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RPS, résultante d’une mésentente entre partenaires sociaux

Aujourd’hui, fortement touchées par un climat de confrontation entre employeurs et salariés, les entreprises françaises traversent une véritable crise sociale. De cette conflictualité, le Conseil Economique et Social (ci-après, « CES ») rappelle, dans un rapport, que : « la solution des conflits passe par le développement du dialogue social ». Par raisonnement contraire, le conflit social vaut rupture du dialogue social. Afin de favoriser l’essor d’un « bon » dialogue social, la négociation collective a été instituée. Aux termes de l’article 4 de la Convention 154 de l’Organisation Internationale du Travail : « Le terme négociation collective s’applique à toutes les négociations qui ont lieu entre un employeur, un groupe d’employeurs ou une ou plusieurs organisations d’employeurs, d’une part, et une ou plusieurs organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de :

- fixer les conditions de travail ou d’emploi, et/ou ;

- régler les relations entre les employeurs et les travailleurs, et/ou ;

- régler les relations entre les employeurs ou leurs organisations et une ou plusieurs organisations de travailleurs »346.

Théoriquement, la négociation collective repose sur une concertation des acteurs sociaux dont l’objectif principal est d’organiser sur un mode contractuel leurs rapports. Nombreux penseurs, partisans de cette négociation, la qualifient d’ « art » ou même de « science »347, là où, d’autres voient en elle un processus collectif de décision servant, ainsi, à empêcher le chef d’entreprise d’imposer unilatéralement une décision qu’il serait susceptible de prendre. Sur ce point, Gérard Lyon-Caen écrit que l’ « un des aspects majeurs de la négociation réside dans cette idée de partage de décision, décision infléchie dans le sens du vouloir de l’autre, c’est-à-dire des

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Le texte de la convention figure dans : La liberté syndicale, manuel d’éducation ouvrière, BIT, Genève, 2° éd., 1998

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COUTURIER (G.), FAVENNEC-HERY (F.), MAZEAUD (A.), OLIVIER (J-M.), TEYSSIE (B.), « La négociation collective », éd. Panthéon Assas-Paris II

salariés, là où, au point de départ, régnait sans partage le pouvoir du capital »348. La concertation, expression de la négociation, serait donc une limite au pouvoir de direction de l’employeur dont le pendant consisterait, pour les juristes que nous sommes, à dire qu’elle est un moyen fondamental de rétablir l’égalité rompue dans le contrat de travail née du lien de subordination. Pourtant l’étude a montré que le contrat de travail est une réalité difficile à surmonter et que de cette inégalité contractuelle entre chef d’entreprise et salarié, naît un second rapport « belliqueux » : le premier concerne les organisations patronales représentant des employeurs puissants et les organisations syndicales représentant des salariés en détresse psychologique. L’attitude de ces partenaires sociaux étant étroitement liée au principe de négociation, est-ce à supposer que le système de négociation sociale est dépourvu d’efficacité ?

Sorte de « conflit surmonté »349, la négociation collective englobe tour à tour débat, affrontement, mais doit, dans tous les cas, aboutir sur une résolution des problèmes. D’une part, « débat » dans la mesure où elle s’inscrit dans une dynamique de discussions ; d’autre part, « affrontement » dans la mesure où même si elle donne lieu à discussion, « à chacun sa vérité » ; enfin, résolution du problème dans la mesure où elle vise à régler pacifiquement un conflit passé, actuel ou potentiel. Toutefois, les termes « affrontement » et « débat » nous conduisent à s’interroger sur la véritable nature de leurs relations lorsqu’est en cause un thème comme celui des risques psychosociaux.

Dans un tel paysage, sont-ils toujours des partenaires ou, au contraire, deviennent-ils des adversaires sociaux ?

