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LES INTERVENTIONS DE DU SOUHAIT POUR AFFIRMER SES CONVICTIONS

TROISIEME PARTIE

DES FIGURES POUR UN STYLE, ETUDE STYLISTIQUE DE SYNTHESE DE L'OEUVRE DE FRANÇOIS DU SOUHAIT

B. LES INTERVENTIONS DE DU SOUHAIT POUR AFFIRMER SES CONVICTIONS

Il semble que Du Souhait ne puisse s'empêcher d'intervenir dans ses récits pour y donner en clair son avis personnel. Ses interventions sont très fréquentes mais revêtent des formes diverses.

Du Souhait fait un usage fréquent du "je" dans l’œuvre poétique.

C'est lui, cet amoureux dont le cœur souffre des rigueurs de l'aimée :

"Je ne regrette pas que tien tu ne m'advoçe / J'ai regret seulement de ne le mériter"1 ou "Bruslé d'un feu divin, j'aime divinement"2. L'utilisation du "je" n'est pas le seul procédé utilisé par Du Souhait pour exprimer ses idées, on retrouve sa présence même dans des œuvres qu'on attendrait impersonnelles, comme la traduction de l'Iliade. Il ne sait pas s'effacer derrière le texte qu’il traduit. Il éprouve le besoin par exemple de placer des résumés en marge du texte, sème l'ouvrage de dictons moraux, échos de ses propres convictions comme : "souvent la haine a plus de pouvoir en nous que l'affliction" ou "on a plus de gloire de pardonner que de se venger"3. Du Souhait affectionne tout particulièrement ces adages qui fleurissent abondamment sous sa plume : "souvent pour trop se haster on se repent aussi, pour trop tarder on perd"4 ou "aux ames patientes rien n'est impossible"5. Il ponctue ses récits de commentaires moraux, s'agissant par exemple des infortunes qui adviennent aux curieux, il précise : "Voila comme les recherches surnaturelles donnent des fins inusitées"6 ou "voyla comme le diable paye ses ministres"7 et encore

"ce n'est pas ainsi qu'on doit devenir docte"8. Du Souhait intervient même parfois pour donner une sorte de définition des termes qu'il utilise. Dans un récit romanesque centré sur le thème de l'amour, l'auteur profite en quelque sorte de la circonstance pour donner sa définition des "vrais amants" : "Les vrais amants doivent estre semblables au feu qui tant est soufflé des vents et tant plus s'allume, tant plus ils seront battus des infortunes et tant plus ils s'enflamment"9. Il lui arrive même de saisir l'opportunité d'une situation romanesque pour laisser chanter son cœur : "Amour, amour,

1 Du Souhait, Divers souhaits..., 3v°.

2 Ibid, 7r°.

3 Du Souhait, L'Iliade de 1614, p.229.

4 Du Souhait, Glorian et Ismène, 35v°.

5 Ibid, 42r°.

6 Du Souhait, Le malheur des curieux, pp.47-48.

7 Ibid, p.31.

8 Ibid, p.36.

9 Du Souhait, Glorian et Ismène, 4r°v°.

tu es ceste cigüe qui ravit le sens aux hommes et qui les rend sans cognoissance, tu lies nos cœurs de cent nœuds d'amitié, puis une seule opinion les fait rompre"1.

Dès lors, on ne s'étonnera pas de la fougue mise par l'auteur à formuler ses jugements personnels lorsque la forme littéraire l'y invite nettement. Ainsi, dans une œuvre de circonstance comme Le discours sur l'attentat à la personne du Roi, l'indifférence n'est pas de mise pour Du Souhait. Il laisse véritablement éclater son indignation et prend véhémentement à partie l'auteur de l'attentat : "Où estoit ta foy française qui te faisait monopoler contre ton roy", demande-t'il2. C'est avec la même fougue qu'il interpelle Pierre de l'Hostal, auteur du Soldat français dans son Pacifique, l'accusant même de chercher à troubler l'ordre et l'harmonie au sein du couple royal en poussant le roi à la guerre : "Quoy donc, veux-tu séparer des bras de la royne, celuy que Dieu y vient tant heureusement arrester?"3, et encore "Je t'accuse d'indiscrétion, de nous vouloir précipiter en une guerre plus volontaire qu'équitable, plus passionnée que raisonnable et plus dangereuse que proffitable"4. Jamais l'auteur n'hésite à s'engager personnellement. S'agissant de promouvoir la paix, "meilleure chose que l'homme puisse cognoistre"5, il livre aux lecteurs son credo en la matière : "Je croy que c'est une espèce de témérité de vouloir entreprendre une chose où l'asseurance du danger est plus grande que l'espérance de l'exécution"6. S'agissant de conseiller le Roi, il le fait avec lucidité et fermeté : "Espargnez le sang de vos subjects espanché par tant de guerres intestines"7. S'agissant enfin d'épingler une situation piquante ou de critiquer un abus de société, il le fait ouvertement, n'hésitant pas, pour ce faire, à ouvrir une sorte de parenthèse dans le fil du récit : "Je diray donc, avec Aristote, qu'ez cours des roys il n'y a point d'amis et que l'amitié des courtisans est plus vaine que véritable"8 peut-on lire dans Le pacifique, "Les rois ont tant de mauvais conseils qu'ils sont contraints quelquefois de les exécuter"9 affirme-t'il dans Palémon.

