• Aucun résultat trouvé

LE PACIFIQUE OU L'ANTI-SOLDAT FRANCAIS

DEUXIEME PARTIE

ETUDE INTERNE ANALYTIQUE DES OEUVRES DE FRANCOIS DU SOUHAIT

A. LE PACIFIQUE OU L'ANTI-SOLDAT FRANCAIS

Cet ouvrage parut en 1604 avec quatre éditions différentes. Il entre dans ce qu'Henri Hauser n'hésite pas à appeler une véritable

"campagne de presse"1. 1. Les faits

La paix de Vervins signée le 2 mai, ratifiée le 5 juin 1598, ne terminait pas vraiment la guerre entre la Maison de France et la Maison d'Autriche. Les armées espagnoles passaient par la Savoie et la Franche Comté pour venir attaquer Lyon et Paris. En 1600, Henri IV conquit la Savoie après une campagne brève et facile. Il fit alors traité avec les cantons suisses en 1602. Sans que la paix fût totale, l'accès à Lyon devenait moins aisé.

Pourtant, dans les années 1602-1604, la guerre menace de nouveau: le baron de Biron nommé par Henri IV gouverneur de Bourgogne, duc et pair, complote contre le roi de France avec la protection du roi d'Espagne et du duc de Savoie. En même temps, la lutte contre les Espagnols se poursuit indirectement sous la forme d'un soutien apporté par la France à la Hollande et d'un trafic de marchandises hollandaises vendues par la France aux Espagnols sous de fausses étiquettes, trafic qui fut bientôt taxé d'un droit de 30% par Philippe III d'Espagne2. Une véritable polémique s'engagea alors:

fallait-il on non faire la guerre à l'Espagne qui appliquait de tels tarifs ?

D'abord nationale, cette querelle prit vite une "ampleur internationale, des polémistes savoyards et genevois entrent en lice", note H. Hauser3.

1 H. Hauser, Les sources de l'histoire..., p.204.

2 Ce bref résumé de la situation est fait d'après l'Histoire de France, Larousse, p.427.

3 H. Hauser, Les sources..., p.204.

2. Les principaux ouvrages polémiques de la querelle

La liste qui suit donnera une bonne vue d'ensemble de l'ampleur de la polémique qui occupa le monde littéraire entre 1604 et 1605.

- Pierre de l'Hostal ou de l'Hostau ou de l'Ostal, sieur de Roquebrune, vice-chancelier de Navarre, donne en 1604 Le Soldat françois. Dans ce livre, l'auteur pousse vivement Henri IV à la guerre.

De cet ouvrage le roi de France aurait dit: "c'est un livre qui parle bien à ma barrette"1.

- Le Polemandre ou discours d'Estat de la nécessité de faire la guerre en Espagne.

- Le Capitaine ou Soldat françois (pacifiste) - La Responce du Soldat françois au Capitaine.

- Le Pacifique ou l'Anti-Soldat françois, dans lequel Du Souhait affiche un éloquent pacifisme.

Le débat se poursuit ensuite par L'Anti-pseudopacifique, la Responce du Roy au Soldat françois, La Responce de maistre Guillaume au Soldat françois etc.

Ces ouvrages ont souvent été reliés ensemble, ce qui permet au lecteur de pénétrer assez aisément au cœur de la querelle et de mesurer les passions qui entrent en jeu.

3. Le Pacifique ou l'Anti-Soldat François de Du Souhait

L'Avis au lecteur est éloquent. Du Souhait y affirme clairement son intention. Il ne s'agit pas pour lui, d'entrer gratuitement dans une polémique animée, à la seule fin de se faire connaître ou d'y quêter une quelconque notoriété. Ce qui le fait intervenir est beaucoup plus fort: "Mon zèle et non ma vanité (...) me font agir", explique-t'il2. Il veut avant tout réfuter "un arrogant qui demande la guerre" et demander instamment au roi de "continuer la tranquilité du peuple"3.

