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Niveau de formation, certification et mesures du capital humain

Relations entre niveaux de formation, certifications et diplômes Françoise Dauty

3. Niveau de formation, certification et mesures du capital humain

Le niveau de formation est un élément majeur de la mesure de l'éducation, du capital humain1 et notamment de sa mesure sur le marché du travail. Mais cette notion de niveau renvoie concrètement plusieurs évaluations :

• mesure du nombre d'années d'études, réelles, théoriques ;

• mesures de la durée assimilée au niveau de formation ;

• mesures du niveau de diplôme (le plus élevé) ;

• mesures selon la nature des formations, spécialités, cursus.

Mesurer le capital humain, en tant que facteur de la croissance économique ou en termes de potentiel de productivité individuelle, consiste en théorie à apprécier un ensemble de critères qui contribuent à rendre un individu productif. On fait l'hypothèse que la qualité de la main-d'œuvre, sa productivité, résulte d'une combinaison de connaissances, de compétences et de comportements, ces combinaisons efficaces de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être étant par ailleurs variables dans le temps et dans l'espace.

Pour mesurer ce capital humain des actifs, il existe de multiples indicateurs. Trois méthodes sont couramment employées. L’une consiste à étudier le « coût » de l’acquisition des connaissances, c’est-à-dire le coût de l'enseignement scolaire et de la formation sanctionnés par un diplôme, etc. La seconde approche consiste à tester les compétences des personnes, c'est le rôle de garantie des certifications. Enfin, la troisième examine le statut actuel sur le marché du travail : niveau de rémunération, sécurité de l’emploi, statut professionnel comme substituts de la valeur, sinon du contenu, des connaissances détenues par l'individu sur le marché du travail.

Les mesures directes des acquis sont assez rares et non systématiques, très ciblées. Aussi deux dimensions sont généralement prises en compte comme proxi : la durée des études ou le diplôme le plus élevé obtenu.

Ces indicateurs sont censés résumer de façon approchée le « volume » de connaissances, compétences, comportements qui constitue le capital humain et que l’éducation et la formation ont fourni2.

Dans beaucoup de travaux, seule la dimension volume est prise en compte, la notion de contenu de la formation, de spécialité n'est pas considérée. Cependant la durée exprimée en termes de niveaux de formation est communément associée à des caractéristiques de contenu, notamment on considère que plus le niveau s'élève plus la capacité d'adaptation ou la capacité d'apprendre augmente.

1 Si l'on admet une définition assez large du capital humain comme « l'ensemble des capacités, connaissances et compétences qu’une personne acquiert au cours de la vie par l’éducation, la formation et l'expérience et qui améliore sa productivité sur le marché du travail ».

2 Dans le même ordre de simplification, la durée en emploi est assimilée à l'expérience professionnelle.

Les diplômes ou assimilés, en tant que « certificats » contiennent a priori une information supplémentaire.

Jusqu’à présent, parce que visiblement ce postulat est en train de changer, un diplôme sanctionne, notamment en formation initiale, un cursus de formation. Le diplôme est donc caractérisé à la fois par un niveau de formation, par une spécialité ou discipline et d’autres caractéristiques liées à la filière, la nature de l'organisme formateur (école, université, CCI…), de la formation (apprentissage ou non). On peut ainsi considérer que le diplôme synthétise un certain nombre d’acquisitions de connaissances, mais aussi, des comportements et des savoir-faire et que ces « qualités » sont garanties par l'État.

En effet, l'intérêt de la certification au regard de la seule information sur la formation (pour des économistes ?) réside dans l'amélioration de l’information, la réduction des incertitudes et la garantie des qualités, autant de caractéristiques qui renvoient à des baisses de coûts de transactions.

Choisir la durée des études plutôt que le diplôme le plus élevé, ce qui semble alors a priori une approximation plus précise du bagage possédé, présente cependant des intérêts.

