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2. CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE

3.2. Les discours sur la nature au Kamouraska

3.2.1. La rive du fleuve

Lorsqu’on découvre tout à coup Kamouraska par un beau coucher de soleil et à mer haute […] il n’y a pas de spectacle plus réjouissant ni plus agréable à contempler. Ce village, bâti comme à l’aventure sur le bord même du fleuve, sans symétrie aucune, présentant aux rayons du soleil qui s’en va ses toits éclatants de blancheur, ses jardins, ses bosquets et ses touffes d’arbres qui, à cette heure, s’épanouissent dans un bain de lumière, est tout ce qu’on peut imaginer de plus gai et de plus coquet.

(Buies 1877 tiré de Gravel et Franck 1995)

Pour les résidents du Kamouraska, mais aussi pour les touristes de passage, la route n’est que la première occasion d’entrer en contact avec un paysage sans cesse célébré pour sa beauté. Cet extrait datant de 1877 et provenant du journaliste Arthur Buies présente comment le Kamouraska, et tout particulièrement la rive du fleuve et le village de Kamouraska, sont caractérisés par la beauté de leur paysage. Cette caractéristique de la région est notée par tous : qu’ils soient voyageurs ou habitants permanents, le vocabulaire utilisé pour décrire le territoire inclut des mentions relatives à la beauté. Le paysage de Kamouraska est beau : éblouis par le fleuve, les couchers de soleil et les cabourons, les résidents, qu’ils soient natifs de la région ou non, ne cessent de mentionner le caractère magnifique du paysage qui s’offre chaque jour à leur vue. Certains manquent de mots, ne sachant trop comment expliquer cette beauté, mais n’hésitant pas à l’affirmer, comme si cela allait de soi : « Kamouraska, c’est beau ! ». Qu’est-ce qui explique cette beauté, qui semble faire l’unanimité ? Les multiples particularités du paysage peuvent fournir une partie de

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l’explication. Le fleuve est parsemé d’îles et donne vue sur un flanc nord au profil attrayant, soit les montagnes de Charlevoix. Il est bordé de battures formant un marais salé, où se trouve une multitude de plantes appréciées pour leur goût salin, et où a même déjà été cultivé du foin salé pendant la période précédant les années 1950. Les plaines agricoles donnent quant à elles une certaine aura de mystère à la région en matinée, alors qu’elles sont recouvertes d’un brouillard issu de l’humidité qui s’échappe des riches terres cultivées en été. Les cabourons, eux, sont une signature paysagère unique qui brise l’uniformité de la plaine. C’est sans parler du coucher de soleil, que les résidents interrogés ne cessent de vanter comme le plus beau au monde. Les publicités visant à développer le tourisme régional se servent de tous ces éléments. Chaque pamphlet touristique renferme son lot d’images représentant les couchers de soleil, la vue sur le fleuve et le paysage s’offrant aux yeux de ceux qui escaladent les cabourons. Les vidéos mettant en valeur le fleuve, les cabourons et le coucher de soleil sont d’ailleurs nombreuses sur les médias sociaux des diverses entreprises touristiques de la région. D’ailleurs, cette beauté de la nature du Kamouraska n’attise pas uniquement l’imagination des promoteurs touristiques, elle est aussi appréciée des natifs de la région :

[…] Quand je suis arrivée là j’étais émerveillée, et pourtant je viens de Saint- Pascal, je suis habituée d'aller au fleuve et je connais mon fleuve. J'étais émerveillée que mon chum ait acheté une maison sur le bord du fleuve, puis je trouvais ça tellement beau. Je connais le coin et j'en bénéficie de mon fleuve, mais je n’en bénéficiais pas autant, du matin jusqu'au soir avec une vue imprenable !

