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LE POUVOIR EVOCATEUR DU STYLE DE DU SOUHAIT

TROISIEME PARTIE

DES FIGURES POUR UN STYLE, ETUDE STYLISTIQUE DE SYNTHESE DE L'OEUVRE DE FRANÇOIS DU SOUHAIT

B. LE POUVOIR EVOCATEUR DU STYLE DE DU SOUHAIT

Malgré la quasi absence de pittoresque, le style de Du Souhait nous a semblé pourtant être capable d'évoquer et de suggérer. Si l'on considère la manière dont il "peint" la ville de Liège, on remarque qu'il note : "la principauté de Liège, assez recommandée pour l'excellence de la bière"1. Du marché d'Abbeville en Picardie, il précise qu'il s'agit d'un lieu "d'où viennent les bons yvrongnes et les mauvais musiciens"2. De la tiédeur de l'air printanier il nous donne ce touchant tableau : "en ce beau mois d'Avril les chaudes colombelles / qui bec à bec se font des caresses nouvelles"3. En d'autres termes, si l'auteur n'est pas réaliste, il sait être évocateur. Il convient donc de se demander comment Du Souhait sait décrire sans réalisme.

La puissance suggestive d'évocation n'est pas tant due au choix des détails pittoresques qu'à la judicieuse association des mots et de leurs connotations émotionnelles. Cette association permet de se représenter intellectuellement et affectivement des personnages, des lieux, des scènes que l'absence de détails physiques empêchait de se figurer picturalement. Ainsi, d'un gentilhomme français, l'auteur notera-t'il : "sa qualité et son mérite lui procuraient des amis qu'il visitait par compliment, s'y comportant avec tant de respect qu'il semble avoir changé sa courtoisie française en une gravité allemande"4. Si la beauté physique de la jeune Cloris n'est que pâlement décrite, sa personnalité, toute symbolique de la jeune fille vertueuse, apparaît très nettement dans cette remarque : elle

"servoit de miroir à toutes les dames qui faisaient profession d'être vertueuses"5. Du Souhait sait donc faire des portraits suggestifs qui font ressortir, non pas le réalisme d'un tableau, mais la capacité à évoquer ce qui lui semble être l'essentiel d'un être ou d'une situation.

Veut-il peindre la générosité d'une de ses chastes dames, qu'il sait trouver le détail suggestif : "ses mains plus fréquentes à donner aux pauvres qu'exiger des riches, à payer à ses créanciers qu'à prendre de ses débiteurs"6. Cherche-t'il à louer la chasteté d'une autre dame, qu'il donne ce tableau : "Les irondelles prennent plaisir à cimenter leur

1 Du Souhait, seconde des Histoires comiques.

2 Du Souhait, cinquième des Histoires comiques.

3 Du Souhait, Beauté et amour, 20r°.

4 Du Souhait, troisième des Histoires comiques.

5 Du Souhait, Cloris, 3v°.

6 Du Souhait, Les pourtraits, a3v°.

logette avant que faire esclorre leurs petits et ont souvent des soliveaux, quelques fois des chevrons pour fondement de leur édifice.

Madame de Migène a fortifié ses vertus avant que nous en montrer les effects, sa chasteté est la poultre qui soustient ses actions et son bel esprit, le ciment qui embellit ses entreprises"1. Ce dernier exemple prouve bien que Du Souhait est fort capable de descriptions physiques originales, donc, s'il s'en abstient d'une manière générale lorsqu'il veut présenter un personnage, un lieu ou une situation c'est, il me semble, parce qu'il préfère, par le jeu des associations de mots et d'idées, nous faire ressentir intuitivement l'objet qu'il cherche à évoquer. Même ses descriptions réalistes demandent à être approfondies. Ainsi en va-t-il de ce portrait particulièrement parlant d'un laboureur, longuement décrit dans Les neuf Muses... et dont je ne citerai qu'un court extrait :

"Il boit tantost du vin, le plus souvent de l'eau Et met sur son trenchoir a chacun son morceau Il n'a si tost mangé pour dessert une pomme

