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Un fardeau au regard du système probatoire défavorable à l’employeur

Abordées sous l’angle du contrat pur, les obligations de moyens sont celles dans lesquelles le débiteur promet d’apporter tous ses soins et diligences à sa mission, mais ne s’engage pas sur son succès : il est tenu d’employer tous les « moyens » possibles pour procurer satisfaction à son créancier mais ne peut pas garantir le résultat. Alors que l’obligation de résultat est celle dans laquelle le débiteur s’engage à fournir un résultat. Le seul fait qu’il n’y parvienne pas laisse alors présumer sa faute, sa défaillance.

Notre réflexion porte sur l’impact que ce raisonnement peut avoir en droit du travail. Pour ce faire, il convient de substituer le débiteur à l’employeur et le créancier au salarié.

S’agissant de l’obligation de moyens, l’employeur est celui qui promet de mettre en place tous les moyens possibles pour satisfaire le salarié. Sa satisfaction passe nécessairement par sa protection en terme de sécurité et de préservation de sa santé. Pour que ce salarié mène à bien sa mission, l’employeur fera son possible mais ne pourra lui assurer un environnement de travail sain pour son corps et son esprit. Néanmoins, cette promesse n’impose pas à ce chef d’entreprise d’atteindre, envers et contre tous, cet objectif. Dans ce contexte, l’employeur ne garantit pas à son salarié une protection certaine contre les risques susceptibles de survenir au sein de son entreprise.

A l’inverse, dans le cadre de l’obligation de résultat, l’employeur peut être perçu comme un garant de la santé et la sécurité de son travailleur. Dans cette perspective, il s’engage à ce que ce dernier ne fasse l’objet d’aucune menace ni d’aucun risque, et qu’il soit en parfaite sécurité dans l’entreprise. Ceci fait naitre, chez ce salarié, un sentiment d’espoir qu’il ne lui arrivera rien, qu’il est en totale sécurité sur son lieu de travail. En prenant ce type d’engagement, la seule manifestation d’un quelconque mal-être chez le salarié fait présumer que l’employeur a failli à son obligation de sécurité.

En retenant que l’obligation de sécurité de l’employeur est de résultat, la Cour de cassation nous invite à nous interroger sur la ou les raisons d’une telle prise de décision. Pourquoi

se montre-t-elle si ferme à l’encontre de l’employeur ?

De fait, en incombant une obligation de sécurité de résultat à l’employeur, la Cour de cassation fait peser sur ce dernier un véritable fardeau. Pour éviter l’avènement d’un risque pour son ou ses salarié(s), l’employeur est contraint d’anticiper celui-ci (A), à défaut duquel il engage sa responsabilité (B).

A) Un devoir patronal d’anticipation du risque psychosocial

Pour mieux comprendre la position adoptée par la Cour de cassation, il convient de revenir sur le terrain pur du droit des obligations lequel met en place un critère distinctif particulier : l’aléa (1). Appliquer la théorie de l’aléa sur le terrain du droit du travail signifierait que l’employeur a l’obligation d’anticiper le risque psychosocial (2).

1. Anticipation de l’aléa

En effet, l’obligation est de moyen lorsque sa réalisation est entachée d’une forte part d’aléa ; elle est de résultat dans le cas contraire. Force est de constater qu’en matière de RPS, le degré d’aléa est très élevé du seul fait que ces risques relèvent du mental. En effet, le mal éprouvé n’est pas physique mais psychique. Nous en déduisons que la Cour de cassation aurait dû se prononcer en faveur de l’obligation de moyen. Dans ces circonstances, il est étrange de constater que la Chambre sociale consacre, sans ambiguïté aucune, l’obligation de sécurité comme étant une obligation de résultat !

Ce qui nous amène à se poser une autre question : A partir de quel moment peut-on qualifier une situation comme relevant des RPS ? Quand commence-t-elle ? Jusqu’où va-t-elle ? Autrement dit, une telle situation est-elle mesurable voire quantifiable ?

2. Anticipation du risque psychosocial.

Il semble que la situation soit difficilement perceptible ou saisissable dans le sens où elle n’est pas physique (c’est à dire visible et concrète), mais mentale (c’est-à-dire invisible ou quasi-invisible voire fictive dans certains cas).

Au lendemain de la décision inattendue de la Chambre sociale rendue en 2010, nous aurions pu penser qu’elle était de nature si insolite et singulière qu’elle serait contrecarrée, par la suite, d’une infirmation jurisprudentielle. Or, la haute juridiction a bien au contraire décidé de maintenir sa position. Dans cette dimension, elle sous-entendrait qu’une situation de risque psychosocial est mesurable au point que la diligence de l’employeur va jusqu’à lui imposer une capacité à devancer la survenance de ce type de phénomène dans l’entreprise ! Par la même, elle laisse deviner que son statut d’autorité lui confère la faculté de comprendre lorsque son salarié est la victime d’une situation pouvant affecter son état psychologique et ayant lieu au travail.