La durée de formation est une référence ancienne (au départ notamment les CAP = 3ans), elle permet des comparaisons sur long terme et entre pays3. Elle fait écho aussi (et ce n'est pas un hasard si la nomenclature de 1969 résulte des travaux des années 1960), aux théories du capital humain. Le nombre d'années d'études s'inscrit bien dans ce courant de pensée et une logique de rentabilité de ce capital fonction du nombre d'années étudiées.

La durée de formation renvoie également à une conception assez largement partagée de la « qualification » et de la hiérarchie des emplois selon laquelle les capacités professionnelles s'acquièrent et que cette acquisition prend du temps (soit de durée de formation soit de durée d'expérience professionnelle), qu'un emploi est d'autant plus qualifié que pour l'exercer il faut un « apprentissage » long et difficile.

Les réserves liées à cette mesure relèvent de registres différents.

• Les premières sont « techniques »

La durée d’études dépend aussi de l’importance des redoublements, les années redoublées permettraient finalement au mieux, d’acquérir à peu près les mêmes compétences en un an de plus. Le lien entre compétences et durée d’études s’en trouve distendu.

L'incertitude sur l'unité de mesure de cette durée : que faut-il considérer ? les années ou les heures ? Dans le cadre des homologations cette question a été largement débattue (exemple des critères utilisés par la commission des titres d’ingénieur, un des critères extrêmement fort d’accréditation des établissements pour délivrer un diplôme d’ingénieur étant basé sur la durée, le nombre d’heures de formation délivrée).

Les « temps de formation » sont-ils équivalents entre formation formelle et stage pratique ? Est-ce que c'est bien le nombre d'années qui compte ? Il y a des formations qui se déroulent sur trois ans et sont reconnues à bac+2 : est-ce qu'on prend en compte le temps des stages (exp. des discussions sur le travail social), à l'inverse certaines formations de DUT se prévalaient d'un équivalent bac+3 car elles étaient denses.

• Les secondes sont plus fondamentales :elles renvoient aux présupposés, aux conceptions implicites que cache cette valeur attribuée à la durée. Et plus encore à une hiérarchie des niveaux de formation (et de certification) qui repose sur des durées (de formation).

L'idée que la « durée » est une bonne approximation du « niveau » relève d'une conception de la formation comme « un apprentissage progressif, ordonné et cumulatif ». La hiérarchie des niveaux repose sur la notion de pré-requis, un niveau étant nécessaire pour acquérir le suivant. Or ce schéma bien ordonné n'est pas unique, il peut exister d'autres voies d'apprentissage, des raccourcis, etc. Cette conception a d'ailleurs été mise en cause bien avant la VAE, par les pédagogies d’adulte montrant que le cheminement dans le corpus ordonné du savoir n’est pas la seule voie d’apprentissage, que des courts-circuits existent…

En dehors de cette accumulation par compilation de savoirs ou expérience, on constate également que les niveaux tels qu'ils sont définis par durée, constituent des marches de hauteur différentes.

3 À noter que dans les sociétés (pays ou époques) où le niveau de formation est faible, la durée ou l'âge sont de bons indicateurs. Ils deviennent plus « grossiers » dès lors que l'on est dans des sociétés où la majorité des actifs sont largement formés

L'autre présupposé est l’idée que les temps d’acquisition sont les mêmes pour tout le monde, ce qui résiste mal à l'expérience. Il n’est pas évident non plus que selon les disciplines, les temps d’acquisition soient comparables… ni que selon les professions, les secteurs, les temps d’apprentissage, les degrés d’expertise requis soient les mêmes pour une même catégorie d’emploi.

• Problème plus général : qu'en est-il lorsqu'on déconnecte la formation de la certification ?

La durée est un organisateur des cursus de formation initiale, on peut donc admettre une approximation durée/niveau, mais qu'en est-il de la formation continue, des titres homologués et plus largement quel sens peut-elle avoir dès lors que l'on dissocie certification et formation ?

Pour la certification, l'organisme se réfère aux fonctions ciblées par la certification qu'il délivre pour repérer le niveau auquel il se rattache. Et il est précisé : « Attention ce niveau n'est en aucun cas déterminé par référence à la durée de formation pouvant conduire à la certification concernée » (Document CNCP 2002).

