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RPS, résultante de l’impuissance des IRP face à l’employeur

Afin de savoir si les instances représentatives du personnel sont de véritables contrepouvoirs ou non face au pouvoir de direction de l’employeur, il nous a fallu étudier chaque action dont est tributaire chaque instance. Pour se faire, nous nous sommes fondés sur la problématique générale posée par Madame Anne-Lise Mougel-Zabel, dans sa thèse : « Les prérogatives des IRP : véritables pouvoirs ou droits subjectifs ? »140.

En s’appuyant essentiellement sur des approches doctrinales et sociologiques, la Doctorante en droit du travail s’est intéressée de près à la distinction entre « pouvoirs » et « droits subjectifs » laquelle la conduite à juger que ces deux notions se concevaient uniquement sur le terrain des relations entre acteurs sociaux.

Max Weber percevait le pouvoir comme « toute chance de faire triompher, au sein d'une relation sociale, sa propre volonté, même contre des résistances ; peu importe sur quoi repose cette chance »141. Par « faire triompher », il faut comprendre imposer sa volonté. Par conséquent, l’employeur a le pouvoir dès lors qu’il arrive, avec succès, à imposer sa volonté là où d’autres manifestent leur désaccord. Selon ce sociologue, cette faculté est une « chance » pour l’employeur qui l’acquière du seul fait de sa fonction et de sa connaissance « à commander, à se faire respecter et se faire obéir » comme le décrivait J.-M. Denquin. Le commandement, le respect et l’obéissance sont les trois composantes de ce pouvoir conférant à leur titulaire une prédominance ou un avantage sur autrui (sous-entendu le salarié)142. Il serait plus juste d’entendre les termes « prédominance » et « avantage » par « supériorité ».

Ainsi, le pouvoir de direction de l’employeur lui conférerait une supériorité lui permettant d’imposer des tâches à effectuer conformément à sa volonté, mission que le salarié n’aurait pas

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MOUGEL-ZABEL (A.-L), Thèse sur « Les prérogatives et responsabilités des institutions du personnel d’entreprise, Contribution à la théorie des droits-fonctions », soutenue publiquement le 6 Juillet 2010 sous la direction du Prof. DUQUESNE (F.)

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WEBER (M.), Économie et Société, 1922

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accomplie de façon spontanée.

Ce pouvoir n’est pas la seule manifestation d’un affrontement entre employeur et salariés. Elle est également celle entre employeur et IRP. En pratique, lorsqu’un salarié se trouve en situation de harcèlement psychologique de la part de son employeur, ce dernier a la possibilité de choisir librement d’imposer la décision qui lui semble appropriée ou adéquate143, contrairement aux institutions comme, par exemple, le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (ci-après, « CHSCT ») qui, peut-être, considère qu’elle n’est pas bonne pour ce même salarié.

Cette approche laisse sous-entendre que le chef d’entreprise manipule son pouvoir de direction en l’orientant vers un but144 guidé par la satisfaction de son intérêt personnel.

S’agissant du droit subjectif, le raisonnement est le même étant entendu qu’il se conçoit uniquement à l’encontre de quelqu’un. « Intérêt juridiquement protégé »145, ce droit institue aussi un rapport juridique entre deux personnes en vertu duquel l’une d’elles peut exiger quelque chose de l’autre : le respect de ses obligations reconnues par la loi.

Dans leurs ouvrages d’introduction au droit, les auteurs Jean-Luc Aubert et Eric Savaux pensent que « le droit subjectif consacre une prérogative individuelle jugée socialement utile ; d’où il résulte que ce droit est à la fois prérogative et fonction. Inséparablement ». D’autres comme Louis Josserand et Georges Michaélides-Nouaros précisent que le « droit fonction »146 est celui « reconnu par l’ordre juridique au profit d’un particulier, en tant que personne et membre de la société, dans le but de déployer une activité utile à lui-même et au bien commun »147.