La détermination du degré de l’aléa permet de distinguer la nature de ladite obligation. C’est cette distinction qui va commander le régime de responsabilité contractuelle.

B) Une responsabilité patronale de plein droit

Avant d’expliquer en quoi l’obligation de sécurité de résultat entraine une responsabilité de plein droit pour l’employeur sur le plan du droit du travail (2), il convient en amont de l’expliquer sur le plan du droit des obligations (1).

1. Sur le plan du droit des obligations

Au regard de l’obligation de moyen, tout d’abord, pour engager la responsabilité du débiteur de l’obligation, le créancier doit établir d’une part que le débiteur n’a pas fait tout son possible, d’autre part que le dommage présente un caractère anormal, et enfin qu’il a commis une faute dans l’exécution de son obligation.

A l’inverse, s’agissant du régime applicable à l’obligation de résultat, il appartient au débiteur de prouver qu’il s’est heurté à une exécution impossible sans quoi la seule inexécution ou exécution défectueuse fait présumer sa responsabilité.

2. Sur le plan du droit du travail

Relativement à la décision du 3 février 2010, traduire cela sur le terrain du droit du travail reviendrait à dire que l’employeur est responsable de plein droit du seul fait qu’ait été constaté que le salarié présente des troubles mentaux et/ou psychiques causés par des violences physiques ou morales, du harcèlement moral ou même sexuel sur le lieu de travail. Cela laisse insinuer que la Cour de cassation, dans de telles circonstances, veuille faire de la responsabilité du chef d’entreprise une responsabilité quasi-automatique pour ne pas dire automatique tout court.

Quand bien même il avait pris des mesures en vue de faire cesser les agissements menaçant la santé mentale du salarié, nous avons le sentiment que la Chambre sociale élude l’analyse objective des circonstances dans lesquelles les situations à risques surviennent dans l’entreprise pour n’en retenir qu’une lecture subjective dans l’intérêt exclusif : protéger la santé du salarié132.

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En revanche, si elle a assis la responsabilité de l’employeur sur une obligation de sécurité de résultat, un doute subsiste encore quant à la preuve de la conscience qu’avait ou aurait dû avoir l’employeur du risque encouru par le salarié. Une confirmation de la Chambre sociale est attendue sur ce point même si la dynamique dans laquelle s’inscrit sa jurisprudence ces dernières années nous laisse entrevoir sa position prochaine. Il apparait ainsi que la Cour de cassation ne cesse d’accabler le chef d’entreprise, lequel devient un véritable esclave des impératifs « Santé et Sécurité au travail ».

Cette sévérité déployée à l’encontre de ce dernier pourrait résulter du fait que les normes, bien que relativement rigides dans ce domaine, demeurent incomplètes. Ainsi, en opérant un contrôle sur ces normes existantes, elle sanctionne par la même occasion l’employeur. Ainsi, pris en tenaille, le chef d’entreprise se trouve limité dans son pouvoir directionnel et les salariés presque oubliés voire déresponsabilisés.

Est-ce à dire que le lien de subordination né du contrat de travail fait des salariés inévitablement des victimes ? Pour autant, pèse également sur eux une obligation de sécurité…

Ce laxisme juridique dont font preuve les magistrats dans leurs décisions fait présumer une volonté inexprimée de pallier à la trop grande domination du chef d’entreprise. Pour ce faire, nous tenterons de démontrer que l’obligation de sécurité qui incombe au salarié indiffère peu ou prou la Cour de cassation quant à son obsession de responsabiliser l’employeur en matière de protection de la santé du travailleur (Section III).

VERICEL (M.) ; Lexbase hebdo, éd. Soc., n° 383, 18 Février 2010 et la note Adde, Cass. Soc. 15 Décembre 2010, n° 09-41.099 ; Cette position a été implicitement confirmée en matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail résultat d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Alors qu’en principe, c’est le salarié, qui supporte la charge de la preuve du manquement suffisamment grave de l’employeur justifiant que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement, la chambre soc renverse la charge de la preuve à son profit lorsque c’est un manquement à l’obligation de sécurité qui est invoqué : Cass. Soc. 12 Janvier 2011, JCP éd. S 2011, 1168, note ALLENDE (M.) ; Lexbase hebdo, éd. Soc., n° 425, 27 Janvier 2011

Section III : L’obligation de sécurité du salarié : une obligation sans incidence sur la