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LE ROMAN COMIQUE DANS L'OEUVRE DE DU SOUHAIT

DEUXIEME PARTIE

OEUVRES MORALES ET LES OEUVRES PIEUSES DE DU SOUHAIT

B. LE ROMAN COMIQUE DANS L'OEUVRE DE DU SOUHAIT

Cette veine romanesque n'est représentée que par un seul ouvrage: Les histoires comiques ou entretiens facétieux, paru en 1612.

Ce roman de notre auteur n'est pas signé. Du Souhait se contente de signaler sur la page titre qu'il est l’œuvre "d'un des beaux esprits de ce temps", mais le doute n'est pas permis sur l'identité de l'auteur.

Cette œuvre a été étudiée de manière exhaustive par J. Serroy dans le cadre de sa thèse: Roman et réalité, les histoires comiques au XVIIème siècle. Je me bornerai à reprendre ici ses principales conclusions.

Les histoires comiques sont avant tout une œuvre divertissante, de l'aveu même de leur auteur: "Voicy de quoy passer les longues nuicts de cet hyver", écrit-il au comte de Brionne1, et aux lecteurs il annonce: "J'ay passé quelques jours à tracer ces entretiens pour vous faire rire et pour me desennuyer"2.

Du Souhait a conscience que l'écriture comique de ces récits fait exception dans l'ensemble de son œuvre, mais il fait fi de la critique, s'en libérant d'une pirouette: "il y en a qui diront que je suis inconstant en mes escrits, pourquoi ne le seroy-je point puisque je suis fils de femme et que les femmes voudroient changer de mary aussi souvent que de robes"3. Notre auteur cherche délibérément à

1 Dans les feuillets liminaires des Histoires comiques de Du Souhait.

2 Idem.

3 Du Souhait, Les histoires comiques, cet ouvrage n'étant pas paginé, l'indication bibliographique que l'on trouvera dans ces notes se trouve tronquée du numéro de la page.

plaire à tous les publics: "Les uns donnent leur loisir à Dieu, je leur ay donné de quoy satisfaire à leur dévotion. Les autres courtisent le monde sérieusement, ma plume leur a faict voir des escrits partisans de leur gravité. Quelques uns aiment les propos de récréation, voicy qui les fera rire. Les plus retors sont quelque fois bien aise de relascher leurs esprits fatiguez d'importance, par la lecture de ces gayetez où l'on ne retrouvera que de la modestie"1. Cette fois, Du Souhait a décidé d'offrir à son public des "gayetez" pour attirer à lui une nouvelle frange de lecteurs.

Dans ce roman, Du Souhait donne pour forme à son récit celle de l'entretien. Neuf personnes "de diverses conditions"2: un gentilhomme, un commissaire, un bourgeois, un poète, un peintre, un marchand, un trésorier, un musicien et un "escolier" se trouvent dans une loge dans l'Hôtel de Bourgogne, attendant le lever du rideau.

Celui-ci tarde à se produire, "ce qui occasionna ces messieurs de faire une résolution de dire tour à tour une histoire facétieuse pour tromper le temps et pour donner quelque contentement à ces dames"3.

Comme J. Serroy l'a montré, le récit suit grossièrement une logique interne: "chaque narrateur renvoyant la balle par son récit au narrateur précédent, ou incitant un nouvel orateur à prendre la parole"4. Chacun, pour entretenir gaiement la compagnie, fait un récit où il met en scène un personnage appartenant à cette compagnie;

ainsi, dans la quatrième histoire, le musicien conte les plaisantes mésaventures qui surviennent à un poète, "malotru rimailleur"5,et qui s'achèvent par la déconfiture du poète, contraint par le chevalier du guet d"aller faire ses rimes ailleurs"6. Entendant ce récit, le poète promet de se venger et de mettre "le musicien en jeu" dans son propre conte. Il conclut d'ailleurs sa cinquième histoire sur ces mots:

"me voilà contant (...) de vous avoir fait rire aux despens du musicien comme il avait faict aux miens"7.

Je reproduis ici le tableau que J. Serroy fait figurer dans sa thèse pour visualiser les protagonistes et le sujet traité dans chacun des neuf contes8.

1 Ibid.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 J. Serroy, Roman et réalité..., p.33.

5 Du Souhait, quatrième des Histoires comiques.

6 Idem.

7 Ibid, cinquième des Histoires comiques.

8 J. Serroy, Roman et réalité, p.34.

Histoires Narrateur Héros de l'histoire

première écolier bourgeois

deuxième marchand écolier

troisième gentilhomme gentilhomme

quatrième musicien poète

cinquième poète musicien

sixième gentilhomme juge

septième financier peintre

huitième peintre cavalier

neuvième commissaire soubrette et

entremetteuse

Ce tableau montre que la logique de composition de Du souhait n'est pas rigoureuse. Le gentilhomme prend deux fois la parole alors que le bourgeois, pourtant prévu dans le préambule du roman, est oublié. J. Serroy démasque les nombreux emprunts que Du Souhait fait aux auteurs du passé et voit en lui un "émule attardé des grands conteurs du siècle précédent"1.

Le ressort de toutes les histoires est le même: il s'agit de la tromperie, et les thèmes les plus traditionnels de la veine gauloise de la littérature sont repris: maris cocus, femmes rusées... Le style utilisé dans ce roman est des plus libres, il ne répugne pas à la grivoiserie2. Les personnages typiques des farces y abondent : valets sans scrupules, bourgeois bornés et aveugles, étudiants farceurs, amants cachés dans les placards -à moins que ce ne soit dans un fournil3-, vieilles courtisanes ridicules. Les situations comiques foisonnent:

personnages déguisés, quiproquos en cascade, échanges de lits, morts qui se réveillent pour rire et amuser. Ainsi des "escoliers"

dérobent-ils, dans la cinquième histoire, des chapons qu'ils dissimulent aux regards des chevaliers du guet en les cachant sous un manteau, prétextant qu'ils vont enterrer un serviteur du collège. Mais un chapon "tenant possible encore du coq se print à chanter"4 et les voleurs de s'enfuir au plus vite.

1 De L'Héptaméron, en particulier, J. Serroy, Roman et réalité..., p. 50.

2 Je garde pudiquement pour cette note un de ces passages égrillards caractéristiques, tiré de la troisième des Histoires comiques: "ils ne purent pas si longtemps jouër des soufflets que la mesche ne print feu ny mettre si souvent le tuyau dans la vessie qu'elle ne s'enfle" ou ce passage de la huitième histoire: Florimant "esteignit la chandelle pour bailler la sienne à sa cousine qui fit un tel effaict que dans neuf mois elle fit un fils".

3 "où le pain cuisait encore" comme c'est le cas de la quatrième histoire.

4 Du Souhait, cinquième des Histoires comiques.

Toutes ces histoires sont courtes, en moyenne une douzaine de pages, il ne faut pas y chercher de vraisemblance ni d'étude psychologique dans la peinture des personnages. Ce que recherche avant tout Du Souhait c'est l'effet comique, il recourt donc pour cela aux procédés les plus traditionnels et utilise divers canevas qui brodent tous autour du thème de la femme ou, plus souvent du mari, trompé(e).

Que Sorel reconnaisse s'être inspiré de ces facétieux récits montre que François du Souhait n'était pas dénigré par les "beaux esprits" de son temps. Jean Serroy en tire cette conclusion: "c'est "à l'envy" de Du Souhait que Sorel va écrire son Francion. Rôle modeste donc que celui de cet écrivain charnière, mais rôle important"1.

C. LE ROMAN D'AMOUR ECRIT DANS LE STYLE