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L’exemple de la Commission technique d’homologation Patrick Veneau, Dominique Maillard, Emmanuel Sulzer

4. La certification ou les limites d’un changement de modèle global

4.2. La formation, repère et valeur

Si dans les années 1990 la perspective de la CTH change, le terme de formation n’a pas disparu du vocabulaire des membres et elle constitue toujours un registre conséquent. Particulièrement manifeste lors de certaines décisions (refus ou « reclassement » 27 des titres), le recours à ce registre représentait encore en 1999 plus de 40 % du premier argument fondant le refus.

Autre exemple, parmi des dizaines d’avis que nous aurions pu prendre pour illustrer le maintien de ce registre, le libellé d’un avis relatif à un titre de niveau II en septembre 1998, c’est-à-dire à une époque où la CTH traite la question des CQPM : « Ce cycle d’étude d’une durée égale à 290 heures s’apparente beaucoup plus à un séminaire ayant pour objectif la valorisation d’axes de progrès dans le cadre de l’architecture d’un projet personnel, qu’à une formation débouchant sur un emploi réel et bien défini. Dans cette hypothèse, ce cycle de formation relève-t-il bien de l’homologation ? »

Bref, même à la fin des années 1990, le registre de la formation est loin d’être tombé en désuétude.

Précisons d’abord que les membres de la CTH n’adhèrent pas tous et de manière complète à cette logique.

Pour certains d’entre eux, elle semble avoir un statut d’extériorité avec laquelle il faut composer. Cette logique peut heurter les valeurs, les convictions, de bon nombre de membres de la CTH dont certains ont fait une bonne part de leur carrière professionnelle dans l’éducation ou dans la formation, parfois même comme enseignant. Les limites de la logique de la certification sont d’ailleurs perçues par les membres de la commission, y compris ceux qui n’y sont a priori pas opposés : « On était parti sur le modèle anglais, mais ce n’est pas du tout le même type de construction en France. Donc la validation des acquis… peut-être qu’on va revenir à quelque chose de plus raisonnable au regard de notre histoire. C’est-à-dire que la validation n’est pas complètement indépendante de la façon dont on l’a acquise. Ce n’est pas quelque chose de complètement indépendant, moi je n’y crois pas » (représentant de ministère).

Ces réticences poussent bien évidemment au maintien du registre de la formation et d’autant plus, rappelons-le, que les demandes émanent d’organismes de formation dont certains sont en quête de reconnaissance. Comment se détourner de cette fonction de tri et, indirectement, de « labellisation » des organismes privés alors qu’aucune autre instance ne la prend en charge ? Et en vertu de cette fonction implicite, comment faire l’impasse sur les contenus mais aussi les moyens matériels, le personnel enseignant… ? Ce d’autant plus que dans ce travail d’examen et de jugement la formation et les critères qui lui sont associés se révèlent pratiques, voire plus fiables que beaucoup d’autres... De ce point de vue les propos de prime abord iconoclastes d’un ancien rapporteur général ne le sont, en définitive, pas tant que cela : « Moi j’étais favorable à un mixte des deux [« qualification visée »/emploi d’une part et formation d’autre part] et je continue à prétendre que ce n’est pas… ça c’est mission impossible. Alors on croit que…

mais on fait mal. Et qu’est-ce qu’on fait ? On revient au niveau et quand on revient au niveau c’est quoi ? C’est du niveau de formation. On a beau dire tout ce qu’on veut, on se cache derrière son petit doigt, on revient au niveau de formation de l’EN parce que ce sont des niveaux qui existent. Alors on dit, non nous ce n’est pas pareil. Mais c’est pareil. On se raconte des histoires. »

Conclusion

La catégorie de la certification est emblématique d’un nouveau mode d’appréhension des relations entre l’espace de la formation et celui de l’emploi. Son émergence au sein de la CTH trouve des conditions favorables au moment où « l’emploi » devient l’enjeu et la priorité essentielle du parcours, processus de formation. Certes, la formation conserve un caractère incontournable dans l’homologation mais elle est instrumentalisée dans la perspective de l’emploi. Cette manière de considérer l’homologation – qui a constitué un tournant important pour la commission au regard de ses pratiques de la décennie 1970 et d’une bonne partie des années 80 – s’est construit en modèle consensuel. Cette « quasi-doctrine » a pu être d’autant mieux acceptée que les caractéristiques des demandes se transformaient et que le souci de la qualité des formations était justement congruent avec l’ambition d’homologuer des titres « utiles » pour l’emploi des individus qui les détiendraient.

