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2. CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE

2.1. Le peuplement du Kamouraska

La région du Kamouraska a été fondée le 15 juillet 1674, lors de la création de la seigneurie par le gouverneur de la Nouvelle-France. Ce n’est toutefois qu’en 1692 que les premiers colons s’y installèrent, suite au premier arpentage et au premier octroi de terres. Généralement composé de pêcheurs et de chasseurs, ces premiers colons ont par la suite progressivement défriché les terres, ce qui a permis d’installer peu à peu les premières installations agricoles, une industrie qui caractérise le Kamouraska encore aujourd’hui (Paradis 1948 : VII‑VIII; Voyer 1999). L’agriculture occupe ainsi une place importante dans l’histoire du Kamouraska, une région aux terres fertiles qualifiée par certains auteurs de grenier du Québec (Comité des fêtes du tricentenaire de Kamouraska 1974), mais la pêche fût aussi une industrie d’importance dans la région, sans jamais cependant prendre la même place que l’agriculture.

Les habitants du Kamouraska sont depuis longtemps caractérisés par la diversité de leurs activités : la région côtière leur a offert un accès privilégié à des terres agricoles d’une qualité exceptionnelle, de même qu’à un fleuve riche en poissons et cétacés tels que l’esturgeon, la morue, l’anguille et le béluga. Si certains y ont pratiqué la pêche de manière plus intensive, la priorité a cependant été l’agriculture : « [L]e monde du Bas-du-Fleuve c'était pas des marins ni des pêcheurs. C'était des cultivateurs qui pêchaient. C'est ça la différence. Les grandes familles ramassaient des esturgeons à l'automne et ça finissait là » (Répondant rural #5). Cette affirmation, faite par un résidant du village de Saint-André, est confirmée par la lecture de documents historiques, qui présentent comment la pêche a servi de complément aux agriculteurs de la région (Voyer 1999; Paradis 1948). Depuis les dernières décennies, la pêche est en forte diminution et n’est désormais représentée que par deux pêcheurs du village de Kamouraska. L’agriculture a quant à elle poursuivi son développement ; un développement lui-même différencié par le contexte territorial particulier du Kamouraska.

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Si le Kamouraska est une région côtière où les premiers villages ont été développés près du fleuve, il s’agit aussi d’une région où s’est développé le territoire du Haut-Pays, cette zone surélevée, située en retrait du fleuve, où l’industrie forestière et les besoins en terres cultivables ont influencé au cours des années 1800 le développement de nouveaux villages et la création de nouvelles terres agricoles :

Du point de vue économique, il s’est formé deux agricultures différenciées, celle de la plaine littorale ou des basses terres, par une extension du tissu de peuplement remontant le « corridor laurentien », et celle de l’intérieur, par une colonisation agroforestière répondant à plusieurs impératifs : les besoins en main-d’œuvre de l’industrie forestière, les besoins en terres de la population agricole excédentaire des basses terres et, selon la conjoncture, le besoin de créer un espace de refoulement d’une force de travail pour laquelle le chemin de l’exode vers la ville est provisoirement fermé.

(Jean 1988 : 241)

Cette différenciation entre la zone côtière et le Haut-Pays se retrouve au sein de la littérature, mais aussi au sein du discours des acteurs interrogés au cours de la recherche de terrain effectuée dans le cadre de ce mémoire : on parle ainsi des « gens du Haut-Pays » (Répondant rural #8) et des « villages du Haut-Pays » (Répondant néorural #2), à l’histoire et aux enjeux parfois distincts de ceux de la côte. La vie au Kamouraska est donc différenciée en fonction de la côte et des hautes-terres, deux territoires bien distincts. Cette différenciation sera examinée plus en profondeur au cours du prochain chapitre, mais son existence dans la littérature traitant de l’histoire de la région témoigne de son importance dans la vie des résidents du Kamouraska d’hier à aujourd’hui.

