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VERRE FONDU

III.1. Sémantique de la solubilité

Par définition, la solubilité est la propriété que possède une substance à se dissoudre dans un solvant. Une dimension quantitative apparaît implicitement à travers cette définition, ainsi la solubilité désignera une valeur de limite de solubilité dans ce travail. La solubilité thermodynamique d’un élément (un actinide, par exemple) dans un verre est la quantité maximale de cet élément que l’on peut incorporer dans le réseau vitreux pour une température donnée à l’équilibre. En raison de la difficulté à déterminer cette grandeur à haute température, la solubilité est caractérisée à la température ambiante sur un verre trempé afin de figer le système.

Deux méthodes sont couramment utilisées pour la mesurer expérimentalement. La première technique dite par incrémentation consiste à incorporer progressivement l’élément à solubiliser dans le verre homogène jusqu’à l’apparition de phases hétérogènes (cristallisation ou/et démixtion). La limite basse de la solubilité représente la valeur pour laquelle le verre est homogène alors que la limite haute correspond à l’apparition des premières hétérogénéités. La deuxième méthode par saturation consiste à introduire un excès de l’élément considéré dans le verre et à mesurer sa teneur dissoute dans l’échantillon après fusion. Dans ce cas-là, des hétérogénéités sont présentes au sein du verre fondu.

Pour ces deux méthodes (par incrémentation et par saturation), la question de l’atteinte de l’équilibre thermodynamique entre l’espèce à dissoudre et le verre fondu se pose. Le verre fondu étant un matériau visqueux, la durée pour atteindre l’état d’équilibre peut s’avérer parfois assez longue. L’état d’équilibre peut être approché en vérifiant plusieurs hypothèses telles que (Dickenson and Hess, 1981) :

- la solubilité ne varie pas en fonction du temps (ou après refusion à la même température),

- la solubilité est indépendante de la forme du précurseur de l’élément à incorporer, - aucun gradient de composition n’est observé au sein du verre,

- pour une quantité légèrement inférieure à la solubilité, le verre est homogène et pour une quantité légèrement supérieure, le verre contient des hétérogénéités (méthode par incrémentation),

- la solubilité ne change pas selon la quantité introduite en excès de l’élément désiré (méthode par saturation).

Dans certains cas, ces hypothèses sont difficiles à vérifier. Une notion de solubilité conditionnelle ou apparente a donc été introduite pour laquelle le système n’est pas nécessairement à l’équilibre. Cette limite de solubilité, généralement mesurée par la méthode d’incrémentation, dépend des conditions expérimentales dans lesquelles les tests de solubilité ont été réalisés. Autrement dit, cette solubilité conditionnelle dépend des aspects cinétiques de la dissolution de l’élément considéré dans le verre (granulométrie, temps de fusion, protocole expérimental, précurseurs, agitation…). Dans le cadre de la vitrification des actinides, cette solubilité a été très utilisée dans le but de comparer les limites d’incorporation entre les actinides et leurs simulants pour un protocole donné. En revanche, la solubilité conditionnelle ne correspond donc pas nécessairement à la quantité

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maximale de l’élément qu’il est possible à incorporer dans le verre. Par la suite, une attention particulière sera prêtée sur la notion d’atteinte de l’équilibre.

À travers ces deux méthodes, il apparaît que déterminer la solubilité des actinides dans le verre consiste à caractériser l’homogénéité du verre et à déterminer sa composition chimique. Les principales méthodes d’analyse employées sont :

- les techniques microscopiques (microscopie optique, MEB/EDS, MET, sonde électronique WDS) permettant de déterminer la répartition et la distribution des actinides de manière quantitative et de mettre en évidence la présence d’hétérogénéités par l’identification chimiques de ces phases,

- la diffraction des rayons X identifiant les phases cristallines des hétérogénéités.

III.2. Solubilité des simulants des actinides

Les données sur la solubilité du néodyme, de l’hafnium et du cérium dans le verre sont détaillées dans cette partie. Elles concernent essentiellement des verres alumino-borosilicatés.

III.2.1 Solubilité du néodyme

Les formes trivalentes des actinides ont pu être simulées par des éléments de degré d’oxydation III comme le lanthane, le gadolinium et le néodyme (Gasnier et al., 2014; Kidari et al., 2012; Li et al., 2001a; Li et al., 2001b).

Dans ce contexte, la solubilité du néodyme a été principalement étudiée dans des verres borosilicatés élaborés en conditions oxydantes. Ces études montrent une forte solubilité de cet élément dans le verre.

La solubilité conditionnelle du néodyme dans un verre boro-aluminosilicaté augmente avec la température jusqu’à 1200°C (Lopez et al., 2003). Au-delà, la solubilité mesurée tend à se stabiliser et se situe entre 4 et 5 %mol. Nd2O3 pour des températures maximales de 1400°C. Pour des verres à l’équilibre, des valeurs de solubilité supérieures ont été remarquées. Dans un verre boro-aluminosilicaté, la composition du verre et plus précisément le ratio M* (ici M* = Na2O/(Na2O+Al2O3)) modifie la solubilité du néodyme à 1450°C (Li et al., 2004). Dans le domaine peralumineux (M* < 0,5), la solubilité du néodyme diminue avec M* alors que, dans le domaine peralcalin (M* > 0,5), la solubilité du néodyme augmente avec M* (Figure 25). Elle atteint une valeur de 11 %mol. Nd2O3 (soit 40 %mass. Nd2O3) pour un M* supérieur à 0,8. Li et ses collaborateurs déterminent la solubilité du néodyme par la méthode d’incrémentation sur des échantillons de verre trempés et ils estiment que l’équilibre se produit très rapidement pour ces compositions de verre. En revanche, l’environnement local autour du Nd n’est pas beaucoup affecté par le domaine de composition du verre (Bardez et al., 2005; Kidari et al., 2012; Li et al., 2004). Au-dessus de la limite de solubilité, plusieurs hétérogénéités peuvent exister. Des cristaux de silicates de néodyme de type Nd3Si2BO10

