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Une sélection des individus sur des critères comportementaux dans un schéma d'acteurs complexe

quelle place ? quelle pertinence pour la formation continue ? Isabelle Borras

3. Une lecture économique des systèmes de formation continue avec certification

3.2. Spécificités des systèmes de formation continue avec certification

3.2.3. Une sélection des individus sur des critères comportementaux dans un schéma d'acteurs complexe

Comment maintenant caractériser le filtrage en formation continue en comparaison des pratiques de sélection en formation initiale ? Il faut pour cela s'intéresser aux procédures de sélection à l'entrée ou en cours de formation continue et aux critères retenus, ainsi qu'aux acteurs impliqués.

Pour ce qui concerne l'accès à une majorité de titres préparés par les demandeurs d'emplois, la sélection à l'entrée est réduite, basée sur le critère de motivation à exercer les métiers préparés, parmi lesquels on trouve les métiers dit en tension, ayant du mal à recruter. L'accès à la formation suit généralement une prescription d'un intermédiaire du marché du travail, conseiller ANPE, mission locale ou Assedic… Les demandeurs d'emplois concernés au premier rang par la valeur de leur titre sur le marché du travail n'ont pas entière liberté de choix de l'organisme de formation : c'est le prescripteur qui finance et « achète » la formation. Dans le cadre des nouvelles politiques de lutte contre le chômage, les dispositifs de formation devraient avoir tendance à être de plus en plus utilisés comme des instruments de contrainte pesant sur les chômeurs, la non-acceptation de proposition d'emploi ou de formation étant susceptible de sanctions à

l'encontre de ces derniers. Les formations destinées à des salariés construites en partenariat avec les branches professionnelles et débouchant sur des CQP s'inscrivent pour leur part dans les stratégies de gestion de la main-d'œuvre des branches.

Dans les deux cas, le critère de tri est l'évaluation de la capacité et de la motivation9 à occuper certains emplois et à évoluer dans l'entreprise ou la branche. Ils remplacent les critères de capacité cognitive à l'œuvre en formation initiale. L'enjeu du tri est de légitimer le fait que certains salariés ou demandeurs d'emplois deviennent moins employables ou inemployables. Un risque existe de tri et de sélection par la formation dont l'enjeu n'est plus la promotion sociale, ni l'accès à un statut social supérieur, mais tout simplement l'accès à l'emploi ou le maintien dans l'emploi. Ceci déplace les enjeux de la certification sur la thématique de l'exclusion.

Pour ce qui concerne les acteurs qui définissent et mettent en œuvre les critères de tri, on observe deux cas de figure. Dans le premier, on se rapproche du modèle de l'autonomie du monde de la formation, la régulation laissant peu de place aux représentants du monde professionnel. C'est le cas de titres préparés par des demandeurs d'emplois. Même s'il y a des ouvertures sur le monde professionnel pour l'Afpa par exemple (consultation en CPC, pédagogie en alternance), il y a autonomie de cet organisme en matière de définition des contenus de formation et de sélection des publics. Pour les organismes privés, le schéma des acteurs se complique. Entrent en jeu les financeurs régionaux et l'État déconcentré qui agrée les organismes de formation. Entrent également en ligne de compte les stratégies de marché des organismes de formation qui les incitent à demander la reconnaissance de leur titre au RNCP. L'inscription au RNCP devient un argument commercial déplaçant la fonction de la certification dans des espaces nouveaux, n'ayant plus à voir avec la question de la valeur sur le marché du travail, mais avec celle de la valeur sur le marché des certifications. Le second cas de figure, le développement des CQP marque une rupture en remettant en cause la régulation autonome traditionnelle : passage du tripartisme au paritarisme. Les CQP « viennent rompre le monopole de l'État sur les certifications nationales après un parcours de formation » (Charraud et al. 1998). Ils reposent en effet sur une régulation qui les rapproche du modèle des logiques de marchés professionnels : ce sont les partenaires sociaux qui font les cahiers des charges des formations, définissent les critères de sélection des publics, achètent les formations auprès d'organismes privés ou publics. L'État n'est plus que faiblement présent, via l'habilitation interministérielle par la CNCP.

Conclusion

Différentes raisons peuvent être invoquées pour justifier le développement des titres post-scolaires : réduction des inégalités d'accès à la certification, développement de signaux pour la mobilité et les transitions sur le marché du travail, mise en place de procédures de sélection de la main-d'œuvre lors des transitions sur le marché du travail, externalisation du coût de signalement et de l'évaluation de la qualité des personnes… Cependant malgré toutes ces bonnes raisons, les modalités de leur développement ne sont pas données a priori. Les titres, les CQP, l'accès par la VAE ouvrent autant de voies ayant des traits communs et prenant de la distance par rapport à la norme du diplôme : importance des compétences spécifiques, procédures de sélection sur la motivation et non les capacités cognitives, valeur localisée des signaux… Alors que les CQP ont tendance à devenir des instruments de gestion de la main-d'œuvre sur des espaces de reconnaissance réduits, les titres délivrés par l'Afpa deviennent des instruments de tri parmi les demandeurs d'emploi. Pour la VAE, il est encore trop tôt pour analyser les usages du dispositif, en lien avec les différentes formes de mobilités possibles.

L'exercice que nous venons de mener pose un premier cadre conceptuel visant à étudier le lien entre les titres post-scolaires et les transitions sur le marché du travail. Il faudrait dépasser le stade de l'analyse et poursuivre la réflexion par des mesures plus précises quantifiant l'offre de certification et ses effets sur les transitions. Une évaluation de l'insertion et de la mobilité professionnelles après l'obtention de titres post-scolaires serait à ce titre pertinente sur le modèle des enquêtes d'insertion en formation initiale. Il reste que la compréhension des logiques économiques prévalant au développement des titres post-scolaires est aujourd'hui compliquée par le contexte de l'inflation des diplômes et de leur dévalorisation sur le marché

9 Il faudrait nuancer notre propos : y compris en formation continue, l'accès à certaines formations nécessite l'évaluation de pré-requis, mais il faut souligner l'importance dans les discours des prescripteurs de ces formations du critère de savoir-être, de motivation, d'implication, d'engagement. Réciproquement, l'accès à certaines formations supérieures n'exclut pas des procédures d'évaluation de la motivation des candidats.

du travail. Alors que la valeur relative des diplômes est vivement interrogée, quelle peut être la portée du développement des titres en formation continue ? Assistera-t-on également à une inflation dans ce champ ajoutant à l'inflation des titres scolaires ? Ou bien à la construction d'espaces disjoints de valorisation des titres post-scolaires avec des règles propres de qualification, de signalisation et de sélection de la main-d'œuvre ?

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Relations entre niveaux de formation, certifications et diplômes