Dans cette évolution, l’appropriation par les membres de la commission de la notion de compétence et d’outils qui lui sont associés, les référentiels, a constitué une phase décisive dans le processus qui inscrit l’homologation dans la perspective de la certification. Parce qu’elle se démarque de l’idée de savoirs

27 C’est-à-dire de titres dont le niveau attribué était différent de celui demandé par l’organisme.

progressivement acquis, l’acception de « la compétence professionnelle » tend à minorer les aspects de formation et d’éducation, en particulier celui des connaissances transmises et acquises dans le cadre d’un enseignement formalisé. Dans une telle optique, la valeur d’un titre doit désormais être mesurée à l’aune d’un référent professionnel dont la traduction en termes de compétences détermine et conditionne les modalités d’évaluation indépendamment des parcours de formation suivis. Dans cette nouvelle acception de l’homologation, il s’agit moins de vérifier la cohérence et la pertinence de programmes de connaissances mais plutôt de juger de la pertinence d’un dispositif d’évaluation de compétences requises pour l’exercice d’un emploi déterminé. On aboutit ainsi à une autonomisation et finalement à la centralité de l’acte d’évaluation et de validation par rapport au processus de formation, ce que subsume le terme de

« certification ».

L’émergence et l’adoption de la catégorie de certification telle que l’avons analysée au sein de la CTH permet de révéler les significations et les enjeux sous-jacents que l’usage banalisé de cette notion tend à masquer. L’usage de la catégorie de certification suppose implicitement une adhésion à une lecture des relations entre emploi et formation à l’aune des compétences et à entériner la rupture du lien traditionnellement établi entre éducation, formation, diplôme et qualification. En ce sens, la diffusion et le devenir de cette catégorie est porteuse d’enjeux sociaux, que ne révèle pas d’emblée son acception anodine.

Pour autant, l’analyse du fonctionnement de la commission montre aussi les limites de la capacité de changement introduite par cette catégorie. Si le terme semble s’imposer dans le discours et accepté comme un objectif idéal pour l’homologation, la pratique de jugement ne peut – le plus souvent – s’affranchir d’un système de critères construits à partir de la formation. De ce point de vue, la rupture paraît inachevée en dépit de la conversion à la perspective de l’emploi et de l’introduction de nouveaux registres pour le travail d’homologation. La composition de la commission et l’attachement de ses membres à la formation comme source de la valeur du titre suffit-elle à rendre compte de la permanence des critères associés à la formation ? La contrainte faite à la commission de produire des jugements sur la valeur des titres n’imposait-elle pas à ses membres – quels qu’ils aient été – de s’appuyer sur des éléments tangibles, systématiquement disponibles et fondés sur une base cognitive commune, à savoir la formation et le descriptif des cursus auxquels ils se rapportent ?

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ANNEXE

LA COMMISSION TECHNIQUE DHOMOLOGATION (CTH)

Instituée dans son principe par la loi de 1971 sur l’enseignement technologique, la Commission technique d’homologation est régie par les décrets successifs de 1972, 1977 et 1992 et a laissé la place à la Commission nationale de la certification professionnelle, cette dernière ayant été créée officiellement le 17 janvier 2002 par la loi de modernisation sociale.

Son objet est « l’inscription sur une liste établie sous l’autorité du Premier Ministre des titres et diplômes de l’enseignement technologique, par niveaux, d’une part, par métiers, groupes de métiers ou types de formations, d’autre part ». Les titres sont homologués pour une durée de trois ans renouvelable.

Sa composition initiale (associant des représentants des ministères à des personnalités qualifiées) s’est élargie au fil du temps. Les organisations syndicales de salariés et d’employeurs, les représentants des chambres consulaires ainsi que la Fédération de l’Éducation nationale voient leur présence officialisée par le décret de 1992.

La procédure d’homologation repose sur deux étapes successives, la saisine et l’examen. La CTH ne peut être saisie que par un organisme officiel, c’est-à-dire le ministère concerné dans le cas d’un titre proposé par celui-ci, le préfet de région ou le président du conseil régional dans les autres cas. L’instruction proprement dite repose sur le rapport d’un expert extérieur (qui enquête auprès de l’organisme), présenté devant la commission, qui entend ensuite l’avis du COREF (comité régional de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l’emploi, dans le cas d’une saisine régionale) et auditionne les représentants de l’organisme demandeur. Après débat et décision de la commission, le secrétariat transmet un avis (défavorable ou favorable à l’homologation, précisant le niveau et le code de la spécialité du titre) au ministre chargé du Travail qui signe – par délégation du Premier Ministre – l’arrêté d’homologation.

Les analyses présentées dans cette contribution reprennent en partie les résultats d’une étude portant sur la CTH, l’homologation et son évolution depuis 1973 (Veneau, Maillard et Sulzer 2005). Ce travail repose sur une pluralité de sources et de matériaux. L’analyse de l’évolution de l’offre a été conduite à partir d’un échantillon représentatif de l’ensemble des dossiers de première demande d’homologation. L’étude des débats internes à la commission, en vue de saisir et d’interpréter les modalités de l’homologation et les pratiques de classement, repose sur des sources d’archives, des comptes rendus des séances. Plus d’une vingtaine d’entretiens a été réalisée de manière complémentaire avec d’anciens membres de la commission représentant la diversité de sa composition.

Européanisation de la certification