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Lisbonne, la MOC 15 et les objectifs Éducation Formation 2010

Annie Bouder

1. Retour sur histoire 2

1.5. Lisbonne, la MOC 15 et les objectifs Éducation Formation 2010

Pourtant, une nouvelle étape qualitativement significative est de nouveau franchie en mars 2000 lors du Conseil européen de Lisbonne. À partir de cette date les initiatives communautaires se multiplient dans le champ de l’éducation, de la formation et un peu plus tard de la certification. La chronologie se doit de devenir plus « resserrée ».

Au nom d’un nouvel objectif stratégique fixé à Lisbonne (« devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale »16) on attribue à l’éducation et à la formation une mission clé : « S’adapter tant aux besoins de la société de la connaissance qu’à la nécessité de relever le niveau d’emploi et d’en améliorer la qualité »17. Trois axes sont fixés, dont l’un consiste à améliorer la transparence des qualifications.

À la suite de ces orientations, la Commission est priée de présenter des propositions déclinant les objectifs futurs d’éducation et de formation ainsi qu’un programme de travail permettant de les atteindre. Ces propositions seront adoptées par le Conseil européen de Barcelone en 2002, de même que le programme plus détaillé baptisé « Éducation et Formation 2010 ». Son sous-titre est d’importance : « Systèmes différents, objectifs partagés » car il fait la transition avec un nouveau mode de gouvernance européenne – la méthode ouverte de coordination (la MOC) – explicitée à Lisbonne et schématisée comme suit :

14 Développés par l’UNESCO et le Conseil de l’Europe.

15 Méthode ouverte de coordination.

16 Conclusions de la Présidence, point 5.

17 Idem, point 25.

Schéma 1

LA MÉTHODE OUVERTE DE COORDINATION

Cette méthode a pour ambition de pouvoir dépasser les différences nationales et sociétales grâce à la fixation de lignes directrices et d’objectifs communs que chacun s’engage à atteindre. Les objectifs sont assortis d’indicateurs et d’un calendrier communautaire, chaque État membre s’engageant à prendre les mesures nationales ou régionales nécessaires à la réalisation du projet commun ; chacun à sa manière pour autant que l’objectif commun soit atteint. Un processus d’évaluation, de suivi, d’examen « par les pairs » (peer review) permet de réajuster éventuellement les lignes directrices et les objectifs. « Cet échange d’information mutuel sur la base de dénominateurs communs est censé contribuer à une convergence progressive des États dans les domaines concernés par l’expérimentation » (Georgopoulos 2005, p. 3).

Cette nouvelle méthode de gouvernance conjointe contraste à la fois de l’approche juridique par les directives dite approche communautaire, et de l’approche par le principe de la subsidiarité. Au départ, elle ne contient ni éléments contraignants ni procédures ; uniquement la volonté des États de définir leurs objectifs conjoints. Cependant, la pression mise sur les partenaires est forte, par l’intermédiaire des indicateurs et du benchmarking qu’ils suscitent, du calendrier à respecter et de l’examen par les pairs. Et pourtant, il n’existe aucune sanction à proprement parler, ce qui contraste fortement de la méthode communautaire.

Dans un premier temps, la MOC est synonyme de redistribution des équilibres institutionnels. « Comme la MOC repose largement sur une action renforcée des États membres, les prérogatives des institutions supranationales semblent rétrograder. […] Dans le cadre de la MOC […] la Commission n’est pas le moteur de l’intégration. Le centre de gravité est déplacé vers le Conseil européen18, instance hautement politique.

[…] La MOC promet, en effet, une application nettement plus orthodoxe du principe de subsidiarité. Sans procéder à une nouvelle répartition des compétences entre l’Union et ses États membres, le rôle protagoniste appartient aux États membres. […] La MOC se distingue (aussi) nettement de la méthode communautaire. Cette dernière est basée sur les enseignements du positivisme juridique et la régulation par la norme juridique. […] La norme juridique est remplacée par l’orientation politique, et la fixation de standards plus ou moins rigides par l’expérimentation, l’évaluation et la connaissance. […] Dans ces conditions, on peut affirmer que la MOC constitue une forme de “soft law” […]. Ce n’est sûrement pas un hasard si ces modes de régulation alternatifs apparaissent dans des domaines où il est particulièrement difficile de convaincre les États membres à renoncer à leur compétence en faveur d’une compétence

18 Conseil des chefs d’État et de gouvernement.

communautaire, tandis que la convergence des politiques nationales s’avère indispensable pour l’avancement de l’intégration européenne » (ibid. p. 6, 10 et 12).

Parmi ces derniers domaines, se trouvent la formation professionnelle et l’éducation. Le programme

« Education et Formation 2010 » fixait une liste de 13 objectifs opérationnels, que huit puis douze groupes de travail sont chargés de concrétiser et d’aider à se réaliser19. Une série d’indicateurs accompagne la liste.