On a parfois l'impression que ce souci d'affirmer clairement sa pensée devient pour notre auteur une sorte de nécessité, de devoir sacré auquel il ne peut en aucun cas se soustraire : "J'ay pris la plume

1 Du Souhait, Poliphile et Mellonimphe, 47v°.

2 Du Souhait, Discours..., p.12.

pour satisfaire au devoir de ma foy"1 écrit-il. Ce qui rend ce souci sympathique est le "nous" qui ponctue les conseils ou les remarques que Du Souhait prodigue. Il parle pour les autres, certes, mais engage également sa personne, que ce soit dans sa poésie où l'on relèvera son admiration loyaliste pour "nostre grand Roy"2, dans les oeuvres de circonstance où l'on notera son zèle patriotique ( "Nous ne serions pas Français si nous n'espousions vostre défence"3) ou dans une œuvre morale comme Le parfaict gentilhomme où il se remet lui-même en cause en ces termes : "Corrigeons-nous les premiers (...) la bonne voie des prédicateurs donne plus de poix à leur parole que la persuasion de leur parole"4.

Comme on peut le constater, Du Souhait est constamment et directement présent dans son oeuvre, et ce, de diverses façons.

Peut-être cette manière d'écrire sert-elle parfois à pallier quelque insuffisance, à mieux maîtriser un schéma littéraire -en particulier dans les romans-. Cependant, cette présence de l'auteur me semble être essentiellement le fait d'un homme qui refuse délibérément de s'effacer derrière le phénomène littéraire. Ses convictions, sa fougue, en un mot sa personnalité, le conduisent à faire de la fiction littéraire non pas un bel ouvrage en soi, mais une œuvre destinée à exprimer quelque chose qui lui tient à cœur. Pour François du Souhait, l'art d'écrire n'a pas sa finalité en lui-même. Il se permettra même parfois d'interrompre le déroulement logique du récit si la voix de sa conscience lui impose la nécessité de s'exprimer directement. Du Souhait est partout présent dans son œuvre parce qu'il y a en lui une conviction, un homme, une âme qui veut parler. Du Souhait n'est cependant par un prédicateur. La seconde caractéristique du style de Du Souhait est d'ailleurs l'un des éléments qui contribue le plus à rendre ses "messages" très humains et lui permet de les faire mieux entendre : il s'agit de l'humour qu'il emploie de façon presque permanente. En effet, notre auteur sait sourire, rire et même parfois grimacer.

1 Du Souhait, La vérité de l'Eglise, 32v°.

2 Du Souhait, Les neuf muses, 2r°.

3 Du Souhait, Discours sur l'attentat..., pp13-14.

4 Du Souhait, Le parfaict gentilhomme, 36r°v°.

III. L'HUMOUR DE FRANÇOIS DU SOUHAIT

Jouer avec le mot, la phrase et la pensée constitue une règle essentielle d'écriture pour notre gentilhomme champenois. D'une manière générale il ne manque pas d'esprit. Le sourire ou le rire, divertissant ou grinçant, est chez lui une attitude familière. De ce fait, d'une part le comique a une part non négligeable dans son œuvre, d'autre part l'humour se glisse dans de nombreuses pages, alors même que le contexte d'écriture est sérieux.

A. LA PLACE DU COMIQUE DANS L'OEUVRE DE DU