Contrairement au pouvoir, les droits subjectifs présentent une finalité autre que la

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Théorie du pouvoir selon LUKES, développée dans son livre Power : a radical view (1974) : les gens sont contrôlés par trois types de pouvoir dont celui de décider c’est à dire imposer une décision

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Dictionnaire de philosophie, Fayard /éditions du temps, 2004 évoque le terme de « prérogative finalisée »; voir également M. Foucault qui définit le pouvoir comme « un mode d’action sur les actions des autres »)

145

VON JHERING (R.), l’esprit du droit romain, traduction Meulenaere, 1888

146

Expression empruntée à JOSSERAND (L.), De l’esprit des lois et de leur relativité. Théorie dite de l’abus des droits, Dalloz, 2° éd, 1939

147

MICHAELIDES-NOUAROS (G.) « L’évolution récente de la notion de droit subjectif », RTD Civ., 1966, p. 216

satisfaction d’un intérêt strictement personnel. Doctrine et Jurisprudence ont d’ailleurs montré qu’ils ne sont conférés qu’au soutien d’intérêts légitimes et non en vue de nuire à autrui.

Dans cette conception, et du seul fait de leur finalité, nous devinons déjà la nature des prérogatives de ces institutions. Conçues comme un moyen de compenser le pouvoir patronal, ces prérogatives viennent en aide aux salariés lorsqu’ils se trouvent face à une difficulté dans le milieu du travail.

Même si, pour Emmanuel Gaillard, ces droits subjectifs dits « droits-fonctions » ne sont rien d’autre que des pouvoirs, ils s’en distinguent par un élément : la liberté148. Cette liberté implique que, le titulaire dispose de la faculté de choisir librement. Ce choix est d’une part, un choix d’action et d’autre part, un choix dans les moyens d’action.

Tout d’abord, le pouvoir s’exprime uniquement dès lors que son titulaire a le libre arbitre d’exercer ou non sa prérogative, en fonction de sa volonté personnelle. A contrario, il n’est question d’aucun pouvoir lorsque l’action est prescrite voire imposée par une règle de droit prévoyant l’obligation d’intervenir pour le titulaire de la prérogative. Ainsi, ce choix peut être encadré mais pas dicté par le droit, comme l’affirmait Pascal Lokiec. De plus, le pouvoir se manifeste à travers la liberté de choisir les moyens d’agir. Libre d’agir de la manière qu’il estime la plus appropriée et juste, le titulaire du pouvoir agit en évaluant l’opportunité de l’action dans le but de satisfaire les intérêts dont il a la charge. A contrario, lorsque la prérogative est un droit-fonction, son détenteur ne dispose d’aucune liberté puisque le contenu de l’action est imposé par le droit. « Téléguidés » par le droit, sa liberté d’action est amputée donc nulle. Toutefois, lorsque le droit encadre cette liberté de choix, un tempérament doit être à apporter. Dans ce cas, le droit précise l’exercice de la liberté en opérant un simple contrôle. Encadré par le droit, le pouvoir reste un pouvoir et ne saurait la limiter !

Est-ce à supposer que, dès l’instant où le représentant d’une de ces institutions serait titulaire d’une autorité, son pouvoir lui permettrait de conserver voire mieux de défendre sa propre cause : la santé et le bien-être des travailleurs ?

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ROUBIER (P.), Droits subjectifs et situations juridiques, 1963, rééd. Dalloz 2005 : il l’a présente comme une prérogative inconditionnée, non définie et non causée ; TERRE (F.), introduction générale au droit, Dalloz, 8° éd., 2009, elle aspire à un exercice aussi étendu qu’il est possible et se montre rebelle à un cadre précis ordonnant son existence et sa destinée

Etant soumis à des contingences telles que l’autorité de l’employeur, l’institution représentée se doit inévitablement de répondre à la pression générée par les risques psychosociaux pour conserver l'intégralité de sa démarche de lutte contre et de protection pour

leur santé voire même l’améliorer sans en être empêcher.

En définitive, le pouvoir est une action concrète qui met en lumière un rapport de force entre un acteur organisé (l’employeur) et un second (IRP) qui fait naitre, de la contrainte imposée par l’employeur, une perturbation organisationnelle chez les IRP favorisant l’émergence des RPS. Appréhender la problématique posée par ces risques nous permet d’affirmer la remise en question de la puissance des instances représentatives du personnel. En tout état de cause, il s’agira d’étudier si ces instances, sous l’angle collectif (Section I) au regard des actions exclusivement exercées par le Comité d’Entreprise (ci-après, « CE ») et le Comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail ; et l’angle individuel (Section II) relatif uniquement, quant à lui, aux actions exercées par le Délégué du Personnel (ci-après, « DP ») et le Délégué Syndical (ci-après, « DS ») et le Représentant de la Section Syndicale (ci-après, « le RSS »), ont la chance de faire triompher leur propre volonté même contre des résistances patronales afin de commander, se faire respecter et obéir en matière de protection de la santé des travailleurs.