En mars 2002, la certification à proprement parler ne fait encore l’objet ni des objectifs ni des indicateurs dits « de Lisbonne ». Pour ce qui concerne l’enseignement supérieur, nous y revenons plus loin.

Mais aux yeux de certains20, l’enseignement et la formation professionnels n’étaient que trop peu pris en compte dans les rapprochements qui étaient à l’œuvre. Ils se sont donc attelés à leur accorder une attention plus particulière. Et de fait c’est par ce biais que la certification va entrer au cœur des débats.

1.6. « L’échappée » de la formation professionnelle

C’est de manière relativement indépendante que les directeurs généraux de la formation professionnelle lancent à Bruges en novembre 2001 une réflexion sur la manière dont enseignement et formation professionnels pourraient également profiter d’une coopération plus étroite. Ils mettent en place un groupe de travail qui affine les propositions, celles-ci recevant une validation politique lors du même Conseil européen de Barcelone de mars 2002 qui demande à ce que soient mis en œuvre « des instruments assurant la transparence des diplômes et qualifications (ECTS, suppléments aux diplômes et aux certificats, CV européen) et une coopération plus étroite en matière de diplômes universitaires dans le cadre du processus de Sorbonne-Bologne-Prague avant la réunion de Berlin en 2003 ; il convient de promouvoir des mesures analogues dans le domaine de la formation professionnelle »21. La formation professionnelle est pour la première fois expressément citée à ce niveau politique. À son égard, il n’est encore question à ce stade que d’outils de transparence et d’un mécanisme d’unités de crédit à l’image des ECTS22 dans l’enseignement universitaire (voir ci-dessous).

Le Conseil éducation et formation professionnelle puis le Conseil européen de Copenhague qui suivent, tous deux en novembre 2002, détaillent quatre priorités plus spécifiques fixées aux systèmes d’enseignement et de formation professionnels (EFP) : renforcement de la dimension européenne et de la coopération entre systèmes d’EFP ; transparence, information et orientation ; reconnaissance des compétences et des qualifications ; assurance qualité. Le « processus de Bruges-Copenhague » était né. Dès sa consécration il est placé dans le cadre plus large des objectifs de Lisbonne pour 2010. On parle de la « contribution » de l’EFP aux objectifs Education Formation 2010 : éducation et formation professionnelles tout à la fois « à part » et cependant fondamentales pour l’Europe de la connaissance, qui était restée jusque là relativement généraliste et élitiste.

Dans le cadre de la deuxième et de la troisième des priorités de Copenhague ainsi définies se concrétise très directement la nature de l’intérêt porté à la certification des qualifications : l’une consacre l’Europass (voir plus haut) – c’est-à-dire une approche plutôt portefeuille de compétences ; et l’autre suggère l’idée d’élaborer « des niveaux de référence, des principes communs pour la certification et des mesures communes, y compris un système de transfert de crédits pour l’éducation et la formation professionnelles »23, qui paraît tout de suite plus normative. C’est la première fois qu’est expressément mentionnée comme un objectif politique la recherche de niveaux de référence communs pour l’EFP et ils diffèrent totalement de ceux fixés précédemment, lors de l’étape « Correspondance des qualifications ». Des groupes de travail sont mis en place, dont un s’occupe tout particulièrement d’une éventuelle mise en place d’unités de crédit dans l’EFP (European Credit in Vocational Education and Training – ECVET). L’exemplarité

19 La liste des objectifs stratégiques et des 13 sous-objectifs qui les concrétisent, validée lors du Conseil européen de Barcelone en mars 2002 fait l’objet de l’annexe 2.

20 Signalons à cette occasion le rôle très incitateur joué à cette époque par le ministre délégué à l’Enseignement professionnel français qui tout en mandatant son administration a également lancé en parallèle l’initiative « professionnalisation durable » qui fait l’objet de l’encadré 3.

21 Conclusions de la Présidence, Barcelone les 15 et 16 mars 2002, paragraphe 44. Le surlignage en gras est de l’auteur.

22 European Credit Transfer System – système européen de transfert de crédits.

23 Résolution du Conseil européen visant à promouvoir le renforcement de la coopération européenne en matière d’enseignement et de formation professionnels, du 19 décembre 2002.

des évolutions dans l’enseignement supérieur est mise en avant de manière récurrente. Nous y revenons plus loin.

À ce stade de la rétrospective, celle-ci cesse d’en être une, car depuis 2003 la situation est en constante évolution et les initiatives se mêlent. La proximité des « événements » ne permet pas le recul et elle rend confus leur enchaînement. Ce qui subsistera des projets discutés actuellement doit encore s’avérer.