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Causes multifactorielles jurisprudentielles et/ou légales

Totale invention, ces « risques psychosociaux » sont encore loin d’être juridicisés. Problème qui n’est pas sans conséquence puisque, dans l’hypothèse où un salarié est prétendument exposé à une situation de risque psychosocial, celui-ci dispose-t-il de moyens juridiques suffisants pour pouvoir invoquer une telle situation devant les juridictions compétentes ? Peut-il obtenir une quelconque réparation pour le préjudice moral qu’il aurait subi sur son lieu de travail ? N’étant pas pris en compte directement par le droit du travail français, la réalité nous impose de répondre par la négative. En revanche, la recevabilité et, par la suite, la réparation éventuelle pourrait être admise devant les Tribunaux par le biais d’autres concepts juridiques que nous analyserons le long de notre étude.

Si l’Accord National Interprofessionnel (ci-après, « ANI ») reconnait juridiquement le stress au travail (§ 1), demeure encore, sur le suicide, un profond silence que la Cour de cassation tente, au fil de ses décisions, de lever (§ 2). Quant à la notion de discrimination, le droit l’a intégré largement, ne posant plus de doute sur sa valeur juridique (§ 3). Cependant, devant la complexité du harcèlement et de la violence, il apparait opportun de leur consacrer une Section à part entière (Section III).

§1. « Stress » et « burn-out », des notions en apparence non-juridiques

« Un salarié sur cinq déclare souffrir de troubles liés au stress »56. Le monde salarial largement atteint par le stress, il est « à la une » des facteurs des risques psychosociaux57. S’il en est la première source (A), il peut engendrer un autre état appelé « burn-out » (B).

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Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), « Le stress au travail », Edition INRS ED 973, Réimpression Décembre 2011

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A) Le stress : la cause originelle

Comprendre la problématique du « stress » sous l’angle du droit (2) nécessite, en amont, d’en saisir le sens médical (1).

1. Une signification sur le plan médical

Pour la première fois en 1956, Hans Selye58 l’appréhendait en le considérant comme un ensemble de symptômes physiologiques composé de trois phases différentes : la première appelée « réaction d’alarme » concerne la mobilisation des ressources pour faire face au stress. La deuxième phase de « résistance » porte sur l’utilisation de ces mêmes ressources. Enfin, la troisième dite « d’épuisement » fait apparaitre les troubles somatiques. C’est à ce stade que se manifeste le stress.

Si le « stress » s’explique d’une seule manière sur le plan médical, sur le plan juridique ce terme semble revêtir une double signification.

2. Une double signification sur le plan juridique

En 2008, sa définition juridique fut enfin donnée. L’accord national interprofessionnel sur le stress du 2 juillet désigne ce concept comme « un déséquilibre entre sa perception des contraintes que son environnement lui impose et la perception que le salarié a de ses propres

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ressources pour y faire face59 ».

L’article 3 du même accord ajoute que le stress n’est pas une maladie mais une exposition prolongée de cet état pouvant potentiellement causer des problèmes de santé. Celui-ci peut trouver sa source dans le contenu (surcharge ou sous charge de travail, monotonie ou répétition dans les tâches à effectuer), l’organisation du travail (imprécision des missions, exigences contradictoires, mauvaise communication, interruption fréquente dans le déroulement du travail), dans l’environnement social (manque de soutien, isolement, reconnaissance insuffisante) ou physique de travail (bruit, manque d’espace).

De ces indicateurs naît une grande confusion, celle d’être à la fois une cause et une

conséquence des R.P.S. En fonction de la dimension que revêt le stress, il est ou non juridiquement reconnu. En effet, dans son acception causale, le stress demeure en marge du droit contrairement à son acception en tant que conséquence où il acquiert une valeur juridique.

