrit non comme rénovation stylistique pour la littérature mais plutôt comme un leurre pour dissimuler l’incapacité des écrivains d’aujourd’hui d’effleurer l’imagination créatrice.

« …La littérature est en train de régresser, et les écrivains sont de moins en moins inspirés mais de plus en plus contraints de produire. Donc, ils font n'importe quoi. Et la critique étant inconsistante, ou bien carrément complaisante, l'art d'écrire renonce à ses exigences. A défaut d'inventer, on travestit la réalité. On n'écrit plus de romans, on écrit des autobiographies "romancées", c'est-à-dire liftées. ».

En outre, elle est souvent contrainte aux exigences du public. Ce dernier se contente du rôle de « voyeur », dans l’ère des les médias :

« … Le paraître supplante l'être, et le narcissisme s'allie au voyeurisme pour attirer les feux de la rampe. Dans un sens moins docte, nous vivons la mise à nu dans son indécence absolue. Il paraît que désormais, pour intéresser, il faut scandaliser. Alors, on fouille dans les armoires, on racle le fond des tiroirs en quête de secrets à vendre, d'invraisemblances à

négocier, d'intimités à exhiber, bref, plus le linge familial est sale et plus on s'évertue à l'essorer en public. Personne ne s'attarde sur la véracité du récit; c'est le cadet des soucis. Ce que l'on veut, c'est étonner, bluffer, indigner,outrer. Quitte à emprunter les énormités. D'ailleurs, plus c'est énorme, et mieux ça passe »1

I.8. Synthèse

Les opinions se sont multipliées sur la pratique actuelle de l’autobiographie. Ceux qui reconnaissent la primauté du genre en font l’éloge alors que les autres s’obstinent à la réduire en forme égocentrique et impudente. Parler de l’autobiographique aujourd’hui tend à susciter méfiance et mépris. Les écrivains qui ne tombent pas si facilement le masque l’ont choisie pourtant pour des raisons ou d’autres. Toutes ses dimensions font de ce genre qui peut paraître à la portée de tous, un genre difficile à cerner.

L'autobiographie non seulement l'emporte quantitativement sur les autres genres, mais elle tend aussi à les contaminer. De fait, on évalue désormais tout roman à l'aune de sa relation à l'autobiographie. Il semble qu'une fiction gagne un surcroît d'intérêt à pouvoir être envisagée comme une autobiographie déguisée, qu'elle acquière de la sorte un crédit de vérité et, corrélativement, un crédit de valeur. Qu'il se trouve face à un roman ou à un poème, le lecteur cherche invariablement (et symptomatiquement) à en extraire la valeur autobiographique.

L’œuvre djebarienne manifeste cette hétérogénéité dans les trois sous-genres qui constituent notre corpus. Est-il possible d’admettre un point de vue acceptable par une lecture qui se fie aveuglément aux éléments péritextuels éditoriaux ?

I.9. Quels nom (s) pour quel (s) genre(s): cas problématique de l’œuvre