Qu'on le voit sur un banc tout abattu du somme (...)"2

On pourrait en effet taxer le style de l'auteur dans ce passage de réaliste, si ce portrait n'était mis dans la bouche de la déesse Euterpe d'une part et s'il ne figurait dans l'ouvrage qu'en contrepoint symbolique d'un débat savant et presque philosophique entre Terpsichore et madame de Marmoutier3. Autrement dit, l'auteur ne se fixe pas pour intention de peindre un tableau champêtre réaliste, mais se propose avant tout d'évoquer une existence paisible, en harmonie avec les rythmes naturels. Dans un même esprit, quoique dans un genre bien différent, on reconsidérera l'apparent réalisme qui préside à cette description de la tenue d'Isidore : elle "se faict apporter des habits de femme, avec le hausse col et les demy brassars de parades tout couverts de pierreries, ses cheveux frisez, enrichis de brillants, et d'autre parade à l'usage de leur sexe. Des boutons de diaments sur les manches de sa robbe (...) Deux grandes escarboucles au devant et au derrière de sa robe. Un miroir d'or, esmaillé de gris violent, une monstre d'or, couverte de diamants. Bref, parée de tout ce qui donne lustre à la beauté des dames"4. Ces derniers mots nous donnent la clé pour comprendre le choix d'écriture de Du Souhait. Au fond, peu lui importe le sens précis des détails qu'il a choisi de nous donner. Du Souhait s'offre le luxe d'une abondance de détails, non pour peindre fidèlement la parure d'Isidore, mais pour souligner la féminité et la richesse de sa toilette par opposition à la rudesse virile de l'armure de

1 Ibid, p.155.

2 Du Souhait, Les neuf muses, 10v°-11r°.

3 Le dialogue porte sur la place et le rôle du soleil dans Les neuf muses, 10r°v°.

4 Du Souhait, Anacrine, pp.487-488.

chevalier qu'elle portait jusque là. De même faut-il comprendre au delà du réalisme des détails, ce charmant portrait d'une vieille courtisane brossé par Du Souhait dans ses Histoires comiques : "Elle lavait ses dents d'eau de naffe pour corriger leur puanteur, elle empruntait des cheveux blonds d'une perruquière (...) elle polissait son frond avec un linge chault, trempé dans une lessive faicte de cendres d'orties et de guimauves. Elle nettoyait sa face avec de l'urine de petites filles et de l'eau de fleurs de fèves et de rosmarin. Elle agençait le blanc sur son sein et souvent cachait sa maigreur sous une gorge de cire"5. Cette fois encore l'auteur ne donne pas gratuitement dans le pittoresque du détail. Il accentue la précision du portrait pour provoquer l'effet comique nécessaire au ton général de l'ouvrage.

L'abondance de détails est là pour mieux ridiculiser le personnage et faire rire le lecteur à ses dépens.

On peut conclure de cette étude que l'absence quasi générale de réalisme dans l'écriture de Du Souhait ne vient pas d'une sorte d'inaptitude de l'auteur à décrire avec précision un objet ou un personnage. Le but de l'auteur n'est pas de peindre une réalité mais d'évoquer une vérité. Il ne cherche nullement à brosser un tableau physiquement ressemblant, mais à suggérer intuitivement une vérité profonde. N'est-ce pas là, au fond, le but de tout artiste authentique ? En ce sens, rêve et réalité se confondent et on ne s'étonnera pas de trouver le qualificatif de "véritable" pour une histoire qui laisse tant de place au merveilleux comme le fait Les chastes destinées de Cloris.

Pour notre auteur, déesses et chevaliers de légendes, grottes enchantées et îles imaginaires ont autant de consistance littéraire que les personnages traditionnels des romans, tel grand homme de son époque ou le Roi et que les lieux et les décors fournis par la réalité que nous connaissons. Réalisme et poésie se mêlent pour évoquer une même vérité, celle de l'auteur, sa vision d'artiste et d'homme qu'il porte sur le monde et les êtres.

On ne s'étonnera donc pas non plus si l'écriture de Du Souhait privilégie un autre procédé stylistique où le pouvoir d'expression est l'effet recherché en priorité : l'image.

5 Du Souhait, quatrième des Histoires comiques.

VI. L'IMAGE DANS L'OEUVRE DE DU SOUHAIT

La fréquence des images dans l'ensemble des œuvres de Du Souhait permet de dire que cette figure de rhétorique est une constante stylistique de notre auteur.