La distinction entre ces deux territoires du Kamouraska ne prend pas uniquement forme dans la création d’une agriculture distincte, dans l’absence de fleuve où pêcher pour les résidents du Haut-Pays et dans la forêt source de bois et d’une tout autre industrie pour les résidents des hautes-terres. Elle se manifeste aussi par le développement de la villégiature et du tourisme au Kamouraska côtier, réputé pour ses couchers de soleil, la beauté du fleuve et son air sain. Élément central de ce mémoire, le tourisme n’est pas un phénomène récent au Kamouraska. Dès 1813, l’importance de la villégiature au village de Kamouraska est notée :

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Lors de son passage à Kamouraska en 1813, l’arpenteur général du Bas-Canada, Joseph Bouchette, ne tarit pas d’éloges. Kamouraska est devenu un centre de villégiature réputé. L’emplacement du village permet la construction de quais, ce qui rend le lieu particulièrement intéressant pour les commerçants. La seigneurie compte alors 5 500 habitants et grouille d’activités. […] Pendant de nombreuses années, Kamouraska est le centre de la vie sociale de la région.

(Voyer 1999; Paradis 1948 : 166)

La littérature existant sur la région laisse croire que cet intérêt pour la villégiature dans la région s’est probablement développé aux alentours du début du 19e siècle et n’a pas cessé de croître depuis. Selon certains résidents de la région, les premiers villégiateurs étaient de riches citadins, souvent anglais, venus profiter de l’air frais de la campagne et de l’accès privilégié de Kamouraska au fleuve. Chaque été la région voit donc depuis son lot de visiteurs, et une petite économie s’est peu à peu formée autour de ce phénomène. La villégiature traditionnelle au Kamouraska a cependant évolué : elle demeurait marginale au cours des 19e et 20e siècles, la région étant à très forte majorité composée d’agriculteurs et non de travailleurs de l’industrie des services. « […] À cette époque, comme des dizaines d’années après d’ailleurs, la population est rurale, vit d’agriculture » (Paradis 1948 : 175). Depuis, cette villégiature s’est transformée en une industrie touristique importante, qui mène même à l’arrivée de touristes néoruraux venant s’installer de manière saisonnière dans les maisons du village. La construction de l’autoroute dans les années 1970 et la démocratisation de l’accès au transport ont facilité l’arrivée de visiteurs dans la région, qui a servi et sert encore de point d’arrêt pour les voyageurs se rendant en Gaspésie. Les rapports récents sur le tourisme témoignent cependant d’une transformation importante : les séjours sont moins nombreux aujourd’hui, mais plus longs (Municipalité de Kamouraska 2012 : 20‑21). Le Kamouraska redeviendrait-il une destination, plutôt qu’un point de passage ? Il en sera question lors de la présentation des données, mais les données recueillies sur le terrain tendent à supporter le fait que le tourisme de destination soit plus important aujourd’hui qu’il ne l’a été au cours de la fin du 20e siècle.

2.1.1. La dévitalisation : trame de fond des enjeux au Kamouraska

L’histoire du Kamouraska est marquée par un phénomène affectant encore aujourd’hui la région : la dévitalisation rurale. Ce qualificatif, attribué par le ministère des

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Affaires municipales du Québec, est issu de critères liés au taux de chômage, au revenu des ménages et à divers autres indicateurs socioéconomiques menant au calcul d’un indice de développement, qui, si négatif, signifie qu’un village est dévitalisé (Ministère des Affaires municipales et des Régions 2007). Sur le plan démographique, le portrait de la situation du Kamouraska est très clair lorsque les données de la population des deux derniers siècles sont étudiées. Les premiers colons arrivés à la fin du 17e siècle ont rapidement peuplé le territoire, où les terres agricoles plus petites menaient à une plus grande densité de population. Ainsi, des années 1810 à 1830, la paroisse de Kamouraska avoisinait les 6000 habitants, un chiffre qui depuis près de 200 ans ne fait que diminuer considérablement, alors que la population a progressivement reculé de 6000 habitants en 1827 à 1077 en 1946, pour finalement en arriver à 567 habitants en 2015 (Institut de la statistique du Québec 2016b; Paradis 1948 : 229). La chute phénoménale de population entre le début du 19e siècle et les années 1940 s’explique entre autres par la division du territoire de Kamouraska, alors que de nouveaux villages ont été créés jusqu’en 1893, année de fondation de Saint-Germain de Kamouraska. Suite à cela, la dévitalisation qu’a connu la région est plutôt liée à une multitude de causes, dont font notamment partie la réduction des besoins en main-d’œuvre agricole issue des avancées technologiques et les salaires et services avantageux retrouvés en ville (Paradis 1948 : 233). Le Kamouraska n’est pas unique en ce qui a trait à la dévitalisation ; c’est un enjeu touchant une majorité des villages ruraux de la province.