En pratique, le stress pouvant être la résultante d’une situation de harcèlement moral ou de violence en devient recevable devant la juridiction prud’homale de manière indirecte. Le fondement tiré exclusivement du stress restera inopérant, seule l’incrimination de harcèlement ou violence étant retenue par le juge.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 15 juin 2004, en est l’illustration parfaite. En l’espèce, il s’agissait d’un salarié qui avait été menacé sur son lieu de travail par un client, porteur d’une arme. Suite à son état de stress nécessitant un traitement et un suivi psychologique, il déclarait un accident du travail. La Caisse Primaire d’Assurance Maladie (ci-après, « CPAM ») a refusé de reconnaitre l’existence d’un accident du travail. La Cour de cassation a décidé que « «

les troubles psychologiques du salarié étaient la conséquence d’un choc émotionnel provoqué par l’agression dont il avait été victime sur son lieu de travail » … C’est pourquoi elle reconnaît le caractère professionnel de l’accident, lequel doit être réparé sur la base du régime relatif à la législation professionnelle (Accident de Travail/Maladie Professionnelle). Dans cette affaire,

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INRS, Documents pour le médecin du travail, n°106, 2° trimestre 2006 : « Stress et R.P.S, concept et prévention »

l’état de stress, conséquence d’un accident de travail due à une agression physique (violence), est juridiquement reconnu.

L’unique solution qui s’offre au législateur est de rompre définitivement avec cette dynamique circulaire (cause-conséquence) afin de favoriser une cohérence juridique. Pour se faire, la seule approche constructive semble être celle d’une démarche de qualification juridique en insérant, dans son intégralité, la notion de stress au Code du travail.

B) Le burn-out : autre conséquence d’un état de stress

Selon l’Institut National de Recherches et des Sciences (ci-après, « INRS »), le burn-out est un syndrome d’épuisement physique ou mental à un stade élevé qui se manifeste lorsque le professionnel se trouve face à des facteurs stressants prolongés. Il se caractérise essentiellement par l’épuisement émotionnel, le désinvestissement de la relation et une diminution du sentiment d’accomplissement personnel au travail60.

L’insertion du stress au Code du travail revêt une dimension fondamentale au regard du burn-out, état qui ne saurait un jour être reconnu et recevable par le juge prud’homal sans avoir, en amont, admis le stress en droit.

§2. Le suicide au travail, un phénomène méconnu par la loi mais reconnu par la jurisprudence

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INRS, Documents pour le médecin du travail, n°106, 2ième trimestre 2006 : « Stress et RPS, concept et prévention »

Les suicides et tentatives de suicides sur les lieux de travail sont apparus dans la plupart des pays occidentaux au cours des années 1990. Objet d’une acuité particulière en France, nombreux sont ceux à s’être penchés sur l’intrigue qui règne autour de ce phénomène61.

Ils n’ont fait que constater et décrire une situation de fait : c’est à la victime seule, sujet à une grave dépression, que doit être imputé le geste suicidaire. Véritable tabou, la direction de l’entreprise a, presque toujours, tendance à garder sous silence ce genre d’évènement d’autant qu’il risquerait de ternir l’image de l’entreprise en cause. Mais, ce geste a bien une origine trouvant, tour à tour, sa source dans la sphère privée et/ou dans la sphère professionnelle.

La logique veut que lorsque le lien de causalité est de nature professionnelle, la responsabilité incombe à l’entreprise. Dans le cas où il relèverait de l’ordre privé, la responsabilité pèse sur le salarié lui-même.

En analysant quelques décisions rendues ces dernières années, il semblerait que le régime de responsabilité soit encore imprécis. En effet, à la question « à qui la faute ? », les juges pêchent à trouver une réponse. Deux affaires judiciaires nous permettent d’affiner l’analyse de la responsabilité en cas de suicides. La première concerne un suicide ayant eu lieu dans la sphère privée62 (A). Et, la seconde affaire porte sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur à la suite d’un suicide d’un de ses salariés sur le lieu de travail63 (B).