De fait, ce qui compterait dans le repère niveau de formation/durée c'est une durée standard, théorique de la formation menant au diplôme repère du niveau ? On peut dans cette optique considérer que la durée est

« la moins mauvaise mesure », est utile comme référence (norme) même si elle ne reflète pas la réalité de la construction des connaissances ou de l'expérience.

Reste une question : la formation indépendamment du titre obtenu, de la certification et notamment dans le cas où diplôme n'a pas été obtenu, a-t-elle une valeur ? La réponse apparaît largement positive. Un des avantages à prendre comme référence la durée (et donc le niveau de formation de la NNF) est de tenir compte des années de formation non sanctionnées par un diplôme. Or ces années, par exemple avoir préparé un CAP ou un BEP, avoir suivi un apprentissage sans avoir été reçu à l'examen ou bien avoir été quelques années à l’université sans être reçu au DEUG, apportent en fait des compétences spécifiques. Il n'est sûrement pas équivalent de sortir sans aucune formation ou d'avoir suivi un cycle de formation et d'avoir échoué à l'examen. Il est sûrement différent d'avoir échoué au bac pro ou d'avoir eu un bac général et d'avoir échoué au BTS…

Lorsque l'on mesure des « performances d'insertion » de jeunes sur le marché du travail, on observe qu'une année de formation non sanctionnée par un diplôme rapporte moins que si elle avait été sanctionnée par le diplôme, mais qu'elle rapporte quelque chose (cf. 4). Ne tenir compte que des diplômes pour approcher le capital humain ignorerait ce phénomène, que le choix de la durée des études permet de bien prendre en compte.

Notons que le niveau de formation n'est pas un indicateur « pur » de la durée puisqu'il regroupe des formations de durées différentes mais que par contre il pose bien le problème des formations non certifiées.

L'intérêt de prendre en compte les diplômes serait d'avoir une information plus homogène (tous les individus ont satisfait aux épreuves de la certification) et d'avoir des informations concentrées dans le titre du diplôme, sa classification en niveau apportant les informations sur l'importance des études, et la position par rapport aux catégories d'emploi.

Un bémol à cette « harmonisation » de l'information, les diplômes (certifications) sont très divers au sein d'un même niveau. Si la durée s'inscrit assez largement dans les théories du capital humain, le diplôme renverrait plutôt aux théories du signal et du filtre, qui s’intéressent aux mécanismes révélateurs d’aptitudes.

L’intérêt de cette approche du signal c’est qu’elle permet de rendre compte de la fonction de sélection sur le marché du travail. Mais par contre, l’hypothèse qu’il y a derrière, c’est que le système éducatif n’est pas considéré pour son apport de compétences, mais pour son rôle de sélection. Dans l’approche du « filtre » on ne considère pas que l’enseignement apporte des compétences, des capacités ou des savoirs, mais uniquement qu’il sert à révéler des aptitudes. D’où la notion de « filtre productif » (Dupray 2000), qui croise les deux .On considère alors que le diplôme a une valeur en tant que « résumé du capital humain lié à la formation » et en tant qu'« indicateur de tri », de position relative du jeune par rapport à sa génération. Le diplôme à la fois identifie des qualités et les filtres.

L'intérêt de la NNF comme référence des certifications serait de permettre de mixer ces deux dimensions. Si on croise donc le « capital humain » et la théorie du filtre, on estimera que la valeur d’une formation va dépendre à la fois du niveau de formation atteint et de la sélectivité (que l’on peut évaluer comme la valeur moyenne des aptitudes des candidats sélectionnés). Introduire cette dimension de sélectivité c’est améliorer l'homogénéité du classement d’une part, et d’autre part prendre en compte la production des diplômes d’une génération

Les niveaux de formation et les certifications sont des repères. En tant que tels, leur valeur sur le marché du travail apporte des informations sur ce qu'ils signalent. Quelques résultats extraits des travaux sur l'accès des jeunes à l'emploi permettent de préciser ces liens entre niveaux de formation et certification.