(Répondant rural #6)

La nature du Kamouraska est donc caractérisée par sa beauté, entre autres en raison de sa signature paysagère qualifiée d’unique par ceux qui y habitent. Le paysage de la région est constitué de toutes ces particularités que sont le fleuve, les cabourons et les plaines. Tous ces éléments fusionnent et forment un panorama apprécié par les promoteurs d’activités touristiques. En fait, la nature de la région alimente le tourisme et profite aux diverses initiatives écotouristiques, en plus d’en faire un endroit agréable où vivre pour les résidents, qui mentionnent souvent leur amour pour le sport de plein air et pour la vue impressionnante qu’ils ont sur le fleuve. En offrant aux visiteurs et aux résidents l’accès à l’escalade de cabourons, au camping dans les battures et au kayak sur le fleuve, ces initiatives offrent un accès privilégié à la beauté de la nature du Kamouraska, dont l’importance est notée par les

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acteurs des entreprises écotouristiques interrogés. L’impact de la beauté du fleuve et des couchers et levers de soleil se fait même sentir dans le secteur immobilier : le village de Kamouraska est maintenant bien connu dans la région pour être un secteur d’attrait important pour les retraités des villes qui désirent avoir une maison d’été près du fleuve. Cet attrait pour la région et la beauté de sa nature se remarque aisément lors d’observations au village de Kamouraska, où il est fréquent que les discussions des touristes tournent autour de leur désir de s’installer dans la région. Le village est par ailleurs considéré par les résidents de la région comme étant l’emblème du tourisme dans la région, car il présente un accès facile au fleuve, une magnifique vue sur les îles et un code architectural visant à maximiser l’image pittoresque des maisons qui s’y trouvent. Tout cet attrait pour la beauté de la région se limite cependant à une seule saison : l’été.

La saisonnalité au Kamouraska joue en fait un rôle important dans l’attrait de la nature qu’on y retrouve. L’été est de loin la saison la plus active : c’est la saison touristique et la saison de l’agriculture. Les rues sont bondées de passants, la piste cyclable accueille des milliers de cyclistes et la circulation automobile est telle que les routes de campagnes connaissent des embouteillages. Les commerces y sont tous ouverts et les centres de plein air vivent un achalandage monstre. C’est tout le contraire en hiver. S’il est synonyme de tranquillité pour les résidents permanents, l’hiver est souvent présenté par les acteurs interrogés comme étant dénué de tout attrait pour les voyageurs. Des activités populaires telles que l’escalade des cabourons et le kayak de rivière et de mer ne sont pas pratiquées en hiver et le fleuve gelé n’éveille pas le même attrait chez les touristes. Chaque année l’hiver vole au paysage toute sa couleur et celui-ci est déserté par les touristes. L’agriculture étant limitée à trois saisons et le tourisme n’étant pratiqué qu’en période estivale, l’hiver est une saison bien tranquille au Kamouraska. Comme le résume une jeune femme arrivée récemment dans la région : « J'ai vu cet hiver Kamouraska mourir » (Répondant néorural #4). De même, par le passé l’automne était la saison de la pêche à l’anguille pour les résidents des rives, pour qui le fleuve était une source de nourriture et pas seulement un espace où pratiquer le kayak ou un décor de carte postale correspondant à l’image que présente l’industrie touristique. La pêche à l’anguille ne fait plus partie des traditions locales, les pêcheurs ayant presque tous revendu leurs permis à l’État québécois, qui en fait le rachat.

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La saisonnalité de la nature du Kamouraska a donc un impact important sur la vie humaine et cette perception de l’été, saison perçue de manière plus positive sur le plan de l’attrait visuel, guide tout le rythme de la vie dans la région. Cette relation avec la saisonnalité change d’ailleurs peu à peu chez les résidents permanents du Kamouraska, en raison des transformations vécues par les divers secteurs économiques. La pêche à l’anguille, effectuée en automne, était une source de revenu d’appoint pour les agriculteurs. Désormais, la croissance du tourisme et la disparition progressive de la pêche traditionnelle mènent à une transformation de la place qu’occupe le fleuve dans l’imaginaire des résidents de la région, qui tendent désormais à en parler en mettant l’accent sur sa beauté plutôt que sur son potentiel comme source de nourriture ou comme moyen de transport. Cette transformation de la perception du fleuve a des effets importants sur les usages qui en sont faits, tant sur le plan économique que sur la création de zones protégées. Il s’agit là de thèmes qui seront abordés plus loin dans ce chapitre, mais l’utilisation du fleuve à des fins touristiques a un impact sur la création d’initiatives de protection, telle que celle des marais salés longeant la côte.