Du Souhait écrit ce pamphlet pacifiste parce que le thème de la paix lui est personnellement cher et parce qu'il aime son pays: il se dit bon Français car c'est être mauvais patriote que d'exposer un peuple au péril "sans leur pouvoir promettre de récompense"4. C'est donc

1 D'après Pierre de L'Estoile, Journal du règne d'Henri IV, tome II, page 24.

2 Dans l'Avis aux lecteurs de l'édition de l'Arsenal, 8°H 6841, pp.3-11.

3 Idem.

4 Idem.

avec "le bien public au front", pour reprendre sa propre expression1, qu'il se lance fougueusement dans la polémique.

On peut classer les arguments sur lesquels notre auteur fait reposer ses thèses pacifistes, selon trois rubriques principales : les arguments idéologiques, les arguments liés à la situation internationale, les arguments liés à la situation particulière de la France.

L'auteur s'appuie tout d'abord sur des arguments d'ordre idéologique. Du Souhait fait, d'une part, preuve de bon sens en affirmant que, même bien menée, une intervention armée n'est jamais gagnée d'avance: "Je crois c'est une espèce de témérité de vouloir entreprendre une chose où l'asseurance du danger est plus grande que l'espérance de l'exécution"2. C'est également le bon sens qui lui fait affirmer que la voie des négociations est toujours un recours possible, bien préférable aux armes dévastatrices: "le roy aura à l'amiable ce qu'il luy appartient"3. Du Souhait ajoute d'autre part à cela des arguments liés à la haute idée qu'il se fait du grand personnage et de son rôle. Un grand doit, comme tel, se montrer fidèle à la parole donnée: faire la guerre serait, dans ces conditions, pour Henri IV se montrer parjure aux serments de la paix de Vervins.

Il se doit également d'être fidèle à un choix de conduite: le roi s'est engagé dans la voie de la pacification, changer de politique serait se montrer irrésolu, "de mesme que l'arbre trop souvent transplanté ne proffite point, le Prince qui change de résolution est mesprisé au temps principalement qu'il condamne ce qu'il avait défendu ou défend ce qu'il avait commandé"4. Un grand doit en outre, en toute occasion, servir d'exemple, il devra donc dans le cas présent donner l'exemple de la magnanimité et promouvoir le pacifisme. Pour avoir davantage de crédit auprès de ses sujets et mieux asseoir son autorité, le roi devra choisir la paix et résider en son palais: "comme les pères avec leurs enfants"5 et encore: "on obéyt plus volontiers à celuy qui commande doucement qu'à celuy qui use de violence, et plus fidèlement."6

Du Souhait avance également des arguments liés à la situation internationale. D'autres dangers, affirme-t'il, plus sérieux que la menace espagnole pèsent sur la France: "il faut redouter la force du

1 Idem.

2 Ibid, p.91.

3 Ibid, p.148.

4 Du Souhait, Le Pacifique, p.35.

5 Ibid, p.135.

6 Ibid, p.136.

grand Turc qui s'augmente par nos dissentions"1. En outre, il serait mal venu de la part d'un monarque chrétien de livrer bataille à un grand Etat catholique. Le "roy tres chrestien et catholique"2 se doit d'être un pasteur pacifique pour son peuple. Du Souhait s'appuie enfin sur des arguments plus particulièrement liés à l'état de la France. La France vient de souffrir énormément des guerres qui l'ont fortement éprouvée. "Vous estiez faché", rappelle Du Souhait à Henri IV, "de voir les champs en friches, les habitants esgarez, en amas de cendres des toicts et maisons bruslées..."3. Le pays a donc besoin de la paix pour retrouver la prospérité: "Où trouves-tu que les François ayment mieux semer les maux de la guerre que de moissonner les fruicts de la paix, qu'ils désirent plus tost de veoir leurs champs en friche que labourés?