A) Cas du suicide lié au travail et commis au domicile

Un salarié s’est donné la mort à son domicile. La veuve agit en justice en vue de voir reconnaître le caractère professionnel de cet « accident ». La Cour de cassation rejette sa requête, aux motifs que « la Cour d'appel a relevé que la dégradation des conditions de travail a

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DEJOURS (C.), psychanalyste, et BEGUE (F.), psychologue du travail, « Suicide et travail : que faire ?, coll. PUF

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Cass. Civ. II, n° 01-14.160, 3 Avril 2003

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concerné l'ensemble du personnel, et qu'il apparaît qu'elle n'a pas été perçue de la même manière pour tous ». Le salarié victime n'a été, en aucun cas, subi d'atteinte strictement personnelle, la preuve en est qu'il n'a jamais fait l'objet ni de sanction, ni de menace de sanction particulière de la part de son employeur.

B) Cas du suicide lié au travail et commis sur le lieu de travail

D’un côté, la société avançait que « l'acte désespéré » de son salarié avait visiblement trouvé sa source « dans un ensemble de facteurs inhérents à sa personne, à son état psychologique propre (notamment à la perception très dévalorisante qu'il avait de l'évolution de sa carrière professionnelle), et n'avait pas été causé par ses conditions de travail particulières telles qu'elles étaient organisées, à l'époque contemporaine du suicide, ou par les méthodes mises en place par les supérieurs hiérarchiques. Dès lors, n'ayant pas pris part au danger qui s'était concrétisé par le suicide, la société affirmait qu’elle ne pouvait en avoir conscience ». Alors que de son côté, la Cour d’appel faisait valoir quatre arguments. Dans un premier temps, dès lors qu’il y a eu un accident de travail, le manquement à l’obligation de sécurité de résultat - alors que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger - constitue une faute inexcusable. Dans un deuxième temps, l'état de santé du salarié était dégradé depuis deux mois avant le suicide. Dans un troisième temps, une partie des troubles provenaient d'un stress exclusivement professionnel, et l'absence de prise en compte de l'état de santé de cet ingénieur provenait du refus de l'employeur d'évaluer les risques psychosociaux, ce qui aurait permis leur prévention.

Enfin, alors que les médecins du travail ont fait part de plaintes de salariés quant à une surcharge de travail, l’employeur s’est montré incapable de les évaluer.

Les magistrats ont donc conclu que la société employeur, « confrontée à la dégradation de plus en plus marquée de la santé du salarié, s'agissant d'un ingénieur de haut niveau qui avait durant les 15 années précédentes toujours donné entièrement satisfaction à ses supérieurs hiérarchiques en raison de ses compétences techniques très appréciées et de l'importance des

travaux réalisés, tout en ayant déjà attiré l'attention sur l'existence de difficultés rencontrées en période de tension ou de forte pression dans l'exercice de ses fonctions » (…) « avait nécessairement conscience du danger auquel était exposé ce salarié en cas de maintien sur une longue durée des contraintes de plus en plus importantes qu'il subissait pour parvenir à la réalisation des objectifs fixés pour chacune des missions confiées et n'a pris aucune mesure pour l'en préserver ou pour permettre à son entourage professionnel d'être en mesure de mettre en place de telles mesures ».

A partir de cette décision, semble se dessiner un régime de responsabilité en faveur du salarié. Néanmoins, celui-ci reste soumis à la réunion de critères stricts laissant présumer que ce régime est finalement favorable à l’employeur. Pour retenir la responsabilité, l’évènement doit se dérouler sur le lieu de travail, en s’assurant de l’état de santé du salarié avant la date du suicide. Dans l’hypothèse où sa santé est atteinte sur le terrain professionnel, il faut vérifier que l’employeur ait convenablement rempli son obligation de sécurité de résultat en tenant compte de la souffrance dudit salarié. A défaut, la non-considération équivaudrait à un refus d’évaluer les RPS empêchant toute prévention. L’employeur est susceptible d’être exposé à des plaintes de médecins du travail. En n’en tenant pas compte, l’employeur viole son obligation de sécurité et sa faute est alors inexcusable.

C’est donc sur ce terrain que la responsabilité de l’employeur sera retenue. Dans l’hypothèse contraire, seul le salarié est responsable, c’est ce sur quoi la première décision met l’accent. Mais, avant de retenir sa responsabilité, les magistrats avaient cherché des indicateurs. Ils ont jugé qu’« aucune atteinte strictement personnelle, ni aucune sanction ni même menace » n’ayant été adressé, l’entreprise devait être exonérée de toute responsabilité.

