• Aucun résultat trouvé

Autosuffisance et vie rurale : la réappropriation de la nature par les pratiques

2. CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE

3.3. Les usages de la nature

3.3.5. Autosuffisance et vie rurale : la réappropriation de la nature par les pratiques

Les pratiques de réappropriation de la nature sont fréquemment rencontrées chez les néoruraux s’étant installés au Kamouraska, qui sont presque tous impliqués à divers degrés dans des projets de jardinage, de paniers alimentaires et de protection de l’environnement. Un thème s’est clairement établi au cours des entrevues menées auprès des jeunes néoruraux : leur désir de développer des projets d’autosuffisance alimentaire, par la production agricole, biologique et à petite échelle. La possibilité de vivre près de la nature, mais aussi de pouvoir l’utiliser à des fins de production agricole était un élément important dans la décision de migrer pour de nombreux néoruraux venus s’installer au Kamouraska. La « mode » du jardin est d’ailleurs fort populaire chez eux, car comme l’affirme une jeune native de la région : « Sans jardin, tu n’es rien ! ». Elle fait ici référence à l’importance d’avoir un jardin pour faire partie des « cliques » locales, depuis que de nombreux nouveaux arrivants ont initié des projets de jardinage dans la région. Ce jardinage s’effectue dans le but de produire des aliments biologiques et forme les étapes initiales d’un projet plus large que visent près de la

71

moitié des néoruraux rencontrés : en arriver à l’autosuffisance alimentaire et redécouvrir les pratiques menant à la production de leurs aliments. Pour ces néoruraux recherchant l’autosuffisance, la nature représente une ressource d’une richesse inestimable, qui offre la possibilité de développer une vie indépendante du reste de la société :

La nature est pleine de ressources : il y a du bois, il y a de l'agriculture, il y a tout plein de choses comme ça, et le but de venir ici c'était un peu d'acquérir une certaine autonomie, soit alimentaire ou énergétique.

(Répondant néorural #6)

Cela mène ainsi plusieurs néoruraux à s’initier au jardinage ou à l’élevage de poules, puis à développer une production alimentaire de plus en plus importante, à mesure que leur jardin ou petite ferme s’agrandit. Deux néoruraux rencontrés pendant la collecte de données visent d’ailleurs à aller au-delà de l’autosuffisance alimentaire afin d’en arriver à l’autosuffisance énergique par l’installation d’éoliennes et de panneaux solaires, un projet qu’ils estiment pouvoir réaliser d’ici 5 ans. Chacun de ces projets visant l’autosuffisance n’est possible qu’en raison de l’accessibilité des ressources naturelles au Kamouraska, où le territoire est vaste et les terres peu coûteuses.

Principalement rencontrée chez les néoruraux, cette quête de l’autosuffisance fait partie d’un ensemble plus grand de valeurs et de pratiques liées à la protection et à la valorisation de l’environnement naturel. Ainsi, ils sont souvent impliqués dans diverses initiatives d’entraide locale respectant leurs valeurs d’entraide et de respect de l’environnement. C’est par exemple le cas de l’initiative « Entre-Nous, les paniers du Kamouraska », qui, en mettant en relation producteurs et acheteurs locaux, offre à ses clients un vaste éventail de produits alimentaires biologiques, produits au Kamouraska et livrés à domicile ou dans un point de chute. Fort populaire auprès des néoruraux ayant participé à la recherche, cette entreprise leur permet de respecter leurs valeurs de protection environnementale en leur proposant des produits locaux biologiques, qui n’ont pas eu à être déplacés sur de longues distances.

Les néoruraux du Kamouraska sont ainsi généralement associés à des modes de vie

72

au Kamouraska une recherche de liberté individuelle. Comme mentionné précédemment, leurs discours sur la nature l’associent souvent à la liberté, à l’accès aux opportunités de développement et cela surtout au Haut-Pays, où il est possible de vivre éloigné et en paix, en raison de la faible densité de population. Paradoxalement, cette tranquillité et cette recherche de liberté se conjuguent à ce que tous les néoruraux interrogés présentent comme un esprit de communauté plus fort en région rurale, où l’entraide entre voisins serait plus présente qu’en région urbaine. Le groupe social local, souvent composé d’autres néoruraux, s’entraide ainsi dans la création de jardins et le partage de ressources, qu’il s’agisse de bois, de pièces d’auto, ou bien de connaissances sur la région. L’implication dans de telles pratiques de partage n’est pas la même pour tous les néoruraux, mais les pratiques de partage et d’autoproduction de ressources sont à divers degré adoptées par tous.

