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Jean-Louis Kirsch

1. Objectifs communautaires et politiques nationales

1.5. Improbables typologies

1.5.1. Des regroupements difficiles à interpréter de façon globale

Compte tenu de ces observations, il était tentant de soumettre les réponses à une analyse des données de type statistique afin de voir si une typologie s’en dégageait. L’application d’une démarche de classification ascendante hiérarchique (Benzecri 1984) a donné des résultats difficiles à interpréter (voir schéma de la classification ascendante hiérarchique). On peut toutefois en tirer deux conclusions :

• les regroupements que l’on invoque traditionnellement, qu’ils relèvent de la proximité géographique, de la dimension sociétale – régulation par le marché du travail comme au Royaume-Uni, corporatiste comme l’Allemagne, scolaire comme la France – ou des modèles de solidarité (pays scandinaves) ne se manifestent pas particulièrement ;

• inversement, apparaissent de nombreux pays isolés, et non des moindres, puisque la Suède et l’Allemagne en font partie.

Il est toujours insatisfaisant de présenter des résultats qui contestent l’existant sans proposer de solution alternative. La tendance est alors de chercher une caution antérieure et l’auteur de ce texte n’a pas échappé à ce réflexe. Dans l’état actuel des choses, on peut signaler qu’une typologie soulevant les mêmes perplexités a été proposée dans le champ de la formation continue par Michel Théry, Patrick Rousset et Christian Zygmunt (2002). Cela semble aller dans le sens de la thèse d’une autonomie relative de la sphère éducative par rapport à l’évolution du système de production, telle que la présentent Bourdieu et Boltanski, et sur laquelle nous reviendrons à la fin de cet article.

Ce constat a conduit à affiner la démarche typologique en regroupant les items de la question 12 selon les différents thèmes qu’ils abordent – décideurs principaux, finalités du système, orientations pédagogiques – de façon à repérer, le cas échéant, de plus convaincantes proximités2.

2 Il n’est pas mentionné un classement par les publics, visés par l’item opposant vieux apprenants vs jeunes débutants dans la mesure où une seule question se rapporte à cet aspect, et que sa réponse exprime une distribution gaussienne quasi parfaite des différents pays. Il en résulte un groupe médian de 12 pays, qui ne présente pas de chevauchement remarquable avec les groupes isolés par ailleurs.

CLASSIFICATION ASCENDANTE HIÉRARCHIQUE

Traitement : Patrick Rousset (Céreq).

1.5.2. Par rapport aux décideurs principaux

Cette dimension est abordée à partir de deux items (tableau 3) :

• partenariat social comme une norme vs prédominance d’un partenaire unique (État, employeurs…) ;

• rôle prédominant en matière de changement du système de formation des multinationales et du secteur privé vs secteur public.

On a déjà vu que le partenariat social constitue un principe reconnu par tous, à un degré plus ou moins fort.

Le tableau ci-dessus exprime cette réalité. De la même façon, le « tout privé » n’est pas une option retenue.

En fait tout se passe comme si chaque pays cherchait à préserver un équilibre dialectique plutôt qu’à privilégier une option. Dans cette optique, on peut opposer la Hongrie où le partenariat social est associé aux multinationales et au secteur privé pour gérer le changement, à la Suède où ce même partenariat constitue un support pour l’action publique. Le Royaume-Uni, avec une référence forte au privé comme facteur de changement, mais avec une régulation confiée au partenariat social par le truchement d’une agence parapublique, le Qualification Curriculum Authority (QCA), peut alors être considéré comme définissant avec les deux pays précédents une sorte de triangle dans lequel il est possible d’inscrire les situations d’équilibre propres à chaque pays.

Tableau 3

CATÉGORISATION SELON LES DÉCIDEURS PRINCIPAUX

Partenariat social vs Partenaire unique

<< < <> > >>

1.5.3. Par rapport aux finalités du système Ce point est abordé à partir des trois items :

• acquérir des compétences vs acquérir des connaissances ;

• répondre aux besoins du marché du travail vs objectifs généraux de société et développement des individus ;

• protéger des groupes ou des professions vs réaliser un marché du travail flexible.