Si les juges reconnaissent au suicide une valeur juridique, comment comprendre que le Code du travail n’ait pas, encore, intervenu en la matière ? A l’inverse, la notion de discrimination est pleinement admise, autant juridiquement que légalement.

La notion de discrimination est pleinement admise en ce qu’elle est consacrée tant par le Code du travail (A) que par la Cour de cassation (B).

A) Une admission légale

L’article L. 1132-1 du Code du travail64 stipule qu’ « aucune personne ne peut ni ne doit subir de mesure discriminatoire du fait de ses opinions, de son physique ou même de son état de santé ».

B) Une admission jurisprudentielle

En matière de « risque psychosocial », ce qui nous intéresse directement c’est la discrimination fondée sur l’état de santé du salarié en cause. Nombre de décisions rendues par la Chambre sociale ont fait jurisprudence. En 1998, elle considérait que licencier un salarié atteint d’une maladie était une mesure discriminatoire65. La maladie est un terme si générique que nous pouvons en extrapoler le sens. Ainsi, nous entendons par « maladie », la maladie corporelle

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C. trav. Art. L. 1132-1 : « aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut perte sanctionné, ou licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, « telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 Mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, » (…) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation (L. n° 2012-954 du 6 Août 2012, Art. 4-IV) « ou identité sexuelle », de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, des ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuse, de son apparence physique de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap »

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Cass. Soc. 28 Janvier 1998 ; Bull. Civ. V, n° 43 ; CSB 1998. 80, A. 19 : C. trav. Art. L.1132-2 s’applique lorsque les faits reprochés au salarié, licencié pour faute grave, sont en rapport avec sa maladie

(physique) et la maladie mentale (psychique).

Sans mesurer la portée de sa décision, la haute juridiction consacrait indirectement les situations à risques psychosociaux sur le terrain de la discrimination. De plus, « imposer à un salarié un changement d’affectation en raison de son état de santé » constituait une mesure discriminatoire, peu importe que l’employeur ait été de bonne foi en le plaçant à un poste moins stressant66.

La Cour de cassation fait primer l’état de santé du salarié au détriment de la bonne foi de l’employeur. Est-ce à considérer qu’en éludant la volonté de l’employeur à améliorer l’état de santé de son salarié, la Cour se range systématiquement du côté de ce dernier ? La réponse n’est pas si évidente puisque la Cour a pu décider que licencier un salarié était justifié non pas au regard de l’état de santé du salarié « mais par la situation objective de l’entreprise qui se trouverait dans la nécessité de pourvoir au remplacement d’un salarié dont l’absence prolongée ou les absences répétées perturberaient la bonne marche de ladite entreprise »67.

Au regard de ces illustrations jurisprudentielles, les discriminations recoupent des situations variées et variables, que nous laisse observer l’article L. 1132-1 du Code du travail. A ce titre, le harcèlement était autrefois une forme de discrimination. Désormais, il apparait comme une incrimination spécifique définie par le Code du travail (Section III).

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Cass. Soc. 30 Mars 2011 : « imposer à un salarié un changement d’affectation en raison de son état de santé » constitue une mesure discriminatoire ; La bonne foi de l’employeur qui souhaitait affecter le salarié à un poste moins générateur de stress importe peu » Dalloz Actualité, 21 Avril 2011, obs. PERRIN ; JCP S 2011. 1256, obs. TRICOIT

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Cass. Soc. 16 Juillet 1998 : « L’Art. L. 1132-1 n’interdit pas que le licenciement soit motivé non par l’état de santé du salarié mais par la situation objective de l’entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement d’un salarié dont l’absence prolongée ou les absences répétés perturbent le fonctionnement » ; Bull. Civ. V, n° 394 ; D. 1998. IR 200 ; Dr soc. 1998. 950, note MAZEAUD (A.)