Bon nombre d’experts déclarent les risques psychosociaux être l’occasion rêvée pour les acteurs du dialogue social de rompre enfin avec l’adversité et de passer au partenariat. Tel est le constat de Pascal Gallois350 qui considère que si « beaucoup de négociations sur des sujets classiques réveillent les vieux réflexes d’affrontement, les négociations sur les risques psychosociaux semblent ouvrir des portes et pacifier le dialogue ». D’ailleurs, à la question « pourquoi une négociation sur les risques psychosociaux appelle naturellement la coopération

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LYON-CAEN (G.), Critique de la négociation collective, Dr. Soc., 1979, p. 350

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LAUNAY (R.), La négociation approche psychosociologique, co-éd EME, Librairies techniques, ESF, 1980

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? », ce dernier répond « personne ne peut avoir raison tout seul sur ce sujet. Soyons simplistes : au départ, la direction dit que ce sont les salariés qui arrivent stressés au travail, et les syndicats disent que c’est la pression de l’employeur qui crée le stress. Puis, on comprend que tout le monde a des responsabilités, que tout le monde a tort et raison à la fois. Et surtout, qu’on parle de personnes, de vie quotidienne, de souffrance : ce sont des sujets graves qui appellent un moment ou l’autre l’écoute, le respect et la sincérité ». D’après lui, « négocier sur les risques psychosociaux, c’est bon pour le dialogue social ! »351. Tandis que, Jack Bernon pousse plus loin le raisonnement de P. Gallois lequel reste cantonné aux risques psychosociaux. En soutenant que « la négociation sociale est un très bon levier pour améliorer la santé au travail »352, ce responsable du département Santé et Travail à l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ci-après, « ANACT ») suggère que ce qui est bon pour le dialogue social c’est de négocier sur la santé au travail !

Ces spécialistes ne sont pas les seuls à penser que la souffrance au travail générée par ces risques est un sujet opportun voire une chance d’obtenir enfin un dialogue social de qualité ! En effet, Caroline Sennegon353 reste convaincue d’une part que, nos relations sociales sont si mauvaises qu’elles impactent sur notre santé au travail et, d’autre part que, le dialogue social, étant la forme institutionnelle des relations sociales dans l’entreprise, plus il est défectueux, plus il alimente cette souffrance.

Chacune de leur vision prouve combien, relativement au risque psychosocial, les acteurs sociaux ont tout intérêt à prendre le parti du partenariat plutôt que celui de l’adversité. Pour autant, la réalité de ces nouveaux risques montre aussi que ces acteurs ne sont toujours pas décidés sur le choix de la politique à mener sur ce thème étant entendu que les salariés ne cessent d’être confrontés à ce nouveau genre de risques dans les entreprises.

Pour quelles raisons n’ont-ils pas trouvé de solution ?

Yves Chaigneau amorce un début de réponse en affirmant que « le patronat entend désormais rééquilibrer l’objectif même de la négociation collective : celui-ci n’est plus seulement

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« Votre entreprise socialement performante », Blog de HEURTEAUX (T.) et WERNER (A.), 11 Avril 2012

352

BERNON (J.), Colloque ANACT sur les risques psychosociaux, 27 Octobre 2011

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d’apporter de nouveaux avantages sociaux aux salariés, mais de renforcer l’efficacité et la compétitivité des entreprises par un aménagement approprié des conditions de travail de leurs salariés ». Cela supposerait-il que la faute incombe au chef d’entreprise ? Le terme « désormais » renvoie à la notion de temps pendant lequel le patronat ne concevait pas l’aménagement de conditions favorables de travail aux salariés. Pour cet auteur, cette volonté déséquilibrait l’objectif même de la négociation collective. En extrapolant sa pensée, si le patronat avait pris, plus tôt, en considération les conditions réelles du travail des salariés, l’objectif de ce pourquoi la négociation collective a été initialement mis en place aurait été équilibré et de surcroît atteint. Est-ce à considérer que les RPS n’auraient pas vu le jour de sorte que les entreprises modernes et leurs salariés auraient eu sans conteste la chance de ne pas en faire l’objet ? Ce même auteur souligne que « le véritable objectif de la négociation se caractériserait par une dimension fortement unilatérale : simplement à la recherche d’une amélioration prioritaire du statut salarial qui prévalait autrefois succéderait celle d’une amélioration prioritaire de la situation des entreprises »354. Pour lui, la question de l’amélioration de la situation des entreprises est une question prioritaire, laquelle est nécessairement liée à l’amélioration des conditions de travail des salariés. Vu le climat social dans lequel nous évoluons, ce ne serait plus du luxe que le Patronat réalise que le bien-être du salarié constitue LA garantie du bien-être de l’entreprise ! Il était temps…

Désormais, la question n’est donc plus de savoir « pourquoi » ces RPS ont émergé dans le monde professionnel mais « que » révèlent-ils ? En effet, c’est à se demander si cette souffrance ne dit pas quelque chose à propos de la qualité de notre dialogue social (Section I) ou de notre système de normes (Section II).

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