Historiquement, la région du Bas-Saint-Laurent a longtemps été aux prises avec ce problème, qui a atteint son paroxysme au début des années 1970, alors qu’a pris forme le mouvement des Opérations Dignité. Ce mouvement contestait les recommandations du Bureau d’Aménagement de l’Est-du-Québec (BAEQ), qui, tel que présenté au sein de l’introduction de ce mémoire, proposait la fermeture de villages au potentiel économique faible, où les secteurs agricoles et forestiers stagnent ou déclinent. Sans que le Kamouraska ait été touché directement par ces recommandations et ce mouvement, plusieurs des villages des hautes-terres ont connu des difficultés similaires. Mont-Carmel en est un exemple significatif, ayant connu au cours des dernières décennies des difficultés économiques importantes en raison de la fermeture de son moulin à scie, industrie principale du village. Celui-ci fut officiellement déclarée dévitalisée par le ministère des Affaires municipales en

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2001, alors que de nombreuses habitations étaient en vente et que les emplois se faisaient rares (Dupont 2015). Depuis, le village a reçu le prix de la résistance fierté-rurale de la part du centre de mise en valeur des Opérations Dignité, grâce à la mobilisation de la municipalité et de ses citoyens, qui ont axé le développement du village sur l’énergie, la forêt et le tourisme, récupérant au passage les droits de coupe de son ancien moulin et développant un projet de biomasse de chauffage. Les villages du reste du Kamouraska ne sont toutefois pas tous comme Mont-Carmel et nombreux sont les villages des hautes-terres encore qualifiés de dévitalisés.

Sans être officiellement considérées comme dévitalisées, certaines municipalités des basses terres connaissent elles aussi leur lot de problèmes pouvant faire craindre pour leur avenir. Si le Haut-Pays du Kamouraska a historiquement été plus affecté par la dévitalisation que les villages de la côte, plus touristiques et plus « vivants » en raison de leur économie plus forte reposant sur l’agriculture, tous semblent désormais être affectés à plus ou moins grande échelle. Tout particulièrement, le village de Kamouraska a perdu près de 20% de sa population entre 2005 et 2011 et la tendance générale dans la région demeure à la baisse (Institut de la statistique du Québec 2016b). La perte de 200 habitants dans un village n’en comptant que 700 a des impacts directs sur les capacités de la municipalité à procurer aux citoyens les services auxquels ils ont droit. De même, cette baisse de population affecte principalement les jeunes, un problème contribuant directement au vieillissement de la population affectant le Kamouraska.

Les données recueillies sur le terrain ainsi que les entrevues permettent toutefois de présenter un visage différent de la dévitalisation, qui changerait depuis l’arrivée de plus en plus importante de néoruraux : certains villages du Haut-Pays auraient désormais tellement de jeunes familles que les écoles n’arrivent plus à fournir à la tâche.

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Juste pour prouver ce que je te dis, on a un problème d'école, on a une surpopulation d'enfants. Ça dénote qu'on a beaucoup de jeunes familles. Ça a changé avec le temps, parce qu'avant on avait une régression progressive, avec une population vieillissante, puis on a fait le "guess" de faire la création d'une habitation pour les personnes âgées en perte d'autonomie, ainsi que d'une habitation à 6 logements pour offrir des appartements à prix modique à des jeunes familles ou des retraités qui vendent leur maison et qui veulent rester à Saint- Joseph.

(Répondant rural #8)

Il semble en fait que l’attrait du Haut-Pays et de son accès facile à la propriété mènerait à une arrivée importante de néoruraux, venant en partie contrer la dévitalisation.