(Gasnier et al., 2014) ou sous la forme apatite Na2Nd8(SiO4)6O2 (Li et al., 2004; Lopez et al., 2003) ont été obsevés. Des démixtions sont également susceptibles de se produire pour des fortes concentrations en Nd, de l’ordre de 30 %mass. Nd2O3 (Gasnier et al., 2014; Lopez et al., 2003).

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Figure 25. Solubilité du néodyme à 1450°C dans le système de type SiO2-B2O3-Al2O3-Na2 O-Nd2O3 en fonction de la composition du verre (Li et al., 2004).

Dans un verre boro-aluminosilicaté, le rôle de modificateur de réseau joué par le néodyme semble largement admis (Bardez, 2004; Cachia, 2005; Gasnier, 2013; Kidari et al., 2012; Quintas, 2007). Le néodyme s’insère préférentiellement dans les zones dépolymérisées en s’entourant d’un maximum de NBO.

Ces études soulignent la solubilité élevée du néodyme dans un verre boro-aluminosilicaté sur une large gamme de compositions de verre sans poser de réel problème d’incorporation.

III.2.2 Solubilité de l’hafnium

Les éléments tétravalents des actinides sont parfois simulés par l’hafnium (HfIV). La plupart des études portant sur sa solubilité sont menées sur des verres boro-aluminosilicatés élaborés en conditions oxydantes (sous air et en creuset alumine, zircone ou platine rhodié). Les études de Cachia et Lopez soulignent que la solubilité de l’hafnium augmente avec la température entre 1100°C et 1400°C (Cachia, 2005; Lopez et al., 2003). Ces auteurs mesurent des solubilités conditionnelles relativement basses, de l’ordre 2 %mol. HfO2 à 1400°C par rapport à d’autres études de la littérature (> à 10 %mol. HfO2). Ces dernières montrent que la solubilité thermodynamique de l’hafnium est positivement corrélée à l’excès d’alcalins par rapport à la quantité des unités tétraédriques AlO4- à compenser au sein du réseau vitreux (Davis et al., 2003; Feng et al., 1999; Res et al., 1986). Pour des teneurs élevées en sodium, une solubilité maximale de 14 à 16 %mol. HfO2 est déterminée à 1450°C dans les verres peralcalins.

Par rapport aux verres peralcalins, la solubilité de l’hafnium est plus faible dans les verres peralumineux et le mécanisme semble différent (Davis et al., 2003; Ellison and Hess, 1986). À l’inverse de la silice, les éléments comme le bore et l’alumine tendent à améliorer la solubilité qui est inférieure à 3 %mol. HfO2 dans ce type de verre.

Au-dessus de la limite de solubilité, les hétérogénéités présentes sont généralement des cristaux de HfO2 (Davis et al., 2003; Feng et al., 1999; Res et al., 1986) et occasionnellement des cristaux de HfSiO4 (Ellison and Hess, 1986; Lopez et al., 2003).

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III.2.3 Solubilité du cérium

La solubilité du cérium en tant que simulant du plutonium dans un verre borosilicaté a été largement étudiée dans la littérature (Cachia et al., 2006; Lopez et al., 2003). Ces auteurs observent une importante augmentation de la solubilité conditionnelle du cérium avec la température d’élaboration allant de 0,05 %mol. à 1100°C jusqu’à 3,5 %mol. Ce2O3 à 1400°C. Cette hausse de la solubilité est expliquée par la réduction des espèces CeIV en CeIII avec la température (Pinet et al., 2006). L’ajout d’un agent réducteur, comme du nitrure d’aluminium AlN (Lopez et al., 2003) ou du nitrure de silicium Si3N4 (Cachia et al., 2006), permettant d’obtenir 99% du cérium sous forme CeIII, augmente fortement sa solubilité à une température donnée. À 1400°C, la solubilité conditionnelle du cérium (CeIII) se situe entre 3 et 4 %mol. Ce2O3. Les éléments trivalents du cérium sont ainsi plus solubles dans un verre borosilicaté que les éléments tétravalents.

Dans ces verres, les hétérogénéités observables au-dessus de la limite de solubilité conditionnelle sont de deux types selon les conditions de synthèse. En atmosphère oxydante, la présence d’amas clairs, d’une centaine de microns, composés de petits cristaux cubiques de CeO2 (cérine) de l’ordre du micromètre est signalée. Avec l’ajout d’un agent réducteur, les hétérogénéités se présentent sous la forme d’aiguilles et de couronnes de silicates de cérium. Lors de la mise en solution de fortes concentrations de cérium (10 %mass.

Ce2O3), des séparations de phases peuvent également se produire avec des zones enrichies en cérium dispersées dans une matrice vitreuse appauvrie en cérium.

En conclusion, peu d’études existent sur la solubilité des simulants potentiels des actinides dans des verres aluminosilicatés. Pour l’hafnium, de fortes variations sont constatées entre les solubilités conditionnelles et à l’équilibre dans le verre. Cette différence témoigne sans doute d’une incorporation difficile de l’oxyde d’hafnium dans le verre contrairement au cérium et au néodyme.