Les deux premiers permettent d’opposer ce que l’on pourrait appeler une conception « utilitariste » à une conception « culturaliste » de la formation professionnelle. Le troisième reflète deux modèles de marché du travail : celui reposant sur des professions et métiers réglementés, qui a inspiré la directive sur la reconnaissance des qualifications au niveau européen, et celui reposant sur une lisibilité et une libre circulation des compétences qui se rattache à la mise en place d’un cadre européen des certifications.

Là encore, l’espace des choix ne recouvre pas celui des possibilités théoriques, et certains d’entre eux sont très surprenants. Ainsi l’Allemagne donne l’impression de vouloir verser dans une vision très utilitariste, ce qui correspond mal à la représentation que l’on a de ce pays en matière de formation professionnelle, mais constitue peut-être une réponse aux critiques de rigidité actuellement adressées à ce pays. À l’inverse, le Royaume-Uni se situerait dans une démarche culturaliste, ce qui peut également refléter la tendance à développer des compétences transverses, contrairement à la vision très spécialisée qui prédominait lors du lancement des National Vocational Qualifications. Il ne faut toutefois pas négliger le fait que la polysémie du terme « compétence » peut expliquer certaines de ces confusions.

Quoiqu’il en soit, les différents pays définissent des équilibres dans un jeu de polarisations contradictoires plutôt qu’ils ne constituent des groupes facilement opposables. La polarisation « répondre aux besoins du marché du travail vs objectifs généraux de société et développement des individus » constitue un axe relativement structurant identifié d’un côté par l’Estonie (marché), de l’autre par la Suède (objectifs de société et de développement individuel). Le tableau qui suit, croisant les deux premiers items cités ci-dessus, l’illustre le plus clairement.

Tableau 4

CATÉGORISATION SELON LES FINALITÉS DU SYSTÈME

• Acquérir des compétences vs acquérir des connaissances

• Répondre aux besoins du marché du travail vs objectifs généraux de société et développement des individus

Compétences vs Connaissances

<< < <> > >>

Marché << Estonie

<

Allemagne Danemark Slovaquie

Espagne Hongrie Islande Lituanie Portugal

Turquie Royaume-Uni

vs

<>

Finlande Irlande Roumanie

Autriche Bulgarie Flandre Grèce Lettonie

Malte Slovénie Wallonie

France

> Chypre

Italie Luxembourg

Norvège Pologne

Liechtenstein

Objectifs généraux >> Pays-Bas Suède

1.5.4. Par rapport aux orientations pédagogiques Trois items abordent cet aspect :

• acquisition par la voie scolaire vs acquisition à partir des situations de travail ;

• enseignants et formateurs viennent du système de formation vs enseignants et formateurs viennent du monde du travail ;

• le recours aux TIC se fait dans des situations de simulation ou d’enseignement à distance vs l’usage des TIC s’acquiert dans le processus de travail et de production.

On pouvait, à partir de là, espérer isoler un groupe de pays dont les systèmes de formation cherchent à préserver leur autonomie, et un autre visant une intégration forte de ces systèmes avec le monde productif.

La réalité montre des situations beaucoup plus nuancées, et chaque État se positionne dans un triangle dont les sommets sont représentés par la Slovaquie (modèle scolaire de formation), la Suède (formation scolaire et enseignants professionnels) et l’Allemagne (modèle professionnel de formation).

Là encore, le croisement des deux premiers items est le plus illustratif de cette situation, et l’on peut se demander si le phénomène « TIC » mérite l’importance qu’on lui accorde…

Tableau 5

CATÉGORISATION SELON LES ORIENTATIONS PÉDAGOGIQUES

• Acquisition par la voie scolaire vs acquisition à partir des situations de travail

• Enseignants et formateurs viennent du système de formation vs enseignants et formateurs viennent du monde du travail

Ces différents constats vont à l’encontre des typologies et des regroupements proposés sur la base de modèles économiques ou sociétaux qui semblent très réducteurs par rapport à ce que sont les dynamiques nationales. Chaque pays (compte tenu des réserves émises dans certains cas sur la valeur d’une représentativité nationale) semble définir sa propre voie dans un ensemble de tensions partagées par tous. La partie qui suit propose de décrire le déroulement de ce processus.