Au-delà de cette réappropriation de la nature par des pratiques agricoles, les néoruraux sont aussi très impliqués au sein de certains mouvements environnementaux créés au cours des dernières années. Il en sera question plus en détail dans le prochain chapitre, mais le projet d’installation de l’Oléoduc Énergie-Est a mené à la création d’une grande quantité de groupe s’y opposant. Ces groupes comptent bien sûr quelques membres natifs de la région, mais les néoruraux y sont fort nombreux et tendent à s’y impliquer en grand nombre. Au sein des entrevues menées auprès des ruraux et néoruraux de la région, la question de l’Oléoduc Énergie-Est soulevait une opposition unanime de la part des néoruraux, alors que les natifs de la région s’y opposaient en majorité, mais que certains notaient l’importance de développer l’économie de leur région.

L’implication importante des néoruraux dans les mouvements environnementaux ainsi que leurs pratiques de réappropriation de la nature permet ainsi de noter toute l’importance, pour eux, de pouvoir vivre près de la nature. Cette importance se manifeste aussi dans la décision que plusieurs néoruraux rencontrés ont prise de venir s’installer au Kamouraska et d’accepter de travailler dans un domaine peu payant et qui ne correspond pas à leur spécialisation professionnelle. Ils justifient ce choix par leur amour pour la nature du Kamouraska, qui leur permettrait de vivre leurs projets de vie autonome et en meilleure santé physique et mentale. La relation à la nature de ces jeunes néoruraux contraste directement

73

avec celle de nombreux natifs du Kamouraska, qui encouragent leurs enfants à quitter pour la ville dans le but d’obtenir un meilleur avenir professionnel.

3.4. Conclusion

Les discours et usages de la nature au Kamouraska se sont peu à peu transformés au cours des dernières années. Comme présenté au dans ce chapitre, le Kamouraska est depuis longtemps caractérisé par sa proximité au fleuve et par la beauté de son paysage, mais ce n’est depuis qu’une trentaine d’années que ces caractéristiques ont permis l’expansion d’une industrie touristique de plus en plus importante, qui occupe désormais le deuxième rang en termes d’importance économique dans la région.

Tant les néoruraux que les ruraux partagent une vision du Kamouraska qui le divise en deux territoires : le Bas-Pays et le Haut-Pays. Cette division affecte, par la présence de paysages différents, les discours et les pratiques liés à la nature au Kamouraska. Tous deux sont interreliés : par exemple, le discours tenu sur la berge du Saint-Laurent, caractérisée tant par les ruraux que les néoruraux par sa beauté et le caractère unique de son paysage, est intimement lié au développement du tourisme et de l’écotourisme sur les berges du fleuve. De même, si la zone du fleuve est la plus souvent utilisée pour présenter le Kamouraska au sein des publicités et pour développer les entreprises touristiques, il demeure que le Haut- Pays fait partie de la région et qu’il s’y développe présentement un vaste éventail d’activités économiques innovantes visant à raviver des villages aux prises avec d’importantes difficultés démographiques et économiques.

Globalement, la vie rurale au Kamouraska conserve toutefois certaines constantes : la proximité de la nature mène les résidents ruraux et néoruraux de la région à associer le Kamouraska au calme, à l’authenticité et à la santé, des caractéristiques favorables qui sont cependant particulièrement présentes dans le discours et les pratiques des néoruraux, chez qui se constate une idéalisation de la nature. L’implication de nombreux néoruraux dans les divers projets alternatifs que sont les initiatives écotouristiques et l’agriculture biologique témoigne d’une différence dans la perception de la nature des ruraux et des néoruraux. Ces projets alternatifs permettent aux néoruraux de mettre en pratique leur vision de la nature.

74

Les projets écotouristiques retrouvés sur la berge du fleuve présentent par exemple l’opportunité pour ceux-ci de mettre en place des mesures de conservation de la nature qui correspondent à leur désir de limiter la transformation de celle-ci par l’humain. Si les deux groupes entretiennent une perception favorable de la nature, l’implication importante des néoruraux dans les mouvements environnementaux et les projets d’autosuffisance permet de constater qu’elle prend pour eux une place essentielle dans la vie courante, comme en témoigne leur décision de migrer afin d’effectuer un retour à la nature. Les natifs du Kamouraska sont eux aussi attachés à leur région et à leur vie rurale, mais semblent porter plus d’attention aux enjeux économiques affectant la région : leur position plus ambiguë que celle des néoruraux par rapport au projet d’oléoduc Énergie-Est représente une différence marquée de leur relation à la nature du Kamouraska. Les différences existant entre les discours et les pratiques des ruraux et néoruraux ont d’ailleurs des effets concrets dans la mise en place de certains enjeux locaux, un thème qui sera abordé dans le prochain chapitre.

75

4. MIGRATION ET ENJEUX SOCIOENVIRONNEMENTAUX