couverts de ronces que de verdure? voir desmollir leurs villes que de les fortifier? Bref, ouvrir leur porte à Mars et la clore à Minerve"4. Notre auteur insiste en outre sur la nécessité dans laquelle se trouve le pays d'avoir un héritier pour le trône de France. Le roi doit donc rester auprès de la reine et lui rendre les hommages conjugaux qui assureront au trône des descendants: "Veux-tu séparer des bras de la Royne, celui que Dieu y vient tout heureusement arrester? renvoyer sous les enseignes de Mars celuy qui nous doit des fruicts de son amour?"5. Du Souhait enfin, comme pour donner un encouragement à son roi, lui montre qu'il dispose d'amis sûrs qui seront prêts à épouser la thèse non interventionniste et donc à soutenir le monarque contre d'éventuels détracteurs. Il cite: "un Nemours"6, un "Du Mayenne"7 et autres " bons génies"8.

Pour toutes ces raisons, Henri IV doit, selon François du Souhait, se montrer un farouche pacifiste; la paix est, en quelque sorte, le plus beau fleuron dont pourrait se targuer le roi de France dans son œuvre de redressement du pays: "il me semble que j'entends ce Roy qui dit j'ay assez combatu, je viens secouer la poussière de Mars pour me reposer sous l'arbre heureux de la Paix"9 ou "quelle plus heureuse digestion après l'exercice que le repos et, comme le soleil, ne travailler que pour la tranquillité du genre humain"10.

1 Ibid, p.69.

Le récit s'achève sur un éloquent réquisitoire où, brièvement, l'auteur répond point par point aux arguments bellicistes; puis, au nom de la France, François du Souhait crie l'aspiration collective à un apaisement durable: "Tu es résolu à ceste avanture? et moy à contrepoincter tes advis et m'exposer à tous périls pour le soulagement du peuple. Est-ce estre soldat de donner une loy à son Prince et rejetter celle qu'il donne à ses subjects? Est-ce estre François de vouloir troubler le repos de la France et r'allumer les feux, renouveller les assassins et bref, désirer la mort des François?"1. 4. Que conclure sur l'intervention de Du Souhait dans la

polémique?

Dans le refus de la guerre contre la catholique Espagne et dans le souci dont fait preuve Du Souhait de ne pas dégarnir la Flandre et l'Est on peut déceler -comme Jean Serroy l'a fait2- l'influence des intérêts de la catholique Maison de Lorraine.

Mais l'éloquence qu'atteint Du Souhait dans certaines pages du Pacifique témoigne de la sincérité de sa démarche. Il nous apparaît comme un pacifiste convaincu, proche des préoccupations de ses contemporains, las des troubles. Il met toute la fougue dont sa plume est capable au service de la défense de la paix. Même si le choix de la cause a peut-être été dicté par les intérêts des gens au service desquels sa charge l'a placé, il la défend avec une passion qui prouve sa sincérité et son courage ...cela même qui lui vaudra des ennuis sérieux quelques années plus tard et mettra une fin imprévue à ses ambitions littéraires.

Après la parution du Pacifique, les injures plurent sur Du Souhait. L'avocat Pelée3 le traita de: "charongne pourrie, meschant vipère, hongre d'esprit, chastré d'entendement, estropié de conscience" en 1606. Quant à Pierre de l'Estoile, il ne ménagea guère plus notre auteur en qualifiant l'œuvre de "discours fort peu souhaittable de tous les gens d'honneur (...) gaussé et mal tissu (...) qui sent de loin son âme cautérisée Hespagnol4. Reste à savoir si Henri IV fut réceptif aux propos de Du Souhait. On se bornera à constater que le souverain préféra momentanément un accord à la guerre, qu'il se fit donc "pacifique" sans qu'on puisse pour autant affirmer que François du Souhait soit directement responsable de cette attitude.

1 Ibid, pp.150-151.

2 Exemplaire dactylographié de la thèse de J. Serroy, p.16.

3 Idem.

4 P. de L'Estoile